Jean-François Nadeau, Université du Québec à Montréal (UQAM)
L'année politique au Québec 1995-1996
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· Rubrique : Les débats idéologiques
Le soir du référendum, la déclaration du premier ministre Jacques Parizeau, profondément perturbé par le résultat, fait couler beaucoup d'encre. Son propos à saveur xénophobe est dénoncé à peu près partout, mais beaucoup d'opposants au projet indépendantiste n'hésitent pas à en remettre, voire à amplifier cette fausse-note pour en faire toute une symphonie discordante. Le passage de Jacques Parizeau à la tête du gouvernement du Québec s'est ainsi terminé sur un nouveau débat idéologique quant aux fondements des positions indépendantistes.
Pour certains, les fondements du nationalisme québécois sont civiques: le projet indépendantiste reposerait sur une conception de la citoyenneté ouverte et englobante. Pour d'autres, ce même nationalisme est jugé avant tout comme identitaire et étroit. Ses fondements toucheraient à l'anticosmopolitisme. Les perceptions divergent.
Après l'arrivée de Lucien Bouchard au poste de premier ministre, les péquistes se font plus modérés et plus conciliants. Au théâtre le Centaur, le Premier ministre prononce un discours devant les leaders de la communauté anglophone qui les invite à favoriser un climat de bonne entente. Le discours, à l'insistance du gouvernement, est très médiatisé. Le thème de la réconciliation devient bientôt la clé de voûte de tous les discours proprement politiques qu'entretient le nouveau gouvernement. Ce qu'affirme le gouvernement Bouchard correspond bien entendu à un désir plutôt qu'à la réalité. Bien qu'il s'applique à blanchir ses mots et à émonder ses idées de façon à répondre à son désir de consensus, le gouvernement n'empêche pas les divisions de se manifester. C'est qu'on ne réduit pas ainsi à néant les motifs de la division idéologique par le seul usage du verbe.
Le gouvernement Bouchard parle beaucoup d'harmonie politique et sociale tout au long de l'année. Les indépendantistes, par l'effet de son impulsion en ce sens, se divisent quant à la façon d'envisager cette question. Pour les uns, il faut d'abord étudier les motifs de nos mésententes pour les solutionner avant de se faire les apôtres de l'union à tout prix dans un contexte politique qui, d'ailleurs, ne l'encourage guère. Pour les autres, il suffit de supprimer le sujet de la discussion pour s'entendre. Dans le contexte post-référendaire, ceux-ci semblent gagner sur ceux-là. Les questions constitutionnelles et linguistiques sont ajournées. Les débats sur la confessionnalité du système scolaire et l'enseignement de l'histoire, repoussés en avant. Les principes de justice sociale, revus dans la seule perspective économique.
Le débat qui entoure le dépôt du rapport sur l'enseignement de l'histoire au Québec illustre cette attitude politique consensuelle. Ce rapport reprend à peu près les grandes lignes du multiculturalisme canadien. Il ne fait peu ou prou de place à l'enseignement de l'histoire nationale du Québec. Pour que tout le monde s'entende dans le cadre d'une idéologie imprégnée de multiculturalisme, il passe sous silence l'histoire nationale pour lui substituer l'histoire des relations entre groupes ethniques, entre femmes et entre autochtones, sans plus voir l'aspect politique qui sous-tend l'organisation générale de l'ensemble de la société. De même, l'histoire des conflits sociaux semble mise en veilleuse. La politicologue Josée Legault écrit dans Le Devoir que le «rapport fait fi de l'urgence de reconnaître au Québec une véritable histoire nationale et d'ouvrir les immigrants à celle-ci dans une approche globale d'intégration».
Après le référendum, une violente sortie de l'ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau contre Lucien Bouchard annonçait déjà que la conciliation souhaitée par ce dernier se ferait aux dépens des positions symbolisées dans le public par l'un ou l'autre des deux hommes. Pour les tenants du fédéralisme canadien actuel, le projet de vie nationale d'une petite nation que symbolise Bouchard apparaît dépassé. Le projet québécois est une «tentative de construction d'un État-nation sans horizon universaliste un peu à la manière de la Slovaquie ou de la Lithuanie, ou de l'Estonie», selon l'écrivaine Régine Robin dans le numéro de juin de la Parole métèque. La puissance des grandes nations est à l'honneur. La pluralité des destins et des situations qu'expriment les petites nations est niée.
Selon le discours fédéraliste, la globalisation qui s'opère à l'échelle du monde fait office de pensée et il suffit donc de la nommer, sans chercher à définir comment elle s'opère, pour être «positif». La globalisation entraîne ainsi la disparition obligée de tout clivage politique. Difficile de concilier cette position avec le désir des souverainistes québécois qui tentent de bonne foi d'assurer la préservation et le développement d'une façon de vivre l'Amérique en français dans un cadre national.
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