EUROPE

Kosovo-Serbie : pourquoi ce regain de tensions ?

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Soutenue par Moscou, la Serbie pourrait vouloir reprendre le Kosovo

De nouvelles tensions ont éclaté, dimanche, à la frontière entre la Serbie et le Kosovo, ancienne province serbe, où des barricades ont été érigées et des coups de feu tirés sur la police. Des événements qui se reproduisent assez régulièrement au gré des négociations entre les deux parties, sans que cela ne conduise jusqu'ici à un conflit majeur.


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Plus de vingt ans après la fin de la guerre, le torchon brûle encore entre la Serbie et le Kosovo, son ancienne province à majorité albanaise dont elle ne reconnaît pas l'indépendance proclamée unilatéralement en 2008.


La frontière entre les deux pays a été le théâtre, dimanche 31 juillet, d'un regain de tensions, la police kosovare ayant déclaré avoir été la cible de coups de feu dans le Nord alors que des barricades ont été érigées par des centaines de Serbes du Kosovo sur des routes menant aux points de passage de Jarinje et Brnjak.


Ce qui a mis le feu aux poudres ? La nouvelle politique frontalière du gouvernement kosovar, censée entrer en vigueur lundi. Selon ces nouvelles règles des autorités de Pristina, toute personne entrant au Kosovo avec une carte d'identité serbe se doit de la remplacer par un document temporaire pendant son séjour dans le pays. Face aux accrochages survenus dimanche, le gouvernement du Kosovo a finalement décidé de reporter d'un mois l'entrée en vigueur de la mesure.


Mais depuis la fin de la guerre en 1999 (qui a fait plus de 13 000 morts, dont 11 000 Albanais), la paix entre Kosovo et Serbie demeure fragile, et les points d'achoppement sont nombreux. En septembre dernier, le nord du Kosovo avait déjà connu de vives tensions, émaillées de manifestations et de blocages de la circulation aux postes-frontières, après la décision de Pristina d'interdire les plaques d'immatriculation serbes sur son territoire.


Dimanche, le Premier ministre kosovar, Albin Kurti, a rappelé que la toute nouvelle mesure découlait du principe de réciprocité, la Serbie imposant les mêmes exigences aux Kosovars entrant sur son territoire.


Alors que la Force déployée par l'Otan au Kosovo (KFor) a averti d'une situation sécuritaire "tendue" dans les municipalités du nord du pays, le président serbe, Aleksandar Vucic, a, quant à lui, évoqué une "atmosphère portée à ébullition", et ajouté que "la Serbie gagnera" si les Serbes sont attaqués.


De son côté, le Premier ministre kosovar a accusé le dirigeant serbe de déclencher des "troubles", et écrit sur Facebook que "les prochaines heures, jours et semaines peuvent être difficiles et problématiques".


Pour autant, les spécialistes estiment peu probable une véritable escalade des tensions, le scénario se reproduisant sur le même schéma assez fréquemment.


De nombreux points de blocage et une paix fragile


"Tous les trois ou six mois, on a ce genre de tensions parce qu’une mesure est proposée d’un côté et refusée de l’autre", explique Alexis Troude, professeur de géopolitique à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) et spécialiste des Balkans. "Sur place, les autorités de Pristina entrent dans les municipalités du nord du Kosovo, peuplées par une majorité de Serbes, et ces derniers font des barricades... C’est toujours le même scénario", poursuit-il.


Selon le chercheur, ces heurts prennent leur source dans les accords signés en 2012 à Bruxelles entre Pristina et Belgrade. Depuis, des négociations ont lieu sous l'égide de l'Union européenne et les mesures qui en découlent ne sont pas toujours du goût des deux parties.


Certaines ont notamment du mal à passer auprès de la minorité serbe qui vit toujours dans le nord du Kosovo mais reste loyale à Belgrade, dont elle dépend financièrement. La situation au Kosovo n'a "jamais été aussi complexe" pour la Serbie et les Serbes qui y vivent, a d'ailleurs déclaré, dimanche, le président serbe, Aleksandar Vucic, dans un discours à la nation.


De manière générale, les tensions reposent sur une incompréhension. "Les Serbes estiment que les accords de 2012 [qui stipulent que pour que le Kosovo soit reconnu, Pristina doit assurer l'autonomie de trois municipalités du Nord, habitées en majorité par des Serbes, NDLR] n'ont pas été respectés", développe Alexis Troude. "Or, les autorités de Pristina, qui n’ont jamais envisagé cette option, vont jusqu'à dire depuis quelques semaines que ce point est caduque et que ces municipalités n'obtiendront jamais leur autonomie."


