Le programme d’Éthique et culture religieuse ( ECR) n’a pas fini de
susciter la controverse.
[->www.mlq.qc.ca]Le MLQ a déjà pris position à ce sujet en dénonçant l’amalgame entre
l’éthique et la religion et en réclamant le retrait de la compétence «
culture religieuse » de ce programme. ([www.mlq.qc.ca->www.mlq.qc.ca])
Cependant, pour bien prendre la mesure des réels enjeux de ce programme,
il faut aussi questionner les a priori aberrants qui en constituent les
fondements.
Personne n’oserait nier l’importance de valider ce qui doit être enseigné
aux enfants. Un enseignement doit transmettre des connaissances vraies et
cohérentes. Les faussetés et les incohérences ne méritent pas d’être
enseignées mêmes si elles correspondent à des croyances sincères largement
partagées. Le nouveau programme ECR comporte des faussetés, des
incohérences internes et des omissions troublantes qu’il faut examiner de
plus près afin de pouvoir au plus vite réclamer les rectificatifs qui
s’imposent.
Erreur ou tromperie délibérée?
Les finalités du programme sont : la reconnaissance de l’autre et la
poursuite du bien commun.
S’il n’y a aucune difficulté à reconnaître que ces finalités ont toujours
été les finalités propres de l’éthique, force nous est de constater que ces
finalités ne s’appliquent pas toujours de manière aussi évidente en ce qui
concerne les religions. Les religions n’ont-elle pas souvent du mal à
reconnaître pleinement l’égale humanité de l’autre lorsque cet « autre »
est païen, femme, mécréant, homosexuel ou athée? L’interdiction stricte
d’utiliser le condom décrétée par l’église catholique n’est-elle pas un
réel obstacle à la réalisation du bien commun qui commanderait plutôt qu’on
prenne des moyens efficaces pour contrer l’épidémie de Sida ou pour limiter
les naissances dans les pays surpeuplés?
Dans le programme ECR, les finalités propres de l’éthique ont été
scandaleusement usurpées et attribuées faussement aux diverses religions
laissant ainsi croire sans aucun fondement, que les religions sont toujours
nécessairement garantes du respect d’autrui et du bien commun.
L’usurpation des finalités de l’éthique est probablement une erreur qui a
échappé à l’attention des rédacteurs du programme du simple fait que cette
erreur repose sur un préjugé encore très largement partagé par une bonne
partie de la population. Trop de personnes sont encore aujourd’hui
habituées à croire que la religion est toujours une garantie infaillible de
moralité. Bien des québécois sont d’ailleurs sincèrement convaincus que
toutes les règles morales sont d’origine chrétienne même si les
civilisations humaines ont plus de 10 000 ans! Les civilisations
antérieures à Jésus n’avaient-elles pas déjà une idée du bien et du mal?
Les civilisation amérindiennes ne savaient-elles pas distinguer le bien du
mal longtemps avant l’arrivée de Christophe Colomb? Les rédacteurs du
programme pouvaient-ils ignorer qu’en occident, certains philosophes grecs
de l’antiquité avaient formulé les fondements de l’éthique philosophique
400 ans av J. C.?
Nous n’accepterions certainement pas que soient enseignées de fausses
théories scientifiques alors pourquoi accepterions de perpétuer de fausses
idées sur les origines et les finalités propres de l’éthique?
Qu’un préjugé soit largement répandu n’excuse en rien les rédacteurs de ce
programme qui n’auraient jamais dû laisser publier de telles énormités.
Comme dans tous les cas ou des experts se fourvoient de manière si
grossière, deux hypothèses, aussi peu honorables l’une que l’autre, se
présentent à l’esprit de quiconque ; les experts qui ont si allègrement
confondu les finalités propres de l’éthique avec des finalités contingentes
aux religions sont-ils des incompétents ou des manipulateurs? Chose
certaine; l’éducation de nos enfants ne peut être confiée ni aux uns et
encore moins aux autres!
