On pourrait croire que le conflit Canada-Québec en immigration porte sur le nombre d’immigrants qu’il est à propos d’accueillir chez nous. C’est une erreur. Dans les faits, le choc porte sur la conception que les deux États ont d’eux-mêmes, ce qui est beaucoup plus grave.
Le Canada se voit comme un contenant et le Québec comme un contenu.
Il fut une époque où dire que le Canada n’avait pas de culture propre nous aurait valu une condamnation assez unanime des classes politiques québécoise et canadienne. Aujourd’hui, le Canada, son premier ministre en tête, revendique avec fierté cette absence de culture commune. En effet, le Canada se définit aujourd’hui comme le premier État postnational, c’est-à-dire un État sans identité qui lui est propre1. Il se voit comme un contenant dont l’identité vient de la diversité des identités. Il n’a même pas d’aspiration à une culture commune, il reste fondamentalement individualiste, accroché aux seuls droits et libertés des personnes. En fait, il reproduit le melting pot américain, mais sous le couvert de la diversité et sans la capacité de rallier les citoyens derrière un idéal commun. Un contenant, c’est tout.
Certaines actions ou inactions fédérales illustrent assez bien cette idée de contenant.
Par exemple, cette course à l’immigration massive n’est associée à aucune mesure pour préserver le poids et l’identité des communautés qui constituent le pays, pas même les francophones hors Québec ni, évidemment, le Québec. Elle n’a même pas fait l’objet de consultations avec les Autochtones. Ce laissez-faire est cohérent, le modèle canadien ne cherche pas à protéger les identités, il les accueille seulement. L’idéologie multiculturaliste ne change pas vraiment le fonctionnement du gouvernement, c’est essentiellement un discours.
Si toute la planète avait la même approche que le Canada, à terme, toutes les cultures du monde disparaîtraient pour ne laisser la place qu’à la culture américaine. Pour un Canada qui se définit par sa diversité, ce serait un bien étrange héritage.
On associe l’idée d’un Canada postnational à Justin Trudeau et au PLC, mais l’idée fait maintenant assez largement consensus en dehors du Québec.
Devant pareille définition de l’identité canadienne, l’objectif d’accueillir 500 000 immigrants par année pour éventuellement avoir une population de 100 millions d’habitants tombe sous le sens. Faute d’une culture originale à offrir au monde, l’ambition canadienne devient celle d’avoir une grande taille.
Le Québec se considère quant à lui comme un État-nation au sens traditionnel du terme, c’est-à-dire qu’il renferme une société d’accueil ayant une culture originale, une culture qui, par son existence même, enrichit la diversité du monde. Cette culture, ce contenu, n’empêche pas le Québec d’être, par habitant, l’une des sociétés les plus accueillantes qui soient.
Grâce à sa culture originale, située au confluent de l’Europe et de l’Amérique, même petit, le Québec a quelque chose à offrir au monde. Son ambition à lui est donc de rester original.
Cette volonté de protéger son originalité explique l’importance pour le Québec de défendre l’existence de droits collectifs lui permettant, par exemple, de protéger le français comme langue d’affichage, d’enseignement, de travail ou encore de protéger ses choix de société, comme la laïcité. C’est le fondement du débat actuel sur l’utilisation de la disposition de dérogation : droits collectifs contre droits individuels.
Cette volonté de protéger son originalité explique aussi l’importance pour le Québec de bien gérer sa capacité d’accueil, capacité que, contrairement au Canada, il ne juge pas infinie. Y a-t-il assez de ressources en francisation ? Réussissons-nous la régionalisation de l’immigration ? Est-ce que les écoles ont ce qu’il faut pour favoriser l’intégration à la culture québécoise ? Ce sont toutes des questions que le Québec, lui, doit se poser.
Pour arriver à réconcilier cette différence de vision entre le contenant canadien et le contenu québécois, il faudrait que la Constitution canadienne reconnaisse la nation québécoise et lui accorde les pouvoirs nécessaires à son épanouissement, une avenue que les Canadiens rejettent. Il y a aussi l’indépendance du Québec qui permettrait à ce dernier de mettre en place son propre modèle, une avenue que les Québécois rejettent.
Trouver une voie de passage. C’est le défi de la CAQ si elle veut démontrer que son modèle nationaliste fonctionne à l’intérieur du Canada. C’est le défi du PLQ s’il veut retrouver la faveur des francophones. C’est le défi du Québec s’il veut éviter de se diluer inexorablement dans le contenant canadien.