Depuis que j’enseigne l’histoire du Québec et du Canada à la formation générale des adultes, chaque élection — qu’elle soit fédérale, provinciale ou municipale — a mené à des discussions fort stimulantes avec mes élèves, mais aussi dans toute l’école. L’élection qui a pris fin le 1er octobre semble par contre faire exception.
Si je ne soulevais pas le sujet, presque aucun élève n’était porté à le faire. Certes, on peut présumer que c’est par manque d’intérêt. Mais bien souvent, au courant de la campagne, on a entendu des analystes parler d’elle d’un ton critique en la qualifiant de « provinciale » et qu’à cause du manque de grands enjeux nationaux, le peuple redevenait canadien-français. À une époque où il n’y a presque plus de grands projets emballants et collectifs, le problème résiderait possiblement dans le confort de l’indifférence, comme l’aurait dit Denys Arcand. Cette indifférence serait-elle alors la faute de la population ou celle des politiciens ? Je dirais une responsabilité partagée.
Si on rappelle quelques élections récentes qui ont stimulé des débats, que ce soit par de bons ou de moins bons coups, je penserais d’abord à la fin du règne Jean Charest en 2012, à la suite d’une grève étudiante qui aura duré plus de six mois. Il y a ensuite eu tout le débat entourant la charte des valeurs du gouvernement de Pauline Marois et la façon dont cette dernière a perdu son pari de vouloir transformer sa minorité en majorité. En 2015, nous avons assisté à l’impressionnante campagne de Justin Trudeau, marquée par des promesses comme celles portant sur la légalisation du cannabis ou sur la nécessité de faire des déficits budgétaires. Et l’an dernier, ça a été au tour de Valérie Plante de montrer qu’on pouvait faire de la politique avec un sourire tout en faisant des promesses notables, entre autres en ce qui concerne les transports collectifs.
L’arrivée au pouvoir de François Legault ne semble pas mener au même entrain ; il ne semble pas susciter de discussions vives, que ce soit chez mes élèves ou dans l’ensemble de la population. Certains s’y opposent, c’est normal. D’autres ont tout simplement voulu envoyer un message clair au Parti libéral du Québec en élisant un nouveau parti, sans vraiment s’intéresser à de nouvelles visions, qu’elles portent sur les enjeux économiques ou bien sur la question nationale.
Premier ministre en attente
Malgré toutes les critiques parfaitement légitimes qu’on peut formuler à l’endroit de François Legault, il faut se rappeler que les Québécois n’ont jamais autant anticipé l’arrivée au pouvoir d’un premier ministre. On parle de François Legault comme un éventuel premier ministre du Québec depuis 2005 — et même avant —, alors qu’il avait fait plusieurs déçus lorsqu’il a décidé de ne pas se lancer dans la course à la succession de Bernard Landry.
L’idée d’un premier ministre Legault mijote donc dans la conscience collective québécoise depuis bien longtemps. […]
L’arrivée au pouvoir de François Legault et de la CAQ représente, je crois, l’avènement naturel d’une tendance nationaliste de centre droit qui existe dans la société québécoise depuis trente ans — sinon depuis ses origines. Elle passe par Maurice Duplessis, Daniel Johnson (père) et plus récemment par Mario Dumont, Lucien Bouchard et Joseph Facal. François Legault a tout simplement récolté les fruits de cette lointaine tradition politique qui vise à baisser les impôts et les tarifs en promettant une gestion soi-disant plus efficace de l’État. À cela, on peut ajouter quelques éléments importants comme les valeurs familiales, la décentralisation du pouvoir ou la baisse des seuils d’immigration.
Nous voilà devant un résultat électoral où les quatre principaux partis ont respectivement obtenu le meilleur ou le pire score de leur histoire. Si le Parti québécois est en déclin tranquille depuis sa dernière victoire majoritaire en 1998, je crois par contre que le Parti libéral saura se reconstruire et qu’il maintient des acquis non négligeables. La montée en parallèle de Québec solidaire confirme, comme plusieurs l’avaient prévu, le retour d’un débat entre la gauche et la droite et la montée en force d’une nouvelle génération d’électeurs.
Instinctivement, lorsque j’ai vu la victoire majoritaire de la CAQ, je me suis dit qu’on signait l’arrêt de mort de la réforme du mode de scrutin. Comme enseignant d’histoire, je saisis bien qu’après le départ d’un gouvernement, les cahiers d’histoire et l’ensemble de la population ne retiennent qu’une ou deux réalisations.