Sous le regard de sa femme Yolande Brunelle, Gilles Duceppe s'adresse à ses partisans après la déconfiture du Bloc québécois au scrutin de lundi.
PHOTO: GRAHAM HUGHES, PC
Cher M. Duceppe, j'ai voté pour le député néo-démocrate dans la circonscription de Rosemont-Petite-Patrie, Alexandre Boulerice. Au-delà du fait que ce député aux valeurs progressistes me ressemble et qu'il n'est pas du tout un «poteau», j'ai voté pour un parti fédéraliste pour la première fois de ma vie et, paradoxalement, pour la souveraineté du Québec.
Je conviens que ma stratégie peut être perçue comme tordue. Je respecte énormément le travail que vous avez toujours fait pour le Québec. Vous étiez, jusqu'à votre démission, le plus rigoureux et le plus cultivé des politiciens sur la scène fédérale. J'aime votre volonté et votre coeur à la bonne place. Lors du dévoilement des votes, je suis restée bouche bée. Je m'attendais à ce que le Bloc prenne une claque, mais que je ne m'attendais pas à ce qu'il soit presque décimé.
Je ne m'attendais surtout pas à ce que vous perdiez votre comté, ni à ce que ça fasse déjà si mal de voir les conséquences du choix que je venais de faire. Les yeux pleins d'eau de vous voir si digne, j'ai voulu dès ce moment-là vous expliquer ce que je venais, ce que nous venions de faire?: vous sacrifier.
Je ne crois pas que le NPD pourra bien nous représenter et je n'ai pas voté en ce sens. Bien sûr, j'aurais voulu me débarrasser de Stephen Harper. Mais je n'ai jamais pensé un seul instant que le NPD pouvait prendre le pouvoir, même minoritaire. Au fil de ma réflexion, il m'est apparu évident que le Québec ne serait jamais bien représenté au fédéral, même par vous. De mon expérience d'électrice, trop jeune et frustrée de n'avoir pu voter en 1995, ayant toujours eu le Bloc là, en chien de garde, c'était une nouvelle constatation. Il m'a semblé également de plus en plus absurde d'avoir un Bloc fort à Ottawa et un gouvernement faible à Québec. Par faible, j'entends rien qui ne soit capable de battre Jean Charest et les libéraux, un gouvernement qui ne m'a jamais représentée.
De chien de garde nécessaire à Ottawa, je me suis mise à voir le Bloc et son travail comme un analgésique ou encore comme un plaster. Rien ne va trop mal au Québec, mais rien ne va mieux. On stagne. Je suis écoeurée: je ne veux plus qu'on en parle, je veux qu'on agisse. En ce sens, il faut que je vous dise que votre slogan n'était pas très bon.
J'ai regardé les députés du Bloc, pour beaucoup extrêmement compétents, dévoués, et j'ai eu soudainement envie de les voir rentrer au bercail. De les voir changer les choses ici plutôt que de se battre dans l'arène du ROC, là-bas. Toujours majoritairement dans l'opposition, nous ne ressemblons collectivement pas au ROC, rien à faire... Sans vous à Ottawa, on va se faire avoir.
Je sais cela et pourtant j'ai choisi de vous sacrifier. La souveraineté, l'indépendance, l'autonomie du Québec me semblent toujours essentielles afin d'avoir un gouvernement qui nous représente enfin dans toutes les sphères.
Et voilà où j'en arrive: j'ai voté pour un parti fédéraliste pour ne plus avoir la conscience tranquille. Il est temps d'enlever le plaster sur la plaie, qu'on se souvienne de notre blessure, que la douleur se fasse de nouveau sentir dans la population, sans pilules bloquistes pour la soulager, pour qu'enfin, peut-être, l'on agisse au lieu de parler. Déjà, le choc se fait sentir, les Québécois ont mal au lendemain de ces élections...
«Ventre plein n'a pas de rage», chantait le grand Félix. Sans vous là-bas, mais avec vous ici, j'ose espérer que le ventre vide des Québécois s'enragera et choisira la seule option possible pour enfin avoir un gouvernement qui leur ressemble et agit en fonction d'eux et de leurs besoins.
Pardonnez-moi donc, M.Duceppe, je vous ai sacrifié, mais en ce moment, je referais la même chose avec l'espoir de l'alouette en colère au coeur. Défendons-nous chez nous maintenant.
Au lendemain des élections, le 3 mai au matin, je suis allée sur le site du Parti québécois et j'ai renouvelé ma carte de membre. Pour l'instant, ce geste est symbolique, mais mon message est clair: «Je suis prête.» Êtes-vous prêt, M. Duceppe?
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Kathleen Gurrie
L'auteure adresse sa lettre ouverte à Gilles Duceppe, qui a remis sa démission comme chef du Bloc québécois.*
* L'auteure est conceptrice-rédactrice. Elle habite à Montréal.
L'auteure adresse sa lettre ouverte à Gilles Duceppe, qui a remis sa démission comme chef du Bloc québécois.
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