Harper et le Québec, prise 2

2006 textes seuls

On a dit souvent depuis l'arrivée au pouvoir des conservateurs que Stephen Harper prépare déjà la prochaine campagne dans l'espoir de remporter une majorité. Ce n'est pas tout à fait exact. En fait, il n'a jamais arrêté de faire campagne, et les trois premiers mois au pouvoir n'auront été que le prolongement d'une campagne qui durera encore longtemps.
Pour son premier grand discours au Québec depuis son élection, hier midi devant la chambre de commerce de Montréal, M. Harper a repris là où il avait laissé à Québec avant les élections lors de son fameux discours d'ouverture. Il en a remis, entrouvrant la porte (certains diront la boîte de Pandore) d'une réforme constitutionnelle pour, notamment, encadrer le pouvoir fédéral de dépenser. Chose certaine, il a promis qu'" aucune proposition ne sera présentée au cabinet fédéral si elle ne respecte pas la division des pouvoirs entre les gouvernements fédéral et provinciaux ".
Cela peut sembler être des paroles en l'air, mais comme Stephen Harper nous a habitués depuis trois mois à nous dire ce qu'il fera et à faire ce qu'il dit, faudrait prendre cette déclaration au sérieux. Vous pouvez être certain, en tout cas, que tous les journalistes politiques du Canada ont noté cette citation en caractères gras dans leur calepin et qu'ils ne se priveront pas de la ressortir à la première intrusion fédérale dans les plates-bandes provinciales.
Il y a des choses comme ça que les politiciens ne devraient peut-être pas dire, question de se garder un peu de marge de manoeuvre, mais Stephen Harper a décidé de tout miser sur le Québec et sur son " fédéralisme d'ouverture ".
Les libéraux vont se féliciter d'avoir choisi décembre pour élire leur nouveau chef parce qu'au rythme où va Stephen Harper, il aurait pu nous replonger en élections dès l'automne prochain. Heureusement pour les libéraux (et pour nous), il devrait toutefois attendre que l'opposition officielle ait un nouveau chef.
Tout ce que fait M. Harper en ce moment n'a qu'un but: mettre la table pour les élections et piquer les partis de l'opposition. Il durcit la loi sur le financement des partis politiques, cela embête les libéraux; il parle de fédéralisme d'ouverture et de déséquilibre fiscal, cela ennuie le Bloc québécois; il promet d'envoyer 1200 $ aux parents pour chacun de leurs enfant, cela coince l'opposition; il parle de faire le ménage, cela rappelle le scandale des commandites des libéraux.
Par moments, Stephen Harper en fait même trop. À l'entendre, hier, on pouvait croire que le Canada est un pays corrompu qui a été dirigé au cours des 13 dernières années par des escrocs et des incompétents qui ont dilapidé des milliards en pur gaspillage et dans des affaires scandaleuses. C'est un peu fort, tout de même, pour un nouveau premier ministre qui tire sa confortable marge de manoeuvre financière des surplus laissés par la gestion du régime précédent.
" Entre les mains des Canadiens, cet argent aurait permis aux parents d'acheter des vêtements et des fournitures scolaires pour leurs enfants ", a lancé M. Harper devant une salle comble du Palais des congrès. En campagne électorale, ce genre de discours passe plutôt bien, mais dans la bouche d'un premier ministre, trois mois après la campagne, ça fait un peu cheapo-populo.
D'autant plus qu'il ne faut pas exagérer. Pour mémoire, rappelons les chiffres du scandale des commandites: un programme de 250 millions dont 100 millions en commissions, dont environ 20 millions détournés. Ce n'est pas beau, mais ce n'est quand même pas la Colombie.
Quant au financement des partis politiques, il faut rappeler que les conservateurs n'ont jamais levé le nez sur les dons des entreprises ou des riches donateurs, et Stephen Harper lui-même en a grandement bénéficié dans ses deux courses à la direction, à l'Alliance canadienne en 2002 puis au nouveau Parti conservateur en 2004.
Mais M. Harper ne fait pas dans les nuances quand vient le temps de pourfendre ses adversaires et il profite à plein ces temps-ci de leur désorganisation. Hier, dans son discours d'une trentaine de minutes, il a mentionné 10 fois le Bloc québécois et neuf fois les libéraux.
À la table d'honneur, M. Harper était entouré de ses ministres québécois, du ministre libéral Benoît Pelletier et même de Mario Dumont, le chef de l'ADQ. Mais aucun représentant du PQ ni personne associé au mouvement souverainiste. " On n'a pas cherché à en inviter, M. Harper veut travailler avec des fédéralistes ", a résumé un collaborateur.
Et Mario Dumont, il est fédéraliste? " En tout cas, il a déclaré qu'il ne veut pas d'un autre référendum, ça nous suffit ", ajoute ce collaborateur. (Y aurait-il un rapprochement en vue entre M. Dumont et les conservateurs? Cela se discute du moins dans l'entourage de M. Harper).
Curieux animal politique, tout de même, ce Stephen Harper, qui joue la main tendue au Québec, mais se montre intransigeant envers les souverainistes. Qui montre un côté très relax à la population, mais qui est prêt à bulldozer l'opposition. Qui a, à la fois, l'opiniâtreté d'un taureau et le flegme d'un cheval de trait.
Les Canadiens semblent aimer, si on se fie aux sondages. La plupart des gens d'affaires rencontrés hier midi ne savent trop quoi penser du nouveau premier ministre, certains ont des doutes sur ses politiques, notamment en matière de garde d'enfants, mais ils apprécient tous sa détermination.
Est-ce la lune de miel? Toujours est-il qu'on lui a vite pardonné David Emerson et Michael Fortier. On ne lui a pas reproché très fort d'avoir baissé les bras devant Washington qui veut imposer le passeport à la frontière. On s'est peu scandalisé de sa spectaculaire volte-face sur les prix de l'essence.
N'empêche, on a hâte de voir M. Harper sortir des sentiers bien balisés de ses fameuses cinq priorités. On a hâte de le voir gérer une vraie crise. Bref, on a hâte de le voir gouverner, pas seulement le voir faire campagne.
Vincent.marissal@lapresse.ca


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