Devant l’ampleur du drame en Haïti, il ne s’agit certes pas de jouer à «mon père est plus fort que le tien» ou encore à «tasse-toi, j’étais là avant toi».
Mais, en lisant certaines nouvelles qui parlent de l’envoi de militaires canadiens qui piaffent d’impatience pour aller aider leur prochain dans ce pays dévasté par une catastrophe naturelle, et en voyant à la télé les images de soldats étasuniens armés jusqu’aux dents avec leur fusil d’assaut M-16, descendant des avions à Port-au-Prince comme s’ils se préparaient à une nouvelle invasion, il m’est revenu à la mémoire cette histoire à propos d’Haïti, racontée un jour par Fidel Castro, après la visite officielle de Jean Chrétien à Cuba, en avril 1998, soit il y a une douzaine d’années.
Au cours des conversations officielles entre les deux chefs d’État, qui durèrent plusieurs heures, Fidel Castro propose au premier ministre du Canada de lancer un programme de coopération en santé avec Haïti: «Haïti est un pays voisin, c’est aussi un des pays les plus pauvres de la planète, avec les pires conditions sanitaires, et le SIDA y fait des ravages. Si on ne fait rien, une catastrophe humanitaire est à craindre. Pourquoi ne donnerions-nous pas l’exemple en lançant un programme de coopération en santé avec Haïti. Cuba enverrait le personnel médical tandis que le Canada fournirait les médicaments et les équipements nécessaires.» Jean Chrétien se dit fort intéressé par ce projet, d’autant plus qu’il s’agit d’agir en faveur d’un pays francophone comme le Québec l’est.
Il demande alors à Fidel s’il en a parlé au président haïtien, ce à quoi Fidel répond qu’il ne l’a pas encore fait étant donné qu’il ne connaît pas la réponse du Canada. Chrétien dit alors qu’il analysera cette proposition et Fidel lui répond qu’il en discutera avec le gouvernement haïtien.
Le cyclone Georges frappe
Des mois passent puis le cyclone Georges frappe durement la République dominicaine, Haïti et les côtes de Cuba. Toujours pas de réponse du Canada. Fidel interpelle alors la communauté internationale:
«Voulez-vous vraiment aider ce pays, qui a été envahi et où on est intervenu militairement il y a peu? Voulez-vous sauver des vies humaines? Êtes-vous capables de faire preuve d’humanisme ? Nous savons comment on peut sauver 25 000 vies par année en Haïti. On sait que dans ce pays, 135 enfants de 0 à 5 ans meurent pour chaque 1000 naissances. [...] Nous proposons que le Canada, qui entretient des relations étroites avec Haïti, ou que la France, qui possède des relations historiques et culturelles avec ce pays, ou les pays de l’Union européenne, qui sont maintenant intégrés et qui sont régis par une monnaie commune, l’Euro, ou que le Japon, bref que ces pays fournissent à Haïti les médicaments dont il a besoin, et nous, nous enverrons les médecins dans le cadre de ce programme d’aide, tous les médecins qu’il faut, dussions-nous envoyer une graduation complète ou l’équivalent en nombre. [...] Ce qu’a besoin Haïti, ce ne sont pas des soldats, ce n’est pas une invasion militaire. Non, ce que ce pays a besoin, c’est d’abord une invasion de médecins pour commencer, c’est une invasion de millions de dollars pour son développement.»
Vous avez bien lu: ce que Haïti a besoin, ce ne sont pas des soldats, ce n’est pas une invasion militaire, mais une invasion de médecins. Pour commencer!
Sept mois plus tard
Nous sommes en novembre 1998 et déjà sept mois se sont écoulés depuis la rencontre Fidel-Chrétien. Aucune nouvelle du premier ministre canadien à propos des projets communs de coopération. Puis le ministre de la Santé du Canada, Alan Rock, effectue une visite à Cuba. Fidel le rencontre et lui explique en détail le programme de coopération conjointe: «Je lui ai demandé d’alléger au maximum les procédures afin que ce programme de coopération avec Haïti voie le jour le plus rapidement possible. […] Le ministre s’est engagé à présenter ma proposition au premier ministre et au Cabinet», raconte Fidel.
Le 4 décembre suivant, Cuba prend l’initiative d’envoyer une première brigade d’urgence pour aider les victimes du cyclone Georges. Puis d’autres brigades médicales suivent dans les semaines suivantes, jusqu’à atteindre le nombre de 12 brigades, pour un total de 388 coopérants cubains. Et toujours pas de réponse de «nos amis canadiens». Le programme médical que Cuba avait proposé de réaliser conjointement avec le Canada est maintenant en marche grâce aux efforts de Cuba, du gouvernement haïtien et d’ONG. Mais sans la participation du Canada. À suivre.
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