Israël : littérature israélienne, théocratie et intégrisme juif

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Israël - 1948-2008 : 60e anniversaire


La littérature israélienne a pris à partir des années 1960, une tournure farouchement individualiste, en rupture totale avec le courant nationaliste consensuel qui y régnait avant et après la création de l'Etat d'Israël et qui s'est manifesté talentueusement chez des poètes tels que Nathan Alterman, Abraham Chlonski, Uri-Zwi Greenberg, Léa Goldberg, Chin Chalom ou des romanciers comme Chmouel Agnon (Prix Nobel de littérature en 1966), Haïm Hazaz et Moché Chamir. Les auteurs qui ont commmencé à publier après la fondation de l'Etat ont rompu brutalement avec toutes les idéologies
majoritaires nées au sein des diverses mouvances du Sionisme en Diaspora ou en Palestine: nationalisme étatique, socialisme marxisant ou tolstoïsme d'Aaron David Gordon, car pour eux l'Etat juif indépendant n'était plus un idéal exaltant, mais une réalité banale avec tous les désenchantements que peut engendrer la banalité. Cette attitude se retrouve chez la plupart des grands noms de la littérature israélienne contemporaine: Dan Pagis, Dalhia Ravikoitch, Yéhuda Amichaï, Haïm Gouri, Yona Wollach, A. B. Yéhochoua, Amos Oz, David Grossman, Batya Gur, etc..
Tous ces poètes et romanciers ont substitué aux sujets nationalistes et socialistes des thèmes individualistes et existentiels: l'amour, le désir, le sexe, la mort, la quête de l'identité personnelle, le non-sens de la vie et l'absurdité de la guerre. Cet individualisme a poussé la plupart de ces écrivains à devenir, dès 1967, des apôtres ardents de la paix avec les arabes et à militer pour un dialogue urgent avec les palestiniens. En même temps, l'individuation de la littérature israélienne en a fait l'espace privilégié pour l'expression de toutes les voix des minorités de la société israélienne, juifs marocains exclus par l'establishment ashkénaze, arabes israéliens, druzes, palestiniens nationalistes, juifs francophones et laïques originaux tels les tenants du mouvement cananéen.
Ainsi le poète Erez Bitton s'est fait l'écho des revendications des immigrants venus du Maroc et jetés dans des conditions économiques et culturelles affreuses dans les villes en développement. Né en 1942 en Algérie dans une famille marocaine, Erez Bitton est arrivé à l'àge de six ans en Israël. Devenu aveugle à la suite d'un accident, il a fait des études de psychologie, mais après l'émergence des "Panthères noires" qui rappelèrent avec violence l'existence du grave problème des laissés pour compte à cause de leur origine orientale, Bitton est devenu l'avocat de de toutes les victimes sépharades de l'exclusion. Son principal recueil, Le Livre de la menthe, a été traduit en français en 1981.
La communauté arabe a trouvé un écho à ses problèmes dans les oeuvres d'Emile Habibi et d'Anton Shammas. Décédé le 2 mai 1996 à l'âge de 74 ans, Habibi a ohtenu le plus grand prix littéraire de l'Etat hébreu, le Prix Israël, en mai 1992, sous un gouvernement Likoud. Son roman le plus important, Soraya fille de l'ogre, a été publié en français chez Gallimard. Quant à Anton Shammas, poète et romancier qui écrit à la fois en arabe et en hébreu, il est surtout connu en France par son récit polyphonique, Arabesques, traduit en 1988. Les Druzes ont trouvé un porte-parole de valeur en Naïm Araydi qui écrit en hébreu et dont un magnifique choix de poèmes, Le trente-deuxième rêve a été traduit en français par Michel Eckhard-Elial en 1990. II ne faut enfin pas oublier les auteurs palestiniens nationalistes qui sont restés en IsraëI où ils ont profité de la liberté d'expression qui y a régné pendant un temps pour exprimer les revendications de leur peuple. Parmi ces écrivains, il faut mentionner Samih Al Quassim, ex-Président des auteurs palestiniens d'Israël, dont l'oeuvre a été traduite en une vingtaine de langues, et Salim Jabrane qui vit à Haïfa où il a dirigé le quotidien arabe communiste Al Ittibad, créé par Emile Habibi avant la fondation de l'Etat. Rappelons aussi que le plus grand poète palestinien, Mahmoud Darwich, qui a conquis une audience internationale, n'a quitté qu'en 1971 Israël où il a composé ses premières oeuvres qui l'ont imposé comme la conscience du peuple palestinien. N'oublions pas aussi les écrivains juifs francophones tels: Joseph Milbauer, André Chouraqui, Claude Vigée et Ami Bouganim qui ont réussi à maintenir une présence française dans la culture israélienne.
