Depuis quelques mois, on parle beaucoup, avec raison, des problèmes de Stéphane Dion à la tête du Parti libéral. Au point qu'ils font écran devant les difficultés encore plus grandes de son opposant conservateur, Stephen Harper.
Il est surprenant, en effet, de constater que les conservateurs sont incapables de tirer profit des déboires de leur adversaire libéral. En fait, c'est même pire que ça: les conservateurs perdent du terrain face aux libéraux.
Malgré un budget ouvertement électoraliste et une autre visite-surprise en Afghanistan, Stephen Harper a perdu la bataille de la session qui s'achève. On assiste clairement à la fin de la lune de miel entre le premier ministre et les Canadiens, et la seule raison pour laquelle les conservateurs ne descendent pas encore davantage, c'est que les électeurs ne sont pas très attirés par Stéphane Dion.
Il y a deux mois, après le dépôt du budget fédéral, le Parti conservateur semblait pourtant sur une lancée qui pouvait, selon les sondages, lui permettre de rêver d'une majorité. La performance inattendue de l'ADQ aux élections québécoises ouvrait par ailleurs de nouveaux fronts pour les bleus au Québec.
À peine 10 semaines plus tard, tout cela s'est évaporé. Stephen Harper a manqué sa fenêtre électorale au mois d'avril. Même les libéraux le reconnaissent.
Selon la maison de sondage Decima, les conservateurs recueillaient à la fin mars 35% des intentions de vote, les libéraux 31%, le NPD 13% et les verts, 10%. Au Québec, le PC devançait les libéraux (25% contre 20%; le Bloc avait 34%) pour la première fois depuis des mois.
Nouveau coup de sonde de Decima, cette semaine: les libéraux reprennent les devants dans l'ensemble du pays avec 32%; les conservateurs ont 29%, le NPD 18% et les verts, 9%. La glissade est encore plus marquée au Québec: le Bloc a 38%, les libéraux 23% et le parti de Stephen Harper, seulement 16%. Comme les appuis des conservateurs sont très élevés dans la grande région de Québec, cela veut dire qu'il ne leur reste que des miettes ailleurs, en particulier à Montréal.
Les conservateurs sont par ailleurs toujours incapables de percer en Ontario, la province clé d'une majorité. Ils sont à la traîne par six points de pourcentage, à 33%, alors que le PLC a 39%.
C'est encore pire en Atlantique, où les conservateurs recueillent 31% des intentions de vote contre 37% pour les libéraux et 20% pour le NPD.
Que s'est-il passé pour que la chance tourne aussi vite pour les bleus? Plusieurs petites choses.
D'abord, les Canadiens sont majoritairement opposés à la prolongation de la mission canadienne en Afghanistan, alors que leur premier ministre a laissé planer le doute à ce sujet lors de sa visite-surprise en sol afghan le mois dernier.
L'imbroglio entourant le paiement par la Défense des funérailles d'un soldat canadien mort en Afghanistan n'a certes pas aidé non plus l'image du gouvernement dans l'opinion publique. Idem pour les contradictions à propos du traitement des prisonniers talibans.
Sur un autre front, celui de l'environnement, il semble que le premier ministre Harper ait eu plus de succès auprès de ses homologues du G8 qu'auprès des Canadiens quand il leur a expliqué pourquoi le Canada tournait définitivement le dos au protocole de Kyoto.
En outre, la promesse non tenue au sujet des fiducies de revenus hante toujours les conservateurs. Leur entêtement à vouloir supprimer certains programmes (comme le programme de contestation judiciaire) nuit aussi à leur image.
Le principal foyer d'incendie, toutefois, se trouve en ce moment dans les provinces de l'Atlantique, en guerre ouverte contre Stephen Harper depuis plusieurs semaines. Les premiers ministres - conservateurs, faut-il le rappeler - de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse accusent leurs cousins fédéraux d'avoir renié dans leur dernier budget leur promesse de ne pas inclure les revenus des ressources naturelles dans le calcul de la péréquation. Irrité, M. Harper a mis au défi les deux provinces de traîner le fédéral devant les tribunaux pour tester leur interprétation du budget. La menace plutôt macho a été mal reçue en Atlantique, on s'en doute. Ailleurs au pays aussi, visiblement. Le premier ministre néo-démocrate de la Saskatchewan, Lorne Calvert, a pris la balle au bond et menace de recourir aux tribunaux pour contester la formule de péréquation d'Ottawa. Politique 101: ne laissez jamais un conflit régional dégénérer en crise nationale...
Pour un chef politique qui avait promis de reconstruire le pays en respectant les provinces, c'est mal parti.
Dans les deux autres provinces de l'Atlantique, le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard, les gouvernements conservateurs de Bernard Lord et de Pat Binns ont été remplacés par des libéraux. Le terrain déjà peu fertile pour les conservateurs fédéraux est devenu soudainement encore un peu plus aride.
Les accrochages de M. Harper avec les provinces de l'Est sont d'autant plus ironiques quand on se souvient de ses déclarations controversées, en 2002, à propos du «défaitisme» et de la «culture de l'échec» de cette région.
«Il y a malheureusement cette perception trop répandue dans la région de l'Atlantique que c'est seulement grâce aux coups de pouce du gouvernement qu'on peut espérer un développement économique», avait dit Stephen Harper, alors chef de l'Alliance canadienne.
Aujourd'hui, cinq ans plus tard, ces provinces sortent de leur statut d'assistées sociales de la fédération canadienne et se battent pour garder les dividendes de leurs ressources énergétiques. Et leur bataille pourrait priver M. Harper de son insaisissable majorité.
C'est ce que l'on appelle un retour de balancier.
Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca
Fin de lune de miel
Que s'est-il passé pour que la chance tourne aussi vite pour les bleus?
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