J’ai souvent vanté, publiquement, vos bons talents de chroniqueur de la vie quotidienne. Foglia, votre immense public est garant de cette amusante faculté de jacasser avec esprit. Mais voilà qu’un bon matin récent, purisme étonnant chez vous, vous joignez le peloton des affligés de notre français québécois.
Maudit verrat qu’on parle mal ! Tautologie ? Évidence ? Personne d’un peu instruit ne va vous contredire, j’en suis. Bon, on parle pas bien pantoute. L’élève et aussi sa maîtresse d’école et les parents aussi bien sûr. On est bien d’accord. Mais c’est bien court, de l’ordre du simple constat. Ça crève les… oreilles. Mais oui. Je viens pourtant vous implorer de ne jamais oublier les racines de ce mal-parler, de ce mal-écrire aussi. On lit là-dessus que ça va mal aussi aux États-Unis, en France aussi. Partout alors? Mais, ici, au Québec, il y a des faits têtus qui ne font qu’augmenter, encombrer, cette situation apparemment universelle : les jeunes s’expriment mal.
Ne jamais l’oublier : le français au Québec a été durant des siècles une langue « secondaire », sans importance. Diminuée et méprisée. L’outil des pauvres, des dominés, de ceux qui ne contrôlaient rien. En dehors des rares esprits forts - les Buies, Asselin, Fournier, etc. - le peuple de colonisés que nous étions n’était jamais stimulé sur le sujet de la langue française. Pierre Foglia, vous avez bien que nous venons d’une majorité de paysans pauvres, de cultivateurs archimodestes, d’ouvriers souvent illettrés quand ce n’était pas des analphabètes.
Les temps ont changé, c’est vrai, mais nous traînons ce vilain héritage et très visiblement. Mon père, fils d’habitant, disait toé pis moé. Je ne reprocherai à personne de vouloir corriger nos lacunes ou de souhaiter du changement. Je reprocherai toujours à ces surveillants bien intentionnés de jouer les amnésiques. Dès la défaite (prière de ne plus dire la conquête) de la Nouvelle-France, notre langue française était condamnée. Sans la très grande peur de nos conquérants face aux patriotes « indépendantistes américains » qui rôdaient à nos frontières, les victorieux Anglais nous auraient menés, et rapidement, à la totale assimilation, cela est sûr et certain. Fini le français en Amérique du Nord! Nous parlerions tous l’anglais aujourd’hui. Donc, le peuple Québécois parle français, un certain français, réalisé. Ce « miracle » étonne absolument les visiteurs de l’Europe, surtout de la France mais… il n’est pas pur. Il serait étonnant qu’il en soit autrement, Pierre Foglia. Vous, fils d’émigrant italien exilé en France, qui vivez au Québec depuis si longtemps, je vous implore de ne pas oublier cette histoire lourde, difficile, fragilisante. Les racines de notre mal.
Sans cesse il y a eu des tentatives de nous diminuer, de nous diluer; je gage que vous connaissez bien ces épisodes de racisme, ces efforts de francophobie pure. Tout cela ne faisait rien pour valoriser le français. Tant des nôtres se sont carrément assimilés, hors les frontières québécoises et aussi à l’intérieur du pays. Le [speak white->archives/ds-chroniques/docs3/jf-03-9-27.html] d’il n’y a pas si longtemps dans le grand Montréal -où vit la moitié des Québécois- fut perçu par plusieurs non pas comme une insulte mais comme une simple et fatale réalité. Triste vérité !
Il y a eu progrès depuis la vitale loi de Camille Laurin et bien plus nombreux qu’on pense sont ceux, mieux instruits désormais, qui s’amusent simplement du jargon des « Têtes à claques », une parlure qui fait rigoler la France. Ainsi, notre pauvre langue maternelle, le joual, devient, mais oui, comme un exotisme que nous chérissons! Eh oui, nous gardons une sorte d’affection pour ce patois. Patois que, en passant, vous faites bien d’utiliser vous-même à l’occasion, une couleur ajoutée fort sympathique! Tout cela dit, cessons l’accablement et le masochisme, évitons de jouer un noir fatalisme à la mode du jour. À mesure que, collectivement, nous reprenons confiance en nous, il y a nette amélioration.
Déjà, il arrive assez souvent, lunettes noires enlevées, que nous nous surprenons d’entendre un peu partout, dans la rue ou dans une cour d’école, un bon niveau de français parlé et écrit; cela même dans le modeste monde des ouvriers. Facile de vérifier, de comparer et d’apprécier les progrès si on examine des documents d’archives -sonores et visuels.
Nous émergeons davantage chaque jour de la noirceur culturelle historique. Celle d’un triste passé relativement récent. D’avant 1960. Époque bien connue quand tous les Canadiens de langue française étaient perçus par nos bons maîtres anglos en porteurs d’eau et scieurs de bois. Allons, admettons-le. Même s’il y a certainement place pour davantage de progrès. Vive l’espoir! Sus au pessimisme ambiant ces temps-ci.
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