La semaine dernière, nous pouvions lire dans Le Devoir une phrase pour le moins surprenante. Une responsable de planification familiale était interrogée sur l’étrange disproportion entre garçons et filles que les experts ont constatée dans les naissances au sein des familles d’origine indienne au Canada. Pour une raison inconnue, il naît en effet beaucoup plus de garçons dans ces familles, et cela s’accentue à partir du troisième enfant. On sait qu’en Inde, où seul un fils peut exercer les rites funéraires durant la crémation de ses parents, l’avortement sélectif est une pratique courante.
Or que répondait la consultante ? « On ne va pas chercher les motivations quand une femme veut avorter, alors pourquoi on irait chercher celles de ces femmes-là ? » Peut-être justement parce que ces avortements pourraient cacher un crime abominable !
« Circulez, y a rien à voir ! » Telle est la réponse que l’on entend souvent dès qu’il est question des pratiques culturelles et religieuses d’une minorité. Comme si la religion n’existait pas et qu’elle était toujours un facteur secondaire et négligeable. Les crimes d’honneur ? De toute façon, les femmes sont toujours discriminées partout. Le port du voile islamique ? Cela dépend de la façon dont on le porte et, pour le reste, cette vieille coutume disparaîtra bientôt. Le djihadisme ? Une réaction extrême de jeunes « radicalisés » due à la pauvreté et à la discrimination.
Tout se passe au fond comme si la religion ne faisait jamais partie de l’équation. Après les attentats de Paris, le président François Hollande poussa d’ailleurs le ridicule jusqu’à affirmer que ces crimes n’avaient « rien à voir avec la religion musulmane ».
Et pourtant, que nous disent les djihadistes sinon que leur seule motivation est religieuse ? Sinon que tout ce qu’ils font est d’abord justifié par la foi qui leur vient du Coran ? C’est à ce véritable déni que s’attaque Jean Birnbaum dans un livre tout en nuances, en finesse et en érudition intitulé Un silence religieux (Seuil).
Au fond, nous dit le directeur du cahier littéraire du journal Le Monde, la gauche — car il s’agit surtout d’elle — adhère à une vision à ce point « progressiste » du monde, où les religions sont censées s’effacer devant la raison, qu’elle n’est même plus capable de penser le religieux, d’en comprendre les mécanismes et d’en mesurer la force de conviction. Au mieux, la religion ne serait qu’une trace de l’ancien monde qui disparaîtra bientôt. Jamais elle ne peut être perçue comme une force du présent, et encore moins de l’avenir.
C’est bien là ce qu’on appelle un déni. Or, cette cécité vient de loin, rappelle ce disciple du philosophe Jacques Derrida. Birnbaum montre avec quel zèle la gauche française qui soutenait avec raison la libération de l’Algérie n’avait pas voulu voir les racines souvent religieuses de cette guerre d’indépendance. Or, sans l’islam, le Front de libération nationale n’aurait jamais pu mobiliser les masses algériennes. À gauche, on voyait bien les signes d’un combat contre les infidèles, mais l’émancipation allait y remédier et faire disparaître ces stigmates du passé. Ce n’était qu’une question de temps.
Birnbaum rappelle que le philosophe Michel Foucault avait bien vu, lui, dans la révolution iranienne une révolution spirituelle comparable aux révoltes protestantes en Europe. Mais on ne le prendra pas au sérieux, convaincu que le progrès matériel aurait raison de ces vieilleries. Birnbaum remonte même jusqu’à Marx, dont les héritiers ne verront dans la religion que le simple « soupir de la créature opprimée ».
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