"D'où vient l'accent des Québécois? Et celui des Parisiens?"

L'accent québécois sous la loupe d'un phonéticien

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Le «français québécois standard»


Cliche, Jean-François - Voilà sans doute l'un des plus intrigants paradoxes de l'histoire québécoise. Du temps de la Nouvelle-France, le "parler canadien" était unanimement louangé comme une forme particulièrement pure de français. Mais quelque part entre 1760 et 1810, le monde entier s'est ravisé. Aux yeux de tous, notre accent était soudainement devenu "lourd", "sans grâce", "corrompu". Que s'est-il donc passé entre les deux?
Dans son livre [D'où vient l'accent des Québécois? Et celui des Parisiens?->12939], qui sera lancé officiellement aujourd'hui, le phonéticien retraité de l'Université Laval Jean-Denis Gendron croit avoir trouvé la réponse.
"Les Français disent au départ que l'accent des Canadiens est identique à celui de Paris, puis, au XIXe siècle, ils disent qu'il est tout à fait différent. Alors, comment l'expliquer? Ce ne sont pas les Canadiens qui avaient changé leur façon de parler, mais bien les Parisiens. Donc, il fallait chercher comment eux avaient changé", expliquait M. Gendron, hier, lors d'un entretien téléphonique.
Grand et bel usages
Pendant longtemps, deux modèles de diction ont coexisté dans la Ville lumière, souligne M. Gendron : le "grand usage", qui était la langue savante des discours publics, employée au Parlement de Paris, dans les cours de justice, par la bourgeoisie instruite et au théâtre; et le "bel usage", utilisé en privé dans les salons de la noblesse. Sa prononciation, plus relâchée que celle du grand usage, devait paraître "naturelle", c'est-à-dire ni vulgaire, ni affectée.
Elle avait tendance à tronquer certaines lettres et faisait rager beaucoup de grammairiens français. Le bel usage prononçait ainsi, entre bien d'autres : "leux valets", "sus la table", "quéqu'un", "velimeux", "des habits neus", "ostiner", "neyer" (noyer), "netteyer", "frèt", etc.
"On dit dans le discours familier qu'il fait "grand fraid" (...) mais en preschant, en plaidant, en haranguant, en déclamant, je dirois "le froid"", écrivait par exemple le grammairien français Gilles Ménage en 1672.
Puisqu'il était plus proche de la langue du peuple que le "grand usage", on ne s'étonnera donc pas, après la lecture de cette courte liste, que les visiteurs aient eu l'impression que le parler de la Nouvelle-France soit semblable en tout point, ou presque, avec l'accent de Paris - voir notre tableau.
Mais la haute société parisienne, qui a longtemps flotté entre les deux accents, bascule totalement à la révolution de 1789. Le roi de France, ou le "rouè", comme il disait peut-être, est décapité. L'aristocratie, dont le prestige donnait jusque-là préséance au bel usage, fuit la France (quand elle le peut), ce qui laisse toute la place à la bourgeoisie et à "sa" manière de parler. La révolution, écrit
M. Gendron, "sera en même temps politique et linguistique. (...) L'autorité et le prestige acquis par les gens de lettres vont leur conférer le pouvoir d'influencer la langue, en devenant le modèle à imiter".
Ce changement de la prononciation parisienne - certaines consonnes, comme le r manquant de "sus la table", seront carrément restaurées, dit M. Gendron - se fera aussi très vite, à l'échelle de l'histoire des langues : quelques décennies tout au plus. "Cela s'est fait naturellement, dit M. Gendron. Personne ne s'en est rendu compte. Il y a l'historien Charles Bruneau qui le mentionne un peu, mais les autres historiens n'en parlent pas."
La révolution linguistique surviendra d'abord chez les Parisiens, pour qui l'ancienne prononciation commencera à "faire paysan".
La colonie isolée
Le Canada français, lui, n'a évidemment pas pu suivre. Bien que les voyages en France furent permis par les Britanniques, la Conquête marqua le retour d'une partie de la noblesse canadienne en Europe et coupa les liens administratifs entre l'Hexagone et sa colonie. En outre, la menace que fit peser Napoléon sur la Grande-Bretagne mena à un blocus de la France qui isola encore plus les francophones d'Amérique.
"Alors quand les voyageurs reviennent avec le nouvel accent qu'ils ont acquis à la révolution, ils ne comprennent plus. Ils ont oublié leur ancien accent, qu'ils retrouvent chez les Canadiens, mais sans savoir que c'était le leur", dit M. Gendron. Et comme la langue de Paris est la référence la plus courante en français, les visiteurs des autres pays basèrent dessus leur opinion de l'accent canadien.
jfcliche@lesoleil.com


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