Parmi les voix minoritaires, une place singulière doit accordée aux écrivains du mouvement cananéen, créé dans les années '60 par le poète Yohahan Ratosh, dans la mesure où ces auteurs se rattachent à tous les courants littéraires du XIXème siècle, fondés sur l'exigence d'une transmutation totale des valeurs dans le monde juif. Au-delà de l'aspect folklorique de la mouvance cananéenne qui voulait renouer avec les divinités et la mythologie de Canaan, il faut surtout retenir de cette tendance son désir de rompre avec l'interprétation rabbinique de la Bible. En ce sens, les cananéens comme Ratosh, Aaron Amir ou Asher Reish ont repris les théories du poète hébreu le plus original de la première partie du XXème siècle, Saül Tchernichovski (1875-1943). Adversaire farouche de l'orthopraxie juive qu'il accusait d'avoir dévitalisé et dénaturé l'homme juif et fervent admirateur de la culture grèque, Tchernichovski a opposé dans son célèbre poème Face à la statue d'Apollon, l'éthique héllenique qui mène à l'épanouissement de l'homme à la morale rabbinique ascétique qui a étouffé dans l'âme juive tout élan vers la beauté, vers la liberté et la joie de vivre, qualifiant les scribes religieux de "révoltés contre la vie". Par ses attaques contre les orthodoxes juifs, Tchernichovski se rattache aux nombreux auteurs Maskilim (partisans des Lumières) du XIXème siècle, notamment au poète Yehouda leib Gordon (1830-1892) et à l'essayiste Micha Berdichevski (1865-1920). Deux auteurs qui ont vécu en Russie où ils ont révolutionné la mentalité de la jeunesse juive en la préparant à recevoir le message régénérateur du Sionisme. Dans son oeuvre poétique très riche, écrite dans un hébreu superbe, Gordon a traité les thèmes les plus variés: bibliques, post-bibliques, exil d'Espagne, et surtout les graves problèmes des juifs de son époque, opprimés par le fanatisme et l'obscurantisme des orthodoxes. Quel que fût le sujet traité, Gordon s'attachait à montrer à quel point l'esprit biblique, fondé sur l'amour de la vie et l'épanouissement de la personne au sein d'une nation libre, avait été trahi par les fanatiques qui ont enténébré l'univers juif par des lois inhumaines et asservissantes.
Ces positions ont amené certains orthodoxes à dénoncer le poète comme comploteur et Gordon et sa famille furent incarcérés dans les prisons tsaristes pendant plusieurs semaines. Heureusement ses amis Maskilim réussirent à prouver son innocence. Après sa libération Gordon reprit son combat anticlérical avec plus d'ardeur encore, notamment en faveur de la libération des femmes, qui étaient -- et restent encore aujourd'hui -- les principales victimes du rigorisme rabbinique, comme il l'a montré dans son célèbre poème Un point du Yod. Dans cette satire, Gordon raconte l'histoire de la belle Batshéva, mariée contre son gré à un talmudiste parasite qui un jour décide d'aller chercher fortune très loin. Pendant des années il ne donne aucune nouvelle.
Batshéva fait la connaissance d'un jeune ingénieur et ils tombent amoureux l'un de l'autre. L'ingénieur arrive après des efforts surhumains à retrouv'er les traces du mari et à obtenir le Gueth (acte de divorce) pour Batshéva mais le rabbin du village déclare que le Gueth n'est pas valable parce qu'il manque un point minuscule dans un Yod et ainsi la vie de Batshéva est gâchée à tout jamais. Quant à Micha Berdichevski, il a introduit dans littérature hébraïque moderne le Nietzschéisme et n'a cessé d'accuser les orthodoxes d'avoir imposé par la coercition et les menaces aux juifs résignés une morale d'esclaves qui tue en l'homme tous les désirs naturels. La pensée de Berdichevski peut se résumer dans cette phrase: "Le judaïsme dévore les juifs".
Ainsi, des grands auteurs de la littérature hébraïque du XIXe siècle, par leur subversion féconde contre la doxa théocratique, ont contribué à l'émergence d'un nouvel homme juif, libéré des contraintes orthopraxes et aspirant à l'indépendance nationale. Cet esprit subversif est réapparu sous les formes les plus diverses dans la littérature israélienne depuis les années '60 mais doit retrouver aujourd'hui, d'une manière urgente, sa voix anti-théocratique car les orthodoxes israéliens et autres intégristes fauteurs de guerre ont aujourd'hui transformé la Knesset en Beit-Kneisset (Synagogue). Ils sont parvenus à imposer la théocratie à toute la société israélienne. Le rôle des écrivains israéliens doit consister actuellement à dénoncer au nom de la liberté de pensée, toutes les forces de régression religieuse dont le but principal est de bloquer le processus de paix et d'enterrer le sionisme laïque et humaniste des pères fondateurs de l'Etat.
Auteur : Jacques Eladan, lundi 25 février 2008


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