Suzanne Legault part le coeur gros. Celle qui a porté le chapeau de commissaire à l’information du Canada pendant presque huit ans estime qu’elle n’aurait pas pu faire mieux pendant son mandat, mais elle se désole d’assister à un « déclin » du régime d’accès à l’information.
« Sous l’ancien gouvernement, il y avait eu vers la fin, malgré ce que les gens pensent, certains efforts pour améliorer la performance. Depuis le nouveau gouvernement, il y a eu un déclin à nouveau, déclin particulièrement inquiétant parce qu’il ne semble pas concorder avec le message que le gouvernement véhicule », lance Suzanne Legault au cours d’une entrevue accordée au Devoir pour marquer la fin de son mandat.
Mme Legault en a contre le projet de loi C-58 modernisant la Loi sur l’accès à l’information qui a été présenté par les libéraux de Justin Trudeau en juin dernier. « On avait eu l’espoir que la réforme d’accès à l’information serait [progressiste], mais c’est une réforme [rétrograde] et c’est extrêmement inquiétant. » En théorie, ce projet de loi accorde au Commissaire à l’information le pouvoir de rendre des ordonnances, c’est-à-dire d’exiger d’une institution fédérale qu’elle divulgue les documents lui ayant été demandés. Dans les faits, c’est exactement le contraire qui se produira, affirme Mme Legault.
À l’heure actuelle, lorsqu’un demandeur débouté s’adresse au Commissaire, ce dernier peut après enquête recommander à l’entité gouvernementale de divulguer les documents. Si l’entité persiste dans son refus, le Commissaire peut s’adresser à la Cour fédérale pour lui forcer la main. En vertu de C-58, le processus sera inversé. En cas de refus, c’est l’entité gouvernementale qui pourra s’adresser aux tribunaux. « C’est eux qui contrôlent le litige. Si jamais ils ne font rien, qu’ils font juste s’asseoir dessus, il n’y a rien dans la loi qui permet au Commissaire de les amener en cour. »
Mme Legault est d’autant plus frustrée que le gouvernement clame plutôt que le C-58 lui octroie un puissant pouvoir. « On a beau appeler ça un lion, ça reste un chat. Même si on appelle ça une ordonnance, ça n’en crée pas une. Alors C-58 est un exercice de poudre aux yeux des Canadiens et c’est extrêmement décevant. »
L’autre critique de Mme Legault envers le C-58 a trait à la possibilité désormais accordée à une entité fédérale de ne pas donner suite à une demande d’accès à l’information si cette demande ne précise pas son sujet, le type de document réclamé, la période visée, ou encore si la demande est vexatoire, redondante avec une précédente requête ou si volumineuse qu’elle entraverait le fonctionnement de l’institution. Pour la commissaire sortante, il s’agit d’un important recul.
Mais en quoi est-il si grave d’exiger d’un demandeur qu’il spécifie le sujet de sa demande ? « Il y a des cas où le demandeur ne veut pas préciser la nature de sa demande, où il veut par exemple tous les courriels du fonctionnaire X entre telle et telle date. Ça, ça ne respecte plus les critères », rétorque Mme Legault.
D’autres fois, le demandeur ne connaît pas le type de document où se trouvent les renseignements qu’il recherche. Déjà, des demandeurs se font souvent répondre que les documents réclamés n’existent pas parce qu’ils ont eu le malheur de demander spécifiquement une note de breffage alors que l’information se trouvait plutôt dans un courriel, par exemple. Ne pas spécifier de type de document est une façon de contourner cet obstacle, façon qui ne sera plus tolérée avec C-58.
« Ça vient restreindre le droit d’accès des Canadiens sans raison valable », déplore Mme Legault. Elle remarque que ce changement répond à un appétit certain d’une bureaucratie peu encline à la divulgation. « Dès que C-58 a été déposé, on a reçu deux plaintes visant des institutions qui avaient refusé de répondre à la demande d’accès parce qu’elle ne satisfaisait pas aux critères de C-58, et ce, alors que le projet de loi n’était pas encore adopté ! On a tout de suite vu un engouement […], une réceptivité de la part de la bureaucratie par rapport à ces restrictions. »
Devant les récriminations de la commissaire, Ottawa a reculé un brin. Il a modifié le C-58 pour spécifier que les refus de divulgation devront au préalable être autorisés par elle. Maigre consolation, selon Mme Legault. La Loi étant « prescriptive », elle n’aura pas la latitude de forcer une institution à répondre à une demande qui ne satisferait pas aux nouveaux critères.
Suzanne Legault craint aussi un recul sur la question des frais. Au début de son mandat, la commissaire avait remporté une bataille judiciaire interdisant l’imposition de frais supplémentaires (pouvant atteindre plusieurs centaines de dollars) pour obtenir de l’information si celle-ci est disponible sur support électronique. Or, le C-58 autorise Ottawa à rédiger un règlement encadrant l’imposition de frais supplémentaires, ce qui ouvre la porte à un retour de cette pratique.
Des oublis
Le C-58 ne prévoit par ailleurs aucune disposition pour restreindre le pouvoir des entités fédérales à caviarder les documents réclamés. « Il y a vraiment un déclin dans la divulgation, relate Mme Legault. À l’apogée du système, en 1999-2000, toute l’information était remise dans 40 % des demandes, sans caviardage. Sous le précédent gouvernement, on était tombé à 15 %, puis ça avait recommencé à remonter et on était rendu à environ 25 %. Là, depuis que le nouveau gouvernement est là, on est à nouveau en déclin, avec un taux de 19 % en 2016-2017. Le deuxième plus bas taux de l’histoire en matière d’accès à l’information au Canada, c’est la performance du nouveau gouvernement. C’est pas mal inquiétant. »
Le projet de loi entame à peine son cheminement au Sénat. Mme Legault ne sera pas présente pour assister au dénouement de cette histoire, elle qui quitte ses fonctions mercredi prochain. Son mandat de sept ans devait prendre fin en juin dernier, mais elle a accepté de rester en poste en attendant la nomination d’un successeur. Caroline Maynard prendra le relais.
Mme Legault avait annoncé l’an dernier qu’elle ne solliciterait pas de second mandat. Elle craignait la perception de conflit d’intérêts, alors qu’elle aurait été en attente d’une réponse tout en continuant d’enquêter sur le gouvernement.
Le commissaire à l’environnement, le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, le commissaire à la protection de la vie privée ainsi que le commissaire au lobbying ont aussi des mandats de sept ans renouvelables, tandis que le vérificateur général du Canada et le directeur général des élections sont nommés pour 10 ans sans possibilité de prolongation.