Jean-Frédéric Poisson : « Les périodes de crise sont malheureusement propices au renforcement des systèmes de contrôle »

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Vers la banalisation de la surveillance de masse


Projets de (tracking), d’application contre le Covid-19, restrictions de la liberté de déplacement, etc. Une chose est certaine : le confinement empiète gravement sur les libertés individuelles. Pour Jean-Frédéric Poisson, président du Parti chrétien-démocrate, l’heure est à la vigilance.



L’application en question est au cœur des critiques. Que vont devenir les données ? N’est-ce pas la porte ouverte au flicage de masse tel qu’il existe en Chine ?

Notre détermination à lutter contre l‘épidémie doit-elle se faire au détriment de nos libertés ?


C’est une opposition formelle à l’installation et à l’exploitation d’une application de cette nature.

Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, nous sommes dans un contexte de crise majeure. Dans ce contexte de crise majeure, on constate de manière habituelle un rabotage des libertés fondamentales et la mise en place de mécanismes de surveillance pour se prémunir d’un certain nombre de dangers ou de menaces. Elles ont toujours le même point d’aboutissement. Une restriction de nos libertés et des protections qui sont accordées à nos droits fondamentaux.

Il s’agit d’installer des applications sur les téléphones portables. Elles permettront de surveiller nos déplacements, de comprendre avec qui nous sommes entrés en relation ou tout simplement en proximité géographique. C’est aussi la possibilité de récupérer au passage beaucoup de nos données personnelles absolument pas protégées par aucune protection électronique.

Si l’intention peut paraître louable, celle de contrecarrer une progression éventuelle de l’épidémie de coronavirus l’arrière-plan est beaucoup plus inquiétant. Derrière cette application se dessine le marché absolument faramineux du croisement entre les données personnelles de santé et la possibilité pour un certain nombre d’opérateurs de vendre des médicaments, des prestations de santé et des applications nouvelles…

Ils ont la perspective d’utiliser ces applications à d’autres fins que celles de la protection de notre santé. Une fois que cette mécanique est installée, elle peut servir à beaucoup d’autres choses que de nous protéger essentiellement contre la progression de cette épidémie. On peut imaginer : le comportement alimentaire, la fraude fiscale, les aides de tout genre, les achats aux supermarchés. Une fois qu’on a accès par ce biais à nos données personnelles non protégées, il y aura des marchés extrêmement juteux. Les spécialistes chiffrent ces marchés en milliard de dollars dans les décennies à venir.

Tout cela intéresse donc les opérateurs. Les institutions publiques françaises ne font pas le travail qu’elles devraient. Le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel et la Commission nationale informatique et liberté ont rendu des avis extrêmement souples sur cette perspective inquiétante. Ne mettons pas un pied de plus dans la démarche infernale. Elle consiste à faire de chacun d’entre nous, une marchandise que l’on peut vendre par appartement par l’intermédiaire de nos données personnelles qui seraient accessibles par cette application et à peu près tous ceux qui en auraient besoin.

La perspective qui est donnée comme rassurante pour nous expliquer que ce seraient des opérateurs européens qui récupéreraient ces applications et qui en assureraient la gestion, n’est pas exactement compatible avec les accords passés par l’État français avec la société Microsoft ou d’autres sociétés américaines. Nous sommes assez largement prisonniers d’entreprises américaines sur ce qui concerne nos données personnelles. Il y aurait-là un pas de plus dans un abandon de notre souveraineté extrêmement dangereux.


Ne dit-on pas aux grands maux les grands remèdes ?


Il est probable que la crise nécessite des grands remèdes, mais je crois que nous les connaissons déjà. Cette année, le confinement va nous faire perdre sept ou huit points de produit intérieur brut. C’est une récession sans précédent en dehors des périodes de guerre et peut-être de la crise de 29-30 en France, dans le siècle qui vient de s’écouler. Le fait que nous soyons déjà restreints en termes de déplacements, de libertés de culte, de capacités d’échanger et de rencontrer nos familles fait déjà partie des remèdes assez grands. Nous avons déjà payé un lourd tribut à cette épidémie et ce n’est pas fini. Cette situation ne nécessite pas de système d’information privatif de liberté et du rabotage de nos droits fondamentaux.

On a déjà connu cela avec l’État d’urgence à la suite des attentats du Bataclan. En 2015, il a fallu batailler sans grande réussite pour que le pouvoir exécutif ne puisse pas faire ce qu’il veut avec nos libertés fondamentales. Notamment sur nos droits à ne pas être perquisitionné sans l’avis d’un juge, ne pas être assigné à résidence sans décision de justice, à ne pas voir fouiller sa voiture sans qu’un juge se soit prononcé… Tout cela mérite d’être parfaitement surveillé.

