Francophonie et mondialisation culturelle - Que faut-il attendre du Sommet de Québec?

XIIe Sommet de la Francophonie - Québec du 17 au 19 octobre 2008



Un changement d'échelle dans les ambitions et les ressources de la Francophonie est attendu du sommet des chefs d'État et de gouvernement membres de la Francophonie, qui se réunira à Québec dans six mois.
Ce changement d'échelle est rendu nécessaire en raison de la nouvelle concurrence linguistique et culturelle qui se déploie dans le monde et rendu possible par la capacité renouvelée de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) de relever les défis posés par cette concurrence.
Une nouvelle concurrence mondiale
Il importe en priorité de dire la nécessité et la normalité de la Francophonie. Elle n'est ni une anomalie, ni une curiosité, ni même une exception. Les deux tiers des pays du monde appartiennent à des communautés linguistiques et culturelles comparables, et ce mode de rassemblement est en expansion. On savait les anglophones, les hispanophones, les lusophones, les turcophones et les arabophones rassemblés dans des communautés culturelles et linguistiques à peu près comparables. Il faudra désormais compter avec la Chine, l'Inde, la Russie et quelques autres, désormais au travail pour défendre leur langue, en accroître le nombre de locuteurs et promouvoir leur culture à l'échelle de la planète.
- La Chine a la ferme intention de faire du mandarin l'autre lingua franca du XXIe siècle. À cette fin, elle déploie une politique de grande envergure et consacre beaucoup de moyens à la création de 10 000 centres Confucius dans le monde à l'horizon 2020, chacun de ces centres constituant un laboratoire d'enseignement de la langue et de promotion de la culture chinoise.
- L'Inde a regroupé sa diaspora dans une organisation qui dispose de relais dans 130 pays. Sous l'autorité d'un ministère uniquement affecté à cette fin, elle utilise ce vaste réseau pour promouvoir sa langue et ses produits culturels, y compris ses produits technologiques.
- La Russie, après les ébranlements que l'on sait, multiplie les initiatives pour «consolider et structurer le monde russe», selon l'expression du président Vladimir Poutine, pour conforter le caractère international de la langue russe et soutenir son enseignement et sa progression dans le monde. En 2001, le Conseil de la langue russe a rendu visite à l'OIF pour s'inspirer du modèle francophone. Une décennie plus tôt, les pays lusophones, alors désireux de se rassembler dans une communauté spécifique, avaient entrepris une démarche similaire.
Ces évolutions confortent la philosophie de la diversité des expressions culturelles. Elles montrent que la langue et la culture sont aujourd'hui considérées partout comme un levier géopolitique puissant et comme un des matériaux de l'économie parmi les plus porteurs pour la croissance, le développement et l'emploi. Enfin, elles révèlent l'ampleur de la concurrence qui se déploie dans l'espace culturel mondial.
Une vision globale et cohérente
Dans cette nouvelle configuration, la Francophonie dispose d'avantages certains: elle est dotée d'une vision globale et cohérente de son action, définie dans un plan décennal adopté en 2004 et mis en oeuvre depuis avec des résultats probants. Ce plan balise clairement les domaines de ses interventions: promotion de la langue française et de la diversité culturelle, soutien à la démocratie et aux droits de la personne, appui à l'éducation, comprenant l'enseignement supérieur et la recherche, développement durable et solidarité.
Certains de ces grands programmes visent spécifiquement à accroître le nombre de locuteurs de la langue française dans le monde. D'autres visent son usage dans des domaines où, autrement, elle n'aurait au mieux qu'une présence symbolique.
La Francophonie bénéficie également d'une organisation enfin unifiée, reconnue et respectée où sont clairement établies les lignes d'autorité, de responsabilité et d'imputabilité après deux décennies d'une difficile négociation.
Elle jouit en outre d'une reconnaissance internationale indiscutable, comme le prouvent ses projets conjoints avec un grand nombre d'organisations régionales, continentales et internationales.
Bref, la Francophonie maîtrise aujourd'hui plus que jamais les moyens d'une intervention globale et susceptible de produire des résultats significatifs. Certes, à l'instar de toutes les entités publiques, elle ne réussit pas tout ce qu'elle entreprend et, comme nous avons pu le lire récemment, elle n'est pas immunisée contre les dysfonctionnements, mais elle est capable de les circonscrire et d'apporter les correctifs requis.
Un changement d'échelle
Le Sommet de Québec doit prendre acte de la nouvelle concurrence linguistique et culturelle qui se déploie dans l'espace global et des capacités renouvelées de l'Organisation internationale de la Francophonie.
