L'historien et politologue israélien de réputation internationale Zeev Sternhell souhaite qu'Israël déclare victoire au Liban afin d'amorcer au plus vite une discussion politique. La situation actuelle, estime-t-il dans un article publié dans le journal israélien Haaretz, ne peut trouver de dénouement réel à partir de la logique militaire à courte vue qui prévaut en ce moment.
Le professeur Sternhell observe qu'un voyageur arrivant dans son pays ne peut que constater que tout est mené selon un schéma habituel, avec les mêmes solutions que par le passé. «Apparemment, nous n'avons rien appris de la première guerre au Liban ni de la défaite américaine en Irak. Si la définition des objectifs stratégiques présentée par la haute direction militaire en début de semaine reflète les positions gouvernementales, nous sommes dans un grand pétrin.»
Pourquoi exactement ? «Si Israël s'est embarqué dans une guerre pour forcer le Liban à imposer son autorité dans sa partie sud, qui est entre les mains du Hezbollah -- ce qui en d'autres mots veut dire forcer le gouvernement libanais à entreprendre une guerre civile au service d'Israël --, c'est le signe que le gouvernement est dominé par une pensée encore plus primitive que celle [qu'avait] Ariel Sharon au sujet de Beyrouth il y a près d'un quart de siècle.» Depuis le début de la décennie, l'historien espère que l'État d'Israël soit un jour en mesure de se réformer et d'offrir un nouveau visage politique.
L'objectif de la campagne d'Israël est l'éradication du Hezbollah. Mais comme ce parti est intimement lié à la vie libanaise chiite, cela revient à détruire cette population elle-même. Attaquer des quartiers résidentiels, des centrales énergétiques, des ponts et des autoroutes constitue «un acte de folie que le Hezbollah utilise pour servir ses intérêts stratégiques : une attaque contre l'organisation générale de la vie crée une foi commune entre les combattants et ceux qui se tiennent près d'eux. »
Selon l'analyse de Sternhell, il est illusoire de croire, en Israël, que les 700 000 réfugiés libanais vont reporter leur colère contre leur gouvernement ou que la population qui demeure sur place va se débarrasser du Hezbollah. Pour la population libanaise, «la responsabilité de la catastrophe repose entièrement sur Israël et quiconque refuse de coopérer avec ceux qui luttent contre Israël sera considéré comme un traître à la nation».
La guerre pourrait d'ailleurs fort bien être très longue puisque aucune armée, si bien équipée soit-elle, n'est jamais parvenue à mettre un terme à une guerre de guérilla, rappelle l'historien. «L'incapacité des puissances majeures de mettre un terme aux guerres de guérilla n'est pas un phénomène nouveau : de Napoléon en Espagne jusqu'à ses héritiers en Algérie, des Américains au Vietnam [à ceux qui sont] maintenant en Irak, les armées les mieux équipées et organisées ont toujours failli dans leur volonté de vaincre les forces irrégulières».
Cette nouvelle guerre du Liban semble donc seulement à ses débuts, estime Sternhell. Pour l'heure, Israël exacerbe les problèmes. «Voilà pourquoi nous devrions en arriver à un cessez-le-feu avant que cette campagne militaire ne nous échappe, fasse des victimes inutiles et, à long terme, mène à une erreur stratégique.» Sternhell pense aussi qu'il est temps d'examiner de près les procédures gouvernementales israéliennes et leur dépendance à l'égard des forces militaires.
Réputé pour la méticulosité de ses analyses historiques et politiques, Sternhell se défend d'envisager l'action d'Israël selon un code d'éthique de la guerre. Il fut lui-même officier d'élite et pilote de chars d'assaut en 1973, durant la guerre du Kippour. Il s'agit plutôt, dit-il, d'analyser la situation froidement et d'offrir en conséquence une vision pratique des choses : les intérêts d'Israël sont d'isoler le Hezbollah et de le frapper à sa base, tout en évitant de toucher les populations civiles. Puisqu'il est impensable de détruire ce parti, il faut d'ailleurs s'attendre, dans l'avenir, à ce qu'un Hezbollah encore mieux organisé passe de nouveau à l'action. «Il n'y a pas de solution militaire à cette situation», mais il pourrait peut-être y en avoir une qui soit politique, résume-t-il.
En conclusion de son analyse, Sternhell critique aussi le soutien apporté par Washington à Israël. Il lui semble que le président George W. Bush utilise Israël comme un vassal lui servant d'alibi pour ses propres méthodes discutables de lutte contre le terrorisme.
Né en 1935, professeur à l'Université hébraïque de Jérusalem, Zeev Sternhell s'est surtout fait connaître pour ses travaux très minutieux sur l'émergence du fascisme en Europe. Il a été directeur de l'Université d'Addis-Abeba, en plus d'enseigner et de prononcer des conférences dans diverses universités prestigieuses. Ses travaux sont à l'origine d'un renouveau de la critique de la pensée d'extrême droite dans le monde.
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