En un an, Stephen Harper a démontré qu'il avait l'étoffe d'un premier ministre d'envergure. C'est à la fois sa principale qualité et son plus grand défaut.
Arrivé au pouvoir avec une équipe mal soudée et sans grande expérience, le nouveau gouvernement boucle l'année en un seul morceau et armé d'un bilan dont ne rougirait pas un régime majoritaire.
L'apparente impuissance de Paul Martin à donner une direction à son gouvernement s'était rapidement imposée comme la marque de commerce de son régime. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le gouvernement actuel ne souffre pas d'indécision chronique. Depuis un an au Canada, on a recommencé à parler, en bien comme en mal, des politiques du gouvernement fédéral plutôt que de paralysie étatique.
On sait déjà que le prochain scrutin sera déterminé par des débats de contenu plutôt que par la personnalité des protagonistes. À l'enseigne des pouvoirs de séduction politique, Stephen Harper et Stéphane Dion sont également mal logés. C'est une bonne chose pour ceux qui veulent croire que la politique n'est pas strictement affaire d'image. Personne ne devrait se plaindre d'avoir une brochette de chefs fédéraux qui ne parlent pas pour ne rien dire.
Malgré une victoire à l'arraché, le nouveau gouvernement n'a pas connu les psychodrames parlementaires à répétition qui étaient si rapidement devenu le pain quotidien du régime de Paul Martin. L'opposition -- dira-t-on -- n'était pas d'humeur électoraliste. Mais c'était également le cas à l'époque de l'éphémère gouvernement de Joe Clark, et cela n'avait pas empêché le Canada de retourner aux urnes à la première occasion, avec les résultats que l'on sait.
On ne peut pas dire non plus de ce gouvernement minoritaire qu'il a tendance à triompher sans péril (même s'il le fait souvent sans gloire). Depuis un an, Stephen Harper a pris des risques que d'autres -- dans des circonstances équivalentes -- auraient fait des détours pour éviter.
C'est ainsi que dans trois dossiers épineux -- le prolongement de la mission canadienne en Afghanistan, l'adoption d'un projet de règlement du conflit du bois-d'oeuvre et finalement le vote sur la nation québécoise -- le gouvernement a obtenu à la force du poignet un consensus parlementaire suffisant pour arriver à ses fins.
The Economist, qui avait mis le doigt sur l'indécision qui affligeait Paul Martin en lui apposant le surnom cruel de «Mr Dithers» à la même date dans la vie de son gouvernement minoritaire, dressait récemment un bilan nettement plus positif de la première année de Stephen Harper. Voilà pour les bonnes nouvelles!
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Du côté des mauvaises nouvelles, la gestion du premier ministre a davantage conforté dans leur décision les électeurs qui n'avaient pas voté pour lui l'an dernier que rassuré plusieurs de ceux qui avaient pris le risque de l'appuyer. Aujourd'hui, davantage de Canadiens sont convaincus de la nécessité d'empêcher le Parti conservateur d'obtenir un mandat majoritaire que le contraire.
À la lumière de la détermination confirmée de Stephen Harper, plusieurs le considèrent désormais comme une encore plus grande menace que celle qu'ils appréhendaient il y a un an. La capacité manifeste du premier ministre de mettre de côté son programme pour arriver à ses fins a peut-être confondu ceux qui le voyaient comme un idéologue rigide, mais elle a également alimenté les doutes quant à ce que seraient les vraies orientations d'un gouvernement conservateur majoritaire. Son changement de cap actuel sur des politiques plus centristes n'est-il au fond que circonstanciel?
Le Canada est un état foncièrement libéral. Malgré leurs évidentes différences, le Bloc québécois, le Parti libéral et le NPD défendent essentiellement la même communauté de valeurs. Cette réalité n'est pas nouvelle mais elle est exacerbée par le caractère -- plus conservateur que les incarnations conservatrices précédentes -- de la formation que dirige Stephen Harper.
À son époque, Brian Mulroney avait trouvé le Québec comme solution au déficit de son rapport de forces canadien. En 1988, la fibre autonomiste québécoise avait été pour beaucoup dans sa victoire sur le libre-échange. L'autre composante du succès conservateur a longtemps été la division du vote progressiste à l'extérieur du Québec entre le NPD et le Parti libéral.
Mais, aujourd'hui, le réservoir de votes québécois dans lequel Stephen Harper voudrait puiser continue d'être largement la chasse gardée du Bloc québécois. Et le Nouveau parti démocratique ne fait plus le poids comme avant contre les libéraux.
Au fil de la dernière année, néo-démocrates et conservateurs ont gaspillé leur meilleure occasion d'exploiter la faiblesse post-électorale du Parti libéral. Loin de s'imposer davantage, le NPD a perdu du terrain. En oubliant, le temps de deux longues saisons, que les résultats du 23 janvier dernier démontraient qu'il était à la tête d'une coalition incomplète, le gouvernement Harper a mis en évidence le vaste espace centriste traditionnellement réservé au PLC plutôt que de le gruger.
À voir la confusion de son parcours, le Bloc québécois n'a toujours pas de stratégie cohérente pour contrer Stephen Harper et, à un moindre degré, Stéphane Dion. Le meilleur espoir de la formation de Gilles Duceppe consiste encore à profiter d'une meilleure division du vote fédéraliste entre ses adversaires pour conserver sa mise aux prochaines élections.
En attendant, autant Stephen Harper a passé la dernière année sous les feux de la rampe, autant c'est Stéphane Dion qui va désormais connaître son baptême du feu. Protégé des grands vents de front par les meneurs de la course libérale, M. Dion a gagné le leadership sans vraiment être mis à l'épreuve. Tout cela va changer en 2007!
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Chantal Hébert est columnist politique au Toronto Star.
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