Commentaire sur un extrait de « Le grand zoo multiculturel » de Jérôme Blanchet-Gravel paru dans Le Huffington Post Québec du samedi 5 octobre 2013 et reproduit dans Vigile
« J'en reviens à l'existentialisme : vous l'aurez sans doute compris, c'est que le féminisme à la sauce islamo-gauchiste est antihumaniste, il est l'antithèse de la philosophie posée par Sartre. Le néoféminisme s'oppose au fait de penser la liberté d'abord et avant tout comme l'effet du pouvoir de l'Homme sur sa propre vie. Quand des «féministes conçoivent le voile comme le prolongement légitime d'un enracinement identitaire qu'il ne faudrait surtout pas saboter pour préserver «l'ordre naturel» de la femme musulmane, je pense surtout à la montée d'une nouvelle droite. Une gauche qui ne pense plus l'humain comme une entité capable de faire fi du poids des traditions n'est plus une gauche. C'est de toute évidence une étrange droite conservatrice qui enferme la liberté humaine dans des cellules ethniques, culturelles ou biologiques. »
Plutôt que « de faire fi du poids des traditions » sans distinction, ne serait-il pas plus pertinent de pourfendre le détournement idéologique de l'Histoire qui enchaîne ce « néoféminisme » à des traditions obscurantistes moyenâgeuses à travers le politiquement correct du prétendu « droit de vivre dans le passé » préconisé par le multiculturalisme ?
L'humanisme de Sartre pose le primat de l'existence, en tant que réalité concrète, sur toute définition rationnelle de l'essence de l'homme impliquant ce qu'il doit être ou ce qu'il peut être au-delà des lois scientifiques. C'est son crédo : l'existence précède l'essence. Cet humanisme refuse ainsi toute situation sociale que l'homme n'aurait pas l'entière liberté de changer et qui résulterait d'un a priori censé le définir transmis par une quelconque tradition. Il s'ensuit que l'Homme sartrien se crée lui-même sans recours à la transcendance religieuse, dans la mesure où pour le croyant son principe provient des commandements immuables révélés par son Dieu. Mais qu'en est-il de la liberté de transcendance de l'Homme sur sa propre nature dont les valeurs morales furent introduites dans le cours de l'Histoire par différentes civilisations humanistes de l'Antiquité jusqu'à nos jours ?
Cette tradition morale en tant qu'Histoire de l'esprit humain libéré des idées reçues par la pensée critique, à savoir des idées conformistes qui programment les hommes, nous est pourtant indispensable. Ainsi, la gauche marxiste qui se voulait purement matérialiste et à laquelle adhérait Sartre, a produit elle-même une société mythique en ce qu'elle s'est avérée au contraire comme le plus métaphysique et totalitaire qui soit des idéalismes, ce qu'à l'évidence ont démontré les dictatures communistes. Le déni de cette gauche, endossé par l'existentialisme sartrien, fut celui de la morale transcendante qui seule justement peut affranchir l'homme de sa volonté instinctive de domination de l'autre. Elle exige d'assumer le poids de cette tradition humaniste qui a su mettre en valeur la raison dans une autocritique à jamais inachevée.
Cette liberté d'esprit aura donc résulté d'une pratique rationnelle et autonome des valeurs humanistes millénaires héritées des civilisations gréco-latines et chrétiennes. Collectivement, la moralité historique de cet humanisme sera parvenue tant bien que mal à faire valoir l'objectif politique d'une justice sociale équitable fondée sur l'égalité démocratique des citoyens, hommes et femmes. Mais on ne doit pas se leurrer : ce qu'il y aura éternellement à combattre s'inscrit dans la nature même de l'homme et dès la naissance. Il s'agit de la manifestation spontanée de l'animalité grégaire naturelle enfouie profondément dans l'ADN humain et à la loi du plus fort que traduit collectivement un darwinisme social primitif.
Tout individu appelé à devenir un citoyen responsable par cet humanisme y est défini – dans son essence même et par conséquent a priori – comme possédant une dignité respectable par ses seules potentialités tout aussi naturelles en tant qu'être humain, d'accès à la vie autonome de l'esprit. Sur le plan individuel, son principe moral transcendant va donc consister essentiellement dans une culture mettant chacun en contact avec les expériences historiques vécues selon cette liberté d'esprit. Une culture qui n'a de sens qu'en vue d'inciter chaque individu – en faisant appel à sa libre volonté comme sujet conscient de son rapport aux autres – à participer à la construction d'une justice sociale démocratique. Dans cette situation, partant, on est déjà très loin de l'enchaînement à la tradition et à son déterminisme implacable qu'a imposé, par exemple, le cléricalisme québécois moyenâgeux du régime de Duplessis dans les années '50.
Ce qui est fondamental dans ce principe, c'est le dépassement culturel de l'état de nature immédiat dans l'homme, lequel fut toujours exploité par les sociétés humaines sous ses différentes formes. Sous Duplessis cet « ordre naturel » de la subjectivité a consisté principalement dans la religiosité naïve du peuple québécois. Avec le néolibéralisme promu mondialement sous le règne Reagan/Thatcher des années '70, la dérèglementation consécutive de l'économie capitaliste va donner libre cours à l'individualisme égoïste et narcissique qui sera exploité à fond dans la nature humaine. Mais c'est surtout l'empêchement parallèle de toute intervention d'une véritable culture humaniste et la sollicitation médiatique intensive de la société de consommation compensatrice, qui vont nécessairement fausser la liberté de la volonté dans les individus.
L'assujettissement social qui se produit en l'occurrence n'est évidemment plus celui d'une tradition aliénante, mais au contraire celui d'un libéralisme totalitaire exclusivement individualiste et coupé de l'Histoire, lequel s'affiche effectivement comme le « nouvel ordre mondial ». L'aliénation réside dans son détournement postmoderniste de la subjectivité humaine toujours laissée à l'état naturel mais soumise dorénavant entièrement au pouvoir de l'argent. En conséquence pour le néoféminisme, du fait de son obsession d'un ordre naturel humain à préserver en tant que culture, cette aliénation sera à son tour contournée dans une aussi vaine compensation que la consommation à outrance.
Bien sûr, il s'agit de l'enfermement culturel du communautarisme que lui propose la nouvelle religion des droits individuels et son universalisme abstrait, telle qu'instituée par l'idéologie néolibérale du multiculturalisme. Or c'est bien le vide à la fois moral et politique de l'individualisme ainsi uniformisé concrètement par son totalitarisme dans nos sociétés devenues essentiellement capitalistes, qui sert d'accès à la domination oligarchique du mondialisme actuel.
L'aliénation profonde du multiculturalisme
Fruit de la société superficielle du libéralisme totalitaire
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