L'appât du gain

Chronique de Louis Lapointe

J’avais 12 ans lorsque mon père s’est présenté comme candidat du Parti Québécois en 1970. J’étais alors un jeune élève en première année du cours classique. J’ai donc dû faire face pendant quelques années à l’animosité d’élèves issus de familles où la simple idée de défendre l’indépendance rimait avec révolution, perte de contrats, de pouvoir et d’argent.
À cette époque, à moins d’être fou ou original, un prospère commerçant n’aurait jamais pu s’engager publiquement dans un tel combat politique sans risquer de perdre des clients. Les gens d’affaires qui sortaient du rang étaient aussitôt considérés comme des parias et mis à l’index de la chambre de commerce.
Aussi étrange que cela puisse paraître, la situation n’a pas beaucoup évolué depuis 40 ans. Dans ma propre profession, à moins d’être fédéraliste, il est préférable de taire ses allégeances.
Cette peur de s’affirmer qu’éprouvent plusieurs professionnels chevronnés et hauts dirigeants d’organisation qui sont secrètement indépendantistes peut parfois engendrer des comportements paranoïaques.
Ainsi, un administrateur d’une importante organisation professionnelle m’a déjà fait la confidence qu’il était, comme d’autres cadres de la même organisation, obligé de cacher son allégeance s’il ne voulait pas risquer de perdre son emploi à l’occasion d’un changement de régime. Une façon polie de me recommander d’adopter la même attitude si je tenais à mon emploi.
J’avais alors compris que, même pour les indépendantistes discrets, tolérer ou côtoyer un indépendantiste un peu plus courageux pouvait devenir dangereux pour ceux qui désiraient le demeurer secrètement. Quand on se cache sous le plancher et qu’on ne veut pas être débusqué, mieux vaut bâillonner ou exclure les plus tapageurs !
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Tenir un discours indépendantiste ou, à la limite, frayer avec des indépendantistes, peut donc avoir de graves conséquences pour un dirigeant d’organisation. Malgré toutes vos compétences, cela pourrait même contribuer à mettre fin abruptement à votre carrière, car il n’y aura plus personne pour vous prêter assistance lorsque les fédéralistes seront simultanément au pouvoir à Québec et à Ottawa. Vous n’aurez plus alors aucune sortie de secours.
Voilà pourquoi certains indépendantistes ont développé une panoplie de comportements défensifs. Lorsqu’ils en ont la chance, certains vont même jusqu’à nommer des amis fédéralistes à des postes clés, espérant, parfois vainement, un retour d’ascenseur quand le vent tournera et que les choses iront moins bien. Une sorte de police d’assurance.
Il y a quelques années de cela, un ancien indépendantiste m’a même avoué ne plus vouloir discuter de ce sujet. Il voulait vivre, avoir des contrats, faire de l’argent pour voyager à l’étranger, prendre des vacances dans le sud chaque année et envoyer ses enfants dans les meilleures écoles privées et colonies de vacances.
Il est donc compréhensible que certains, parmi les plus engagés, puissent se lasser de vivre dans l’insécurité ou de voir leur carte de crédit toujours dans le rouge, alors qu’ils supportent la cause depuis de nombreuses années, pendant que d’autres profitent de la vie. Le genre de problème que n’éprouvent pas ceux qui ont une fortune personnelle ou qui peuvent facturer des honoraires à plus de mille dollars de l’heure. C’est souvent ainsi que les plus fatigués finissent par céder.
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Heureusement pour ces derniers, la conjoncture a bien changé. Elle pourrait même les favoriser s’ils font preuve d’humilité et d’ouverture d’esprit.
Les libéraux sont au pouvoir depuis 7 ans et le milieu des affaires qui veut en finir avec cette odeur de soufre qui flotte sur le Québec souhaite vivement un changement de garde en faveur d’organisations politiques défendant des idées plus à droite.
L’arrivée de Pauline Marois à la barre du parti québécois en 2007 n’a pas permis le renouvellement de la social-démocratie que les think tanks attendaient, pas plus que l’ajournement de la question nationale. La menace de la tenue d’un éventuel référendum sur la souveraineté risque même de compromettre leur projet de réforme de l’État.

Une demande s’est donc développée, au fil des années, pour que des politiciens qui ont une vision plus conservatrice de la société mettent l’épaule à la roue pour convaincre la population de la justesse de leurs opinions. Le marché est même prêt à soutenir d’anciens indépendantistes repentis prêts à recycler leur bâton de pèlerin en balai de l'économie.
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En raison de sa proximité avec le monde des affaires, l’Université n’échappe pas à cette tendance. C’est ainsi qu’un nombre grandissant de professeurs qui ont la possibilité d’exercer un deuxième emploi de consultant privé deviennent l’objet de convoitise de la part d’organisations en attente de valeur ajoutée. De peur de voir ces contrats leur échapper, plusieurs professeurs spécialisés dans des sciences moins exactes auront donc avantage à se montrer plus ambigus à propos de leurs convictions.
Une véritable manne pour ces professeurs qui ne souhaitent pas attendre 7 ans pour partir en congé sabbatique ou utiliser leur fonds personnel de recherche pour aller en congrès à l’étranger. Quand on a la chance d’être payé pour de véritables contrats privés, on n’a pas besoin de demander la permission pour aller à l’extérieur du pays, on prend son propre argent et on y va.
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Morale de l’histoire, si vous voulez continuer à faire de la politique ou donner votre opinion sans en éprouver les inconvénients financiers, il est peut-être préférable que vous mettiez vos velléités indépendantistes sur la glace. C’est meilleur pour les affaires et la vie familiale. Après tout, il faut bien vivre à défaut d’avoir les moyens de ses ambitions.
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Billet précédent: Le pessimisme de Joseph Facal

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    12 novembre 2010

    Il faut trouver le moyen pour que l'amour de notre nation soit récompensé et la haine de notre nation soit punie pour renverser ce cancer ethnocentré contre nous-même, cette discrimination morbide qui transforme la trahison en vertu familiale ou même individuelle.
    Soit visière levée sur la scène publique par une législation qui casse l'ambiguïté, l'ambivalence qui fait de nous une minorité réellement opprimée mais prétendument oppressive au quécan ou plus sournoisement de façon secrète à la façon des orangistes mais ici des orange bleus...
    Ce que vous décrivez et que j'ai éprouvé ici et là qui est plus visible depuis le commencement de la gouvernance de fier collabo de Charest est une mécanique d'autodestruction nationale dont les québécois ont un urgent besoin de prendre conscience dans la forme d'une antidote concrète. Sur le plan relationnel ce que vous décrivez est d'une efficacité et d'une cruauté horrible.