Omissions suspectes
Afin de contrer ces idées fausses et surtout afin que les fondements de
l’éthique soient biens compris de tous, il conviendrait non pas de
repousser du revers de la main l’étude « encyclopédique des doctrines et
des systèmes philosophiques » comme le stipulent les orientation du nouveau
programme mais au contraire d’intensifier l’étude des fondements
philosophiques de l’éthique dont l’influence s’est exercée et s’exerce
toujours dans notre société. Il est navrant de constater que, dans la
présente version du programme, les connaissances éthiques substantielles
sont délibérément omises et que les problématiques éthiques ne sont
abordées que sous forme de questionnements superficiels. L’omission des
savoirs éthiques est choquante non seulement parce qu’une part importante
de la matière qui aurait normalement dû se trouver dans un tel programme
est occultée sans justification mais surtout parce que, en contre partie,
les connaissances du « fait religieux » s’y retrouvent en quantité
démesurée sans plus de justification.
On ne peut s’empêcher d’y voir un parti pris évident des rédacteurs du
programme en faveur des contenus religieux au détriment des contenus
philosophiques. Parti pris qui pourra cette fois être aisément expliqué par
une simple prise en compte des intérêts défendus par les individus siégeant
d’office au Comité sur les affaires religieuse ( CAR). Ce comité, composé
essentiellement de représentants des diverses facultés de théologies et de
sciences religieuses et dont le mandat consistait à superviser la rédaction
du nouveau programme ECR n’aurait jamais pu recommander l’augmentation des
contenus philosophiques car, ce faisant, une partie de la formation des
futurs enseignants assumée encore aujourd’hui par les facultés de
théologie, aurait dû être transférée aux facultés de philosophie. On peut
certes reprocher aux membres du CAR d’avoir profité de leur situation
privilégiée pour protéger leurs intérêts, mais on peut difficilement
pardonner à la ministre de l’éducation de s’être laissée manipuler de la
sorte.
Incohérence inavouable
Les finalités du programme sont tellement incompatibles avec certains
faits religieux que les enseignants ne pourront aborder les religions
autrement que de manière partielle et partiale. Ne pourront être présentés
que les manifestations religieuses compatibles avec la reconnaissance de
l’autre et la recherche du bien commun en passant sous silence tout ce qui
est moins compatible avec ces finalités. Seront alors occultées les
manifestations religieuses qui accordent une supériorité de l’homme sur la
femme ou encore une supériorité d’un peuple « élu de dieu » sur les autres
peuples. Seraient aussi omises les interventions religieuses qui ont
longtemps été ouvertement hostiles à la recherche du bien commun comme le
fait indéniable que certaines religions réprouvent les plaisirs, méprisent
les bonheurs terrestres, font obstacle aux progrès de la science et à
l’acquisition des richesses matérielles pour les plus démunis. Un
enseignement religieux amputé de sa part la plus sombre serait alors un
enseignement partial des religions assimilable à de la propagande ou à de
la fausse représentation.
À l’impossible, nul n’est tenu
La « posture professionnelle » de l’enseignant qui doit se soumettre à un
« devoir supplémentaire de réserve » tel que stipulé dans le préambule du
nouveau programme s’avère dès lors intenable. Trois cas de figure, tous
aussi impraticables l’un que l’autre, sont envisageables.
1) Un professeur intègre pourrait décider de respecter intégralement les
finalités propres de l’éthique en soumettant les contenus religieux aux
critiques qui découlent nécessairement de l’application rigoureuse du
principe de respect de la dignité humaine et du bien commun. En ce cas
l’enseignant pourrait être accusé de manquer de réserve en exprimant des
opinions critiques envers les religions qui ne manifestent pas spontanément
une réelle reconnaissance de l’autre ni un réel soucis du bien commun.