Nous l'avons noté précédemment: les grands domaines d'intervention de la Francophonie sont clairement définis et font consensus. Ils devraient normalement et heureusement être reconduits. Ce qui est attendu du Sommet de Québec est d'une autre nature, soit un changement d'échelle dans les ambitions et les ressources afin que l'usage de la langue française progresse dans le monde, que la recherche et la science soient produites en français et que la création culturelle francophone occupe sa place dans l'espace culturel global.
Des initiatives à suivre
Ces ambitions pourraient être mises en oeuvre par des initiatives précises, dont voici la teneur.
- Un grand programme d'enseignement à distance pour répondre à la demande de français dans les pays membres et dans le monde. Aucune demande de français ne devrait rester sans réponse.
- Une mobilisation sans précédent de la Francophonie pour mettre un terme au scandale qui hypothèque les chances de la langue française de compter dans le club restreint des langues internationales dans la longue durée du XXIe siècle. Si les choses restent en l'état, un enfant sur deux n'ira jamais à l'école une seule journée de sa vie dans plusieurs pays africains membres de la Francophonie. Cette situation est intolérable.
Droits fondamentaux, exigences du développement et intérêt de la communauté francophone coïncident, l'Afrique étant la seule région du monde où la démographie lui est favorable. Si ces enfants étaient scolarisés, la Francophonie pourrait compter près d'un demi-milliard de locuteurs en 2030. Dans le cas contraire, elle stagnera à son niveau actuel.
En association avec la coopération française, l'Agence canadienne de développement international (ACDI) ne pourrait-elle pas s'offrir comme maître d'oeuvre de cette mobilisation? De toute évidence, le Canada ne pourrait réussir ce chantier sans une forte contribution du Québec.
Ressources additionnelles
- Une plate-forme durable disposant des ressources requises pour faire entrer résolument la Francophonie, y compris sa composante africaine, dans la sphère qui dominera au XXIe siècle, la sphère numérique. Pour y occuper une place significative, la Francophonie a besoin de l'ensemble de ses créateurs du Nord et du Sud.
- Enfin, puisqu'il faut choisir, le Sommet de Québec doit confier des ressources additionnelles à l'OIF. Depuis 1996, vingt nouveaux pays ont été admis dans la communauté et les missions de l'organisation ont été considérablement élargies. «Les moyens, eux, ont stagné», rappelait récemment l'administrateur de la Francophonie, notre compatriote Clément Duhaime.
Traduction en termes moins diplomatiques: les moyens ont été réduits de façon draconienne. Compte tenu de l'inflation, ces moyens ont décru d'au moins 25 % depuis dix ans. Des ressources additionnelles sont requises pour enrichir la contribution de la Francophonie à la démocratie qui progresse dans la communauté, pour conforter l'action de qualité conduite par ses opérateurs et pour mettre à niveau son offre culturelle compte tenu de la nouvelle concurrence mondiale. TV5 devrait normalement être le véhicule de cette ambition.
Des moyens pour l'OIF
Puissance invitante du sommet, le gouvernement fédéral canadien doit hausser considérablement sa contribution à un ensemble qui, dans le passé, a été fortement marqué par ses propositions, sa diplomatie et ses contributions financières. Le destin à long terme de la langue française au Québec et au Canada est intimement lié à celui de la francophonie internationale.
Le Sommet de Québec confiera normalement à l'OIF l'ensemble de ses décisions. Il pourra le faire avec confiance. La Francophonie a le rare privilège de bénéficier de l'expérience, de la compétence et de la notoriété d'un homme d'État universellement connu et respecté, le secrétaire général Abdou Diouf. À ses côtés, Clément Duhaime est chargé de la gestion complexe d'une action multiforme se déployant dans 68 pays répartis sur tous les continents.
Cette équipe a fait évoluer l'OIF vers plus de cohérence dans son action et plus d'exigences dans sa gestion. Québec doit confirmer la confiance de la communauté francophone à leur endroit en leur accordant notamment les moyens de conduire une politique susceptible de vrais résultats dans le nouvel espace culturel mondial.
***
Jean-Louis Roy, Chercheur invité au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal et secrétaire général de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie de 1990 à 1998

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Jean-Louis Roy, Chercheur invité au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal, secrétaire général de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie de 1990 à 1998 et actuel président du conseil d'administration du Centre de la francophonie des Amériques.





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