Encore une fois, les périodes de crise sont malheureusement propices aux renforcements des systèmes de contrôle. Ce dernier se fait de manière presque unilatérale à l’encontre de nos droits fondamentaux. Nous y voyons aussi un outil de progression pour l’installation de la logique néo-libérale qui a besoin de concentrer les libertés individuelles sur les libertés de consommation, et de faire en sorte que les autres soient reniées parce qu’elles n’intéressent pas le marché.


Cette crise met en suspens la plupart de nos libertés fondamentales. Est-il à craindre que cela ne soit pas momentané, mais bien inscrit dans la durée ?


Je reprends la plus récente expérience qui est celle de l’état d’urgence contre le terrorisme installé en 2015 et poursuivi jusqu’en 2016. Les mesures exceptionnelles ont la plupart du temps vocation à être installées dans le droit commun. C’est ce qui s’est produit à propos des prérogatives données à l’État, dans le cadre de la loi 1955 sur l’état d’urgence, et qui a fini par être inscrit dans le droit commun dans les lois de 2016 et de 2017. Il y a évidemment un risque à ce que des dispositions aujourd’hui exceptionnelles deviennent ordinaires demain et qu’elles soient intégrées dans la loi commune. Néanmoins, les restrictions de liberté de déplacement que nous connaissons aujourd’hui traitent évidemment de la liberté des cultes. C’est particulièrement sensible, mais cela s’arrêtera avec la fin du confinement.

À la différence des systèmes de surveillances policières inscrites dans la loi, je ne vois pas comment ces libertés fondamentales là pourraient être mises en danger dans des lois ultérieures.

Je pense que le Conseil constitutionnel ne donnerait pas son accord et probablement que les Français eux-mêmes opposeraient une forme de désobéissance assez énergique dont je ferais partie si c’était le cas.

Je me demande si nous n’allons pas vers des dispositions qui pourraient demeurer dans le cadre du travail. En effet, dans la loi d’urgence sanitaire, on voit des dispositions sur l’organisation du télé travail et sur les dispositions qui concernent la durée hebdomadaire de travail sur les plages de repos. Tout cela est adapté en fonction de cette crise. La loi d’urgence sanitaire nécessite un report décidé par le parlement. Ces mesures annoncées par le gouvernement se mettront en place à partir de la semaine prochaine, et ce jusqu’au 23 juillet. Je ne vois pas comment on pourrait faire autrement que de passer par ce report pour les maintenir. Il peut y avoir un assouplissement d’un certain nombre de règles sociales à l’occasion de la sortie de ce confinement. J’espère que non parce que le droit s’est considérablement dégradé depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron, il ne faudrait pas continuer en ce sens.


Plus de 60 % des Français ne font plus confiance au gouvernement sur sa gestion de crise ? Partagez-vous ce sentiment ?


Je partage pleinement ce sentiment et il s’explique. En situation de crise quelle que soit son ampleur et sa nature, il y a trois règles à observer de manière systématique. Premièrement, on ne parle pas tous les quatre matins. Deuxièmement, quand on parle c’est pour dire des choses définitives. Et troisièmement, on dit la vérité. Le gouvernement a manqué à ces trois obligations de manière quasi systématique depuis le début de cette crise sanitaire. Madame Buzyn en expliquant que pas un seul cas de coronavirus ne franchirait les frontières françaises et que la Chine avait parfaitement fait tout ce qu’il fallait pour confiner. On voit bien qu’il n’en a rien été. Les communications entre le Premier ministre, les ministres de l’Éducation nationale, de l’Intérieur, du Travail et la porte-parole du gouvernement sont absolument contradictoires. Tout cela donne l’impression d’une gestion à la godille. Tout cela ne peut pas donner confiance à la population française. On leur dit que les masques ne servent à rien et après on apprend qu’il faut en porter. On dit que tout est fait pour soigner, mais on voit que les protocoles de médicaments qui peuvent aboutir à des résultats cliniques intéressants sont interdits.

Nous sommes dans une espèce de défaut terrible de préparation et d’anticipation, mais surtout de total manque d’expérience dans la gestion des crises. Nous payons tous ce manquement. La confiance dans la capacité du gouvernement à nous sortir de là s’en fait sentir. Je partage pleinement le sentiment des Français et je suis très interrogatif sur ce qui va se passer dans les mois à venir.

Si effectivement, le gouvernement gère la crise sociale et économique qui s’annonce dès l’été, mais de manière très sensible à la rentrée comme il a géré la crise sanitaire, je pense que nous allons vers des jours extrêmement difficiles.