Pour la décision il faut ratisser très large...

Grossir les rangs: les Quarante

Tribune libre

Pour avoir l’État souverain désiré, 2 132 980 citoyens doivent aimer l’idée.

C’est 50%+1 de 6 012 440 électeurs à un taux de participation électoral de 72%, moins les ± 63 000 bulletins rejetés habituels. C’est le seuil nécessaire par la méthode d’une élection classique gagnée à double majorité.

Par la méthode du référendum, c’est plutôt 2 779 320 citoyens qui doivent aimer l’idée, car sa nature polarisante et médiatisée fait bondir le taux de participation à 93%.

Conclusion, peu importe la méthode, il faut ratisser très large. Miser exclusivement sur un certain profil de francophones de gauche et de souche ne portera pas fruit.

À chaque profil d'électeur correspond une approche pour le séduire, et cette approche gagne à écouter ses intérêts et ses craintes.

La présente est la première d'une série de trois articles cherchant à accroître l'appui au mouvement par trois profils d'électeurs réticents, c'est-à-dire les anglophones, les nouveaux venus et les « quarante ».

Les Quarante sont les 40% de Québécois de souche qui ont voté contre l'autonomie politique du Québec en 1995. Ils symbolisent un profil d'électeur particulier. Plusieurs de ses intérêts et blocages sont différents de ceux des autres profils réticents à la cause.

Les barrières qui le retient d'adopter la cause seraient...:

1) L'ignorance des statistiques démographiques

Les Quarante ignorent ou choisissent d'ignorer le déclin du poids démographique et politique du Québec au Canada. Ceux conscientisés de cette réalité et de ses conséquences sont rarement amenés à comprendre les bénéfices du plein contrôle que procure l'indépendance.

Pour remédier à cette faiblesse, il faut mieux communiquer et valoriser ces bénéfices. Une perte de poids politique mène à une perte d'influence sur toute une série de directions administratives, sociales, culturelles, financières, etc. Celles-ci ont des conséquences directes sur l'héritage laissé aux prochaines générations. Sans poids, sans État qui les rend majoritaires, ils sont à la merci des politiques dictées par l'extérieur.

2) La méconnaissance des effets du statu quo

Les Quarante croient par erreur que le statu quo est synonyme de stabilité. Ils croient que le paysage sociopolitique, linguistique et économique est stable, suspendu dans le temps, perpétuellement figé tel qu'il est. Statu quo ne signifie pourtant pas stabilité. Le statu quo, ou l'état des choses, peut très bien être un déclin. Dans un tel cas, s'attacher au statu quo signifie s'attacher au déclin. L'état des choses aujourd'hui c'est le gaspillage d'une double fiscalité, la perte de poids politique, la perte d'outils de contrôle économiques, démographiques et culturels, l'absence d'autonomie diplomatique, etc.

Ici encore, il importe de souligner les bénéfices d’une autonomie politique comme solution pour établir une réelle stabilité. Au discours qui affirme que l'indépendance viendra perturber la stabilité du statu quo il faut répondre qu’en réalité, l'indépendance viendra plutôt mettre fin à l'instabilité du statu quo.

3) La fausse association de l'anglais

Les Quarante associent malheureusement Québec indépendant à rejet de l'anglais et comme ils associent anglais à succès, ils associent Québec indépendant à perte de succès. Ils croient à tord que l'anglais du Canada leur assure un avantage qu'ils ne peuvent avoir autrement. La réalité est que le Québec a déjà sa propre composante anglaise, supérieure et plus étroitement tissée aux États-Unis que la vaste majorité des états sur terre. Voisin immédiat des États-Unis depuis 400 ans, foyer d’une diaspora établie partout en Amérique du Nord, orné de trois universités anglophones, empreint d'un héritage britannique dans son vocabulaire, son système politique, etc, le Québec n'a nul besoin du Canada pour maîtriser quelconque avantage stratégique lié à l'anglais.