Pour Belgrade, le Kosovo reste une province méridionale de la Serbie, tandis que le Kosovo œuvre pour être reconnu par la communauté internationale (aujourd'hui 96 États sur 193 le reconnaissent), et voit ses efforts régulièrement neutralisés par le voisin serbe depuis la fin de la guerre.


Il y a 24 ans, des tensions entre la majorité musulmane albanaise et la minorité serbe du Kosovo dégénèrent en une escalade de violences, entraînant une intervention militaire serbe.


La forte répression contre les civils albanais déclenche une campagne de bombardements de l'Otan sur la Serbie de 78 jours, contraignant Slobodan Milosevic, homme fort de Belgrade, à ordonner le retrait des troupes serbes du Kosovo. Le cessez-le-feu obtenu en juin 1999 est suivi du déploiement d'importantes forces de l'Otan. La région est alors placée sous administration de l'ONU. En 2008, elle déclare unilatéralement son indépendance avec le soutien des États-Unis et de la plupart des pays occidentaux. Ce que n'a jamais accepté la Serbie, soutenue par la Russie et la Chine.


Un "jeu géopolitique" auquel joue aussi la Russie


Entre Belgrade et Pristina, les relations n'ont donc jamais été normalisées. Si l'indépendance du Kosovo est aujourd'hui reconnue par la plupart des pays occidentaux, la Serbie s'y refuse, tout comme la Russie, qui fait figure de "soutien politique de la Serbie". Si bien que Belgrade est aujourd'hui la seule capitale européenne à soutenir Vladimir Poutine depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.


Dans ce contexte, les intérêts qui se jouent dans le conflit entre la Serbie et le Kosovo ne sont peut-être pas anodins. Sur Twitter, Mark Urban, journaliste de la BBC, évoque la possibilité "que la Serbie ait fait monter les enchères dans le cadre d’une action géopolitique coordonnée avec la Russie".


De son côté, Alexis Troude évoque "un jeu géopolitique" avec d’un côté les États-Unis et le Royaume-Uni qui confortent l'autorité de Pristina, et de l'autre Belgrade, soutenue de plus en plus fortement par la Russie et la Chine.


Ces deux puissances ont toujours mis un point d'honneur à faire respecter la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies qui déclare intangibles les frontières de la Serbie. Depuis environ deux ans, elles investissent aussi de manière soutenue en Serbie, ce qui les amène à avoir un pouvoir de plus en plus fort sur les autorités de Belgrade.


Pour Alexis Troude, "Vladimir Poutine est en train de réaliser ce qu'il avait annoncé en 2002". Il y a vingt ans, le président russe détaillait sa théorie de "l'étranger proche" correspondant à la sphère d'influence historique de Moscou, dans laquelle est comprise la Serbie, État le plus proche de la Russie avec la Hongrie.


Si les principaux investisseurs (financiers) sont toujours français, allemands ou américains, le spécialiste des Balkans rappelle que les Chinois et les Russes utilisent, eux, la géostratégie en investissant dans deux secteurs clés : l'énergie et les transports. "Au moment où Moscou coupe le robinet du gaz en Europe de l'Ouest, le gazoduc Turkstream, lui, fonctionne pour les Serbes, ce qui contribue à faire gagner aux Russes énormément d'opinions favorables".


"L'Otan est déjà sur place et intervient déjà"


L'ensemble des éléments menant au regain de tensions actuel est pris très au sérieux par les pays de l’Otan. Dans un communiqué de presse diffusé dimanche soir, la Force chargée d’instaurer la paix et d'assurer la stabilité dans la région depuis 1999 (KFor) se dit prête à intervenir si nécessaire sur mandat du Conseil de sécurité des Nations unies.


"Aujourd’hui, la KFor contribue toujours à maintenir un environnement sûr et sécurisé au Kosovo et à y préserver la liberté de circulation au profit de tous", rappelle-t-elle, se disant "prête à intervenir si la stabilité est menacée" dans le nord du pays.


"L'Otan est déjà sur place et intervient déjà", explique Alexis Troude, qui rappelle que la KFor opère le contrôle aux frontières et la sécurité dans la région.


Le Kosovo abrite d'ailleurs le camp Bondsteel, qui la plus grande base de l'Otan à l'extérieur des États-Unis, précise le spécialiste des Balkans. "Bondsteel, ce sont 8 000 hommes qui sont au cœur du Kosovo en permanence".