Les délégués passent, mais le paysage demeure. Alors que le délégué général du Québec à Paris Michel Robitaille s’apprête à quitter ses fonctions pour céder sa place à l’ancienne ministre de l’Éducation Line Beauchamp, cette nomination n’a surpris personne. Depuis quelques semaines, le nom de l’ancienne ministre de l’Éducation et de la Culture n’était pas seulement le premier qui venait à l’esprit des observateurs, mais il était surtout pratiquement le seul. D’abord, parce que Line Beauchamp ne fera que traverser la Seine puisqu’elle était déjà depuis un an la représentante du Québec au sein de la délégation canadienne à l’UNESCO. Ensuite parce qu’on ne se bouscule pas au portillon et que le poste de délégué général à Paris n’a plus l’attrait qu’il avait.
Il fut une époque où devenir délégué général à Paris était le couronnement d’une longue et brillante carrière politique ou diplomatique. Pensons à Marcel Masse, Yves Michaud et Clément Duhaime. À Paris, on devait non seulement s’attendre à côtoyer les grands de ce monde, mais aussi à se retrouver au coeur du triangle Paris-Québec-Ottawa. Bref, à arbitrer un certain nombre de conflits politiques délicats. À l’ambassade du Canada, on nommait des personnages de la trempe de Lucien Bouchard. On n’en est plus là.
Il y a longtemps que la diplomatie québécoise en France a regagné sa niche et qu’elle n’ambitionne plus d’occuper tout l’espace que lui confère le statut diplomatique exceptionnel de délégation générale. Statut qu’elle est d’ailleurs la seule à posséder à Paris avec la Palestine. En pratique depuis 10 ans, à l’exception de mesures destinées à faciliter la mobilité professionnelle, les délégués ont surtout géré la décroissance. Signe des temps, le navire amiral de la diplomatie québécoise ne possède plus que la moitié du budget qu’il avait en 2009.
Mais le mal est plus profond. À une époque où Xavier Dolan parle anglais à Cannes, il faut être aveugle pour ne pas voir la lente dérive des continents qui s’opère. Certes, les liens entre Français et Québécois n’ont jamais été si nombreux et les affaires si prospères. Mais elles prospèrent aussi avec la Chine et les États-Unis. Il suffit de surfer sur le site de l’Office franco-québécois pour la jeunesse pour découvrir qu’on y parle autant du Mexique et de la Belgique que de la France.
Répétons-le, alors que la France est la troisième destination du monde pour les étudiants étrangers et qu’elle accueille à elle seule 27 000 étudiants chinois, la capitale de la Francophonie attire chaque année moins de 1000 étudiants québécois, qui viennent souvent pour de très courts séjours. Une situation scandaleuse à laquelle les ministres Jack Lang et Louise Beaudoin avaient promis de mettre fin… en 2002 ! Depuis, rien n’a été fait.
Résultat, les élites québécoises ont de moins en moins cette connaissance sensible de la France sans laquelle la Francophonie ne sera jamais qu’une architecture sans âme. La France est en voie de devenir au Québec un pays comme les autres, quand on ne pousse pas l’infamie jusqu’à en dissimuler le patronyme, comme on l’a fait dans l’indifférence générale en rebaptisant le Musée de l’Amérique française « Musée de l’Amérique francophone ». Cachez ce sein…
« Chaque vingtaine d’années, une nouvelle cohorte [de Québécois] naît qui s’intéresse moins à la France », affirmait le cinéaste et romancier Jacques Godbout dans un livre d’entretiens (Le tour du jardin, Boréal) publié en 2014. Certes, on nous dira que depuis un certain nombre d’années, le Québec a « redécouvert son américanité » (comme si nous n’avions pas toujours été Américains !). Mais il reste qu’on peut s’interroger sur l’avenir d’une francophonie québécoise qui se vante souvent d’être indifférente à la France et qui la tient le plus souvent pour quantité négligeable.
Quant aux relations d’État à État, il semble que dans la tradition néolibérale elles soient devenues secondaires, comme si la coopération France-Québec s’était dépolitisée. Pour ne pas dire démonétisée. Cela commence à faire quelques années que, tous gouvernements confondus, on se contente de gérer l’état des lieux. Comme s’il suffisait de répéter inlassablement les mots « jeunesse » et « créativité » pour dire quelque chose.
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