Pour démanteler ce blocage, il faut valoriser une identité anglophone propre au Québec qui fait compétition à l'identité anglophone canadienne. Le concept de « Quebecker » doit être renforcé et médiatisé, vendu comme une marque de commerce identitaire supérieure à celle de Canadian. Le mouvement gagne aussi à donner beaucoup plus de visibilité aux anglophones souverainistes. Il gagne à valoriser des liens plus serrés avec les É.-U. et favoriser le commerce nord-sud. L'électeur de Beauce et de Québec n'aime pas l'anti-américanisme, et par association n'aime pas un parti qui cherchera à le rendre moins américain, peu importe s'il oublie que l'Amérique a été crée par des indépendantistes et que d'ici 40 ans 1 américain sur 4 parlera plutôt espagnol.

4) L'héritage de l'association syndicaliste

Plusieurs des Quarante associent le mouvement au syndicalisme et par dédain pour les abus du syndicalisme, rejette le mouvement du même coup. Les radios de Québec révèlent la puissance de cette perception et toute sa portée sur l'électeur. La faiblesse des appuis en Beauce l'explique également en partie.

Pour défaire cette image, il faut maintenir le mouvement au centre et éviter un copinage explicite avec le lobbyisme syndical. L'appui de syndicat doit être valorisée à part égal avec l'appui du patronat, peu importe l’historique d’appui passé, l’ego personnel ou les sensibilités philosophiques. Le mouvement gagne également à mettre de l'avant plus de porte-paroles ferrés en affaires, finance, commerce et fiscalité.

5) L'intérêt pécunier personnel

Les Quarante ont également tendance à faire passer leurs intérêts immédiats personnels avant ceux de la collectivité et des générations futures. Cet électeur est facilement apeuré par quelconque signe d'insécurité financière, qu'il soit fondé ou non. S'il travaille pour le fédéral, il craindra de perdre son emploi; s'il collecte une pension fédérale, il aura peur de la perdre; s'il planifie un voyage au sud, il craindra de perdre son passeport et ne pouvoir y aller; s'il planifie une expansion de son entreprise, il craindra les complications administratives. Peu importe si le nouvel État prend la relève sans interruptions sur ces sujets, l'irrationalité et la peur l'emporte. Peu importe également si cette transition passagère mènera à un meilleur avenir à long terme pour les générations futures et la collectivité, pour eux l'intérêt personnel immédiat prime.

Pour contrer ce réflexe, il doit être amené à développer une confiance très forte dans les organisateurs potentiels du nouvel État. Il faut également souligner beaucoup plus agressivement les avantages financiers personnels et les bonifier généreusement. Une campagne qui tient mieux compte de l'égoïsme et de l'individualisme de notre ère est susceptible d'apporter davantage d'appuis.

6) L’instinct culturel de se ranger avec Goliath contre David

Les Quarante tendent à percevoir négativement la force du rebelle et méprisent « l'underdog ». Cet électorat semble partager une vision antirépublicaine qui valorise plutôt l'élite établie. Il tend à percevoir les règles du jeu comme inviolables et le destin comme immuable. Ils ont peu de respect pour celui qui se bat en désavantage numérique. Voir le petit tenter de vaincre le grand suscite en lui très peu d'admiration ou de sympathie. Ils sont réactionnaires. Être du côté du vainqueur lui importe plus que quelconque principe, morale personnelle ou sens de justice. Et ce, peu importe si cette position fait indirectement tord à celui qui suivra. Les concepts d'honneur et de sacrifice personnel sont pour lui des abstractions sans grande valeur. Il préfèrera être l'esclave d'un riche qu'un homme pauvre libre. Il n'est pas chien alpha. Il est pragmatique avant tout.

Pour réussir à contourner cet instinct, le mouvement gagne à avoir un chef qui projette une image de force et d'autorité. Il est également conseillé d'évacuer quelconque apitoiement, plainte ou affirmation de persécution de l'argumentaire indépendantiste. Le mouvement doit prendre des airs de gagnant, et valoriser ce qui est à gagner. L'idée de réparation d'un tord historique, la victimisation et la pitié doivent être tenus à l'écart du discours dirigé à ce type d’électeur. Souligner l'affaiblissement politique et économique de l'adversaire qu’entraînera une victoire aide aussi à créer ce sentiment d'être du côté gagnant, du côté qui a de l’impact et des cartes dans son jeu.