2) Un professeur conscient des erreurs et incohérences du programme mais
peu combatif pourrait décider d’appliquer le programme à la lettre tout en
maintenant une attitude distanciée. En ce cas il fait, même de manière
passive, le jeu de la propagande pro-religieuse et de la fausse
représentation et court le risque de s’exposer aux critiques de ceux,
parents et/ou élèves qui souhaiteraient un enseignement rigoureux et
conséquent de l’éthique. Ces enseignants seraient donc aussi susceptibles
d’être accusés de manquer de réserve.
3) Mais les plus à plaindre sont les enseignants qui adhèrent sincèrement
aux finalités erronées du programme et qui sont par conséquent incapables
de percevoir les incohérences que cela suscite. En reproduisant candidement
les inepties prescrites par le programme, ces professeurs seraient de la
même façon accusés de manquer de réserve par ceux qui ont une approche plus
réaliste et donc plus critique des « faits » religieux.
Outrage à l’intelligence et injure à la philosophie
Le nouveau programme d’éthique et culture religieuse est un outrage à
l’intelligence dont souffriront d’une manière ou d’une autre les
enseignants qui auront à pâtir des incohérences insolubles inhérentes à un
programme dont la structure est bancale.
Le nouveau programme d’éthique et culture religieuse est aussi une injure
à la philosophie, discipline pourtant directement interpellée par deux des
trois compétences du nouveau programme à savoir l’éthique philosophique et
l’aptitude au dialogue (ou dialectique). Pourtant les contenus
philosophiques de portée universelle ont été escamotés cavalièrement pour
laisser place à un étalage encyclopédique de connaissances religieuses
extrêmement détaillées, trop souvent anecdotiques ou désuètes.
Ce programme a été conçu en vase clos, dans le plus mystérieux des secrets
par des gens moins soucieux du bien commun que de la promotion de leurs
propres intérêts corporatistes ou de leurs convictions personnelles. Des
gens qui, au vu des erreurs, des incohérences et des graves lacunes
relevées dans le programme sont ou bien des incompétents ou de sinistres
manipulateurs qui se seraient évertués à « trouver de nouvelles façons de
sauvegarder l’essentiel de la confessionnalité scolaire, tout en la faisant
évoluer ».(1)
Le plus navrant dans toute cette histoire c’est que la ministre de
l’éducation ainsi que ses conseillers du Comité sur les affaires
religieuses semblent insensibles au sort des jeunes enfants et des
adolescent qui, à cause d’un programme qui s’avère inadéquat en ce sens
qu’il n’a pas su proposer une solution viable et définitive à l’épineux
problème de l’enseignement religieux en milieu scolaire, se trouvent au
cœur de querelles d’adultes. Finalement ce sont les êtres les plus
vulnérables et influençables de notre société qui font actuellement les
frais de ce gâchis lamentable qui a mené, à ce jour, à plus de 1200
demandes d’exemptions et qui mènera encore à bien des malentendus et des
déconvenues si la ministre ne daigne pas y apporter les rectificatifs qui
s’imposent.
***
1) Le CJF : l’incarnation d’un christianisme critique au sein de l’Église
Propos tenus par par Christine Cadrin-Pelletier le 10 mars 2008 lors de
l’événement soulignant les 25 ans du Centre Justice et Foi. Rappelons que
Madame Christine Cadrin-Pelletier, théologienne de formation, fut
sous-ministre associé de foi catholique de1995 à 2000, responsable du
Comité catholique avant d’occuper le poste de Secrétaire aux affaires
religieuses de 2000 à 2005.
***
Texte paru dans Cité Laïque, revue humaniste du Mouvement laïque
québécois, numéro 13, hiver 2008.
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
Le nouveau programme Éthique et culture religieuse
Faussetés et incohérences
ECR - Éthique et culture religieuse
Marie-Michelle Poisson37 articles
Professeure de philosophie Vice-présidente du Mouvement Laïque Québécois
Collège Ahuntsic, Montréal
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