«Les politiciens de tous bords, en mal de filiation, se réclament encore régulièrement des idées ou des actions de René Lévesque, constate Alexandre Stefanescu dans la présentation de René Lévesque. Mythes et réalités. Il est devenu la principale référence du monde politique québécois.» Mais, demande Martine Tremblay, ancienne directrice de cabinet du chef péquiste et collaboratrice à ce collectif, «comment donc retrouver la vérité de René Lévesque»?
Un peu iconoclaste, la journaliste Lysiane Gagnon lance le débat en rappelant que la cote de popularité de Lévesque était très faible en 1985, au moment de sa retraite politique. «Si la mémoire de René Lévesque a atteint une dimension mythique, affirme-t-elle, c'est moins à cause de ce qu'il a fait qu'à cause de ce qu'il était», c'est-à-dire un «rebelle ambivalent».
Un homme de gauche
Était-il un homme de gauche? Dans sa contribution, Marc Comby, archiviste à la CSN, montre que la gauche radicale québécoise s'est posé la question, a répondu non et s'est surtout opposée à Lévesque. Le politologue Serge Denis propose un angle de vue différent. Contrairement aux partis sociaux-démocrates du monde occidental, explique-t-il, le Parti québécois n'est pas directement issu du mouvement ouvrier. Néanmoins, pendant ses dix premières années d'existence, il a servi «à affermir et à hausser la position des mouvements ouvriers et populaires», à la manière des partis de la social-démocratie. Lévesque, au fond, était un «libéral de gauche», mais sa conception «radicale» de la démocratie -- qui mettait en avant la reconnaissance des libertés et des droits, mais aussi «la nécessité d'assurer les conditions de cet exercice des libertés et des droits» -- a permis au PQ d'incarner «une réponse positive aux aspirations militantes de l'époque». De 1967 à 1977, donc, le PQ n'est peut-être pas social-démocrate à l'européenne, mais il joue néanmoins ce rôle, d'une façon distincte.
Pour le politologue Alain Noël, qui résume de fort éclairante façon la distinction gauche/droite, Lévesque fut clairement un homme de gauche, mais d'une «gauche pragmatique et capable de gouverner -- ce qui ne va pas toujours de soi -- [et] qui a aussi combattu, dans son parti et en dehors, une autre gauche, "doctrinaire" et inspirée par "des notions marxistes du XIXe"». La droite démocratique, explique Noël, «adhère aussi à l'idéal égalitaire», mais elle se distingue de la gauche en entretenant un relatif pessimisme à cet égard. En faisant le pari de la volonté et de l'action collective, Lévesque, selon lui, aurait donc agi «comme un authentique homme de gauche, et non pas uniquement comme un démocrate, un nationaliste ou un populiste».
Un souverainiste
Était-il vraiment souverainiste? Oui, répond ici l'historien Éric Bédard, mais il refusait le concept de rupture, cher au RIN de Bourgault. Cette position expliquerait, d'ailleurs, ses atomes crochus avec les membres du Regroupement national (RN), composé de dissidents conservateurs du RIN. Le nationalisme de Lévesque, selon Bédard, cherchait, comme celui du RN, «à faire une synthèse entre tradition et modernité». Dans cette optique, le projet souverainiste doit s'inscrire «dans une continuité historique» et éviter le concept riniste de thérapie de choc.
Pour illustrer cette position, Bédard avance une interprétation originale de la Révolution tranquille selon Lévesque. Celle-ci, suggère-t-il, «par l'élan de confiance qu'elle allait donner aux Québécois, était donc moins une rupture qu'une façon de renouer avec le passé, celui de la Nouvelle-France bien sûr, mais d'une Nouvelle-France complètement revisitée, qui avait probablement peu à voir avec celle du chanoine Groulx, qu'il [Lévesque] respectait par ailleurs». Dans un autre texte de ce collectif, l'historien Xavier Gélinas tente justement de montrer qu'il n'y a pas nécessairement de rupture «entre nos ancien et nouveau nationalismes» et que «Groulx et Lévesque ne furent pas étrangers l'un à l'autre».
Les plus radicaux ont parlé de mollesse pour qualifier le souverainisme de Lévesque. Aujourd'hui encore, ce refus de la rupture catégorique est perçu par plusieurs comme une malsaine ambivalence. Et s'il s'agissait, pourtant, de la position politique la plus rationnelle, tant d'un point de vue québécois que canadien? Bien sûr, le refus du Canada anglais de l'entendre ainsi la rend inopérante, mais peut-on accuser celui qui la défend d'être timoré, alors qu'il a la raison pour lui? Il me semble que notre impasse n'a pas été suffisamment pensée en ces termes, sauf, peut-être, et je l'avance au risque de la polémique, par Claude Morin, si proche de Lévesque en ce sens. Pour le plus grand chef de l'histoire du PQ, explique Guy Lachapelle, le nationalisme était valable à deux conditions: s'il signifiait être pour soi et non contre les autres et si ses revendications étaient orientées contre des structures injustes et non contre des personnes.
Homme intègre et souverain, à la manière de son mentor G.-E. Lapalme, ainsi que le rappelle Michel Lévesque, René Lévesque admirait l'État d'Israël et entretenait un dialogue sincère avec les juifs de Montréal, raconte Pierre Anctil. L'«égalitarisme foncier» qui caractérisait la société américaine le fascinait, explique Louis Balthazar. Juifs et Américains, pourtant, craignaient son projet.
Inspiré par le rythme verbal de Roosevelt qui, selon lui, «forçait l'attention et créait un suspense en ciselant les mots de tous les jours», le «grand lecteur» qu'était Lévesque n'a jamais cessé de parler et d'écrire pour convaincre, avec, écrit bellement Pierre Nepveu, «le désir secret d'égaler la littérature ou, plus justement, de lui emprunter ses pouvoirs afin de rétablir les ponts entre le local et l'universel, et surtout pour redonner à l'histoire son "suspense", sa puissance inventive, la projeter, au-delà de tous les calculs, vers l'inconnu et ainsi, comme il aimait le dire, "libérer l'avenir"». C'est pour ça qu'on l'aime.
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Mythes et réalités
Sous la direction d'Alexandre Stefanescu
VLB
Montréal, 2008, 256 pages
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