7) Le faible sens critique de l'image fédérale

Les Quarante tendent à se fabriquer une image virtuelle du Canada, vague et abstraite, qui leur permet de l'adopter libre de honte ou de malaise. L'éloignement géographique, le fossé des langues et l'aspect abstrait et vide des symboles fédéraux, de même que leur invention récente, ne peuvent qu'aider à soutenir un tel phantasme. Pour ceux qui poussent plus loin, une faible connaissance de l'Histoire, un dédain pour leur origine et un individualisme axé sur le présent leur permettent de réécrire l'Histoire. Une défaite devient un destin, un patriote devient un terroriste, Wolfe devient César civilisateur, etc.

Les Quarante se créent une image mentale où par magie le Canada serait devenu une sorte de Belgique, Suisse ou Union Européenne. La réalité est que le Canada n'est pas la Belgique, ni la Suisse, ni l’UE. Il n'y a pas de stabilité démographique entre les partenaires. Les taux de bilinguismes sont à sens unique. La cohabitation s'est fait à l'origine par la force, non d'un commun accord. Il y a eu déportation, des exécutions et des efforts d'étouffement culturels. Les Quarante voit le Canada comme un partenariat à deux. Le Canada voit le « canadien-français » comme une ethnie de plus parmi une vingtaine d'autres et s'irrite de plus en plus que quelconque d'entre elles reçoivent un traitement spécial. L'idée de deux peuples fondateurs égaux, mutuellement respectés et valorisés est en fait un mythe. Le Canada perd 1% de francophone tous les dix ans. Ils sont passés de ± 90% de sa population à 21% et continuent de chuter année après année.

Les Quarante tendent à voir chez les symboles canadian ceux d’une fédération alors que tout citoyen hors Québec voit ces même symboles comme ceux d’un nationalisme pur et direct. Le Canada anglais diffuse son drapeau avec un zèle ultranationaliste qui baigne la moindre compétition sportive et le moindre message publicitaire. Ce même symbole est aujourd’hui celui de radicaux qui interdisent la fleur-de-lys sur l’olympien québécois, et celui des éditorialistes de Toronto qui regorgent de propos haineux sur la loi des langues officielles, sans compter celui d'une masse d'extrémistes canadiens ultranationalistes qui, loin de vouloir dialoguer et débattre avec diplomatie les avantages de la fédération, appellent plutôt à l'extermination des indépendantistes

Plusieurs mesures peuvent être prises pour contrer l’interprétation «lunettes roses» de l’image fédérale. Il s’agit ici de contrer l’ignorance et la propagande identitaire. L’incohérence entre les identités canadian et québécoise doivent être soulignée, de même que les situations où la première subjugue la seconde sans motif. Un enseignement honnête et non évasif de l’Histoire doit être valorisé. Le Canada ne peut prétendre avoir la virginité morale d’un pays né en 1964, il ne peut prétendre avoir l’âge et l’innocence de ses symboles inventés de toute pièce. L'Unifolié cache l'Union Jack, la loi des langues officielles cache le déclin des francophones. Son identité émerge d’un continuum sans vraie coupure avec le passé, elle s’ancre dans un héritage plus sombre qui ne s’est jamais pleinement repenti.

8) Une connaissance limitée de l'Histoire humaine.

Finalement, les Quarante cultivent des pseudo connaissances sur les grandes vérités de notre ère, des préceptes philosophiques simplistes et mal informés tenus comme Évangile. Ils croient que l'indépendance est un repli alors qu'elle est une ouverture sur le monde. Ils croient que la voix d’une province obscure porte plus que celle d’un État. Ils croient que les grands ensembles sont l'avenir alors que seul l'État-nation a su perdurer au cours des âges et que l'UE craque de partout. Ils croient qu'intégration économique exige fusion politique alors qu'elles sont complètement distinctes et gagnent en souplesse à le demeurer. Ils ne voient pas la justification d'un nouvel État mais refuse la fusion de leur État actuel avec un autre. Ils croient qu'un divorce canadien sera un cataclysme économique alors que celui du Royaume-Uni, plaque tournante financière mondiale, est anticipé avec calme et sang froid. Ils croient que l’idée de République est du radicalisme alors que son concept est honoré et repris partout au monde. Ils croient que l'indépendantisme est obscure alors qu'il est né des Lumières et a guidé la vie de Ghandi, Washington, Collins, et une quantité innombrable d'hommes respectés et honorés partout sur Terre. Ils croient que l'anglais est l'avenir alors qu'il est en déclin aux États-Unis. Bref, ils croient que l'Histoire a cessé de tourner et s'est figée éternellement, soudainement imperméable à la nature humaine.

Plusieurs des huit points listés ont trait à l'image du parti. Là où le parti est «tâché» aux yeux des Quarante, le mouvement l'est tout autant par association. Une minorité seulement fait le discernement entre parti et mouvement. Une bonne image du parti est donc cruciale pour une bonne image du mouvement.

L'auditeur de Radio X apprend à dédaigner l'indépendance parce qu'il dédaigne le PQ qu'il l'associe au syndicalisme et à l'anti-américanisme. Se réchaufferait-il à la cause si elle était portée par un parti plus ouvertement centriste et américanophile?

Pierre Karl Péladeau aurait été susceptible de plaire à l'électeur de Québec, il n'est pas lié au syndicalisme, il est un homme d'affaire typiquement nord-américain, il a même été l'un des rares à considérer injecter du capital privé dans leur projet d'amphithéâtre. L'électorat de cette région a néanmoins rejeter son parti politique et préférer reporter le vieux parti libéral teinté de corruption au pouvoir. Conclusion, l'image du mouvement indépendantiste dans la région de Québec a si profondément été souillé que l'électeur ne suit même plus la logique de son propre discours et le rejette maintenant en soi par dessous tout.

La popularité du football universitaire, la vogue du cheerleading, la présence d'une base militaire dont les retours de soldats sont médiatisés, les animateurs de radio conservateurs à la Rush Limbaugh, la région de Québec s'est forgé une culture américaine Midwest très typée. De plus, l'absence d'immigrants qui cherchent à s'angliciser aux dépens du français y crée une illusion de stabilité et de confort dans le statu quo politique. Le visiteur de Québec de passage à Montréal s'offusque de l'omniprésence de l'anglais qu'il y trouve. Cela ne vient que confirmer qu'il n'est pas familier avec tous les enjeux affectant sa province, et par ricochet, omet de mettre dans la balance certains faits lorsqu'il vote.

Modifier le nom du parti, dissocier son image du syndicalisme et de l’anti-américanisme, valoriser les bénéfices d'une capitale d'État plutôt que provinciale, affaiblir l'identité canadian en soulignant la nature anti-américaine de ses origines, etc, une panoplie de mesures peuvent réussir à renverser cette perception et redorer l'image de la cause dans ces régions dominées par les Quarante.

Le partisan mal à l’aise avec certains de ces compromis doit être stratégique et comprendre qu’il aura l’éternité pour corriger le tir une fois le nouvel État crée. Sans eau dans son vin, pas d’indépendance ; pas d’indépendance, pas de pouvoir pour fabriquer le vin qu’il voudra bien.


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    6 mai 2014

    Merci M. Charlebois pour votre si belle analyse. J'ai pris beaucoup de plaisir à vous lire et mon accord avec vos propos est total. Vous avez très bien identifié, mieux que tous, les causes de notre défaite et les mesures à prendre pour y remédier. Votre compréhension de la psychologie des Quarante est particulièrement éclairante. J'ose espérer que notre Parti retiendra dans son entièreté ce que vous dites pour préparer sa prochaine stratégie électorale.
    Que pensez-vous de l'idée de tenir une élection référendaire? Si le PQ est élu avec 50%+ 1, le gouvernement élu doit déclarer l'indépendance. S'il est élu avec moins de 50% et une majorité de sièges, il forme seulement le gouvernement sans faire de référendum sur l'indépendance. En tout cas, vos chiffres m'apparaissent supporter cette idée et cela permettrait à tous de jouer cartes sur table.