En septembre 2008 il y aura objectivement plus de religion à l’école qu’il
n’y en avait en 2000 au moment de l’adoption du projet de loi 118 abrogeant
le statut confessionnel des écoles publiques du Québec.
"Plus de religion" c’est d’abord du temps d’enseignement consacré à une
nouvelle discipline nommée « enseignement culturel des religions » qui
couvrira l’ensemble du primaire et du secondaire. Cette discipline exposera
tous les élèves à un éventail plus large de dénominations religieuses dont
une prépondérance prescrite accordée au christianisme. Dans l'ancien régime
d'option, uniquement les élèves dont les parents avaient choisi
l’enseignement religieux n’étaient exposés qu’à une seule confession.
"Plus de religion" fait aussi référence à la création d’un nouveau service
éducatif complémentaire d’animation à la vie spirituelle et à l’engagement
communautaire (SAVSEC) offert obligatoirement dans toutes les écoles,
primaires et secondaires. Avant 2000, le service d’animation pastorale
n’était présent que dans certaines écoles du réseau catholique de niveau
secondaire et tendait à disparaître dans certains milieux faute de
participants et aucun service de pastoral entièrement financé par l’État
n’existait au primaire.
L’essentiel de la formation spécialisée des professeurs de culture
religieuse ainsi que des animateurs de vie spirituelle sera assumée par les
facultés universitaires de théologie et de sciences des religions.
En 2000, les postes de sous-ministre associés de foi catholique et
protestante ainsi que les comités catholiques et protestants ont été abolis
et remplacés par le Secrétariat aux affaires religieuses (SAR) et le Comité
sur les affaires religieuses (CAR) qui veillent depuis au processus de
déconfessionnalisation du système scolaire et sont considérés, selon le
coordonnateur actuel du SAR, M. Roger Boisvert, comme les maîtres d’œuvre
du nouveau programme d’Éthique et Culture religieuse (ECR) et du SAVSEC.
Ceux qui souhaitent une laïcisation effective du système scolaire
québécois auraient tout intérêt à examiner de plus près les activités du
SAR et un CAR puisque, au vu de ces résultats, tout porte à croire que le
SAR et le CAR se comportent comme des lobby pro-religieux au sein du
Ministère de l’éducation.
Madame Christine Cadrin-Pelletier, théologienne de formation, fut
sous-ministre associé de foi catholique de1995 à 2000, responsable du
Comité catholique avant d’occuper le poste de Secrétaire aux affaires
religieuses de 2000 à 2005.
Le Car est constitué de 13 personnes nommées par le ministre de
l’éducation dont au moins le tiers sont des personnes provenant de facultés
universitaires de théologie et de sciences religieuses.
Le président actuel du CAR, M. Jacques Racine, a été Doyen de la Faculté
de théologie de sciences religieuses de l’Université Laval et membre du
Comité de prospective de l’Assemblée des évêques du Québec. M. Racine a
siégé au CAR deux ans à titre de parent d’élève du primaire avant de
devenir président du Car en 2006. De 2000 à 2006, la présidence du CAR a
été assumée par Jean-Marc Charron. Il était alors doyen de la Faculté de
théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal.
Le Car a publié plusieurs avis au ministre de l’éducation. Ces avis sont
tous disponibles sur le site internet du ministère de l’éducation. L’avis
de 2003, intitulé La formation des maîtres dans le domaine du développement
personnel : une crise symptomatique fait un constat alarmant: dans
l’attente des décisions ministérielles, le doute est si grand quant au sort
des cours de morale et de religion que des départements de théologie et de
sciences religieuses offrant la formation disciplinaire aux futurs maîtres
ont dû fermer leurs portes ou sont menacés de fermeture. La situation, déjà
critique en 2002, serait pire encore si l’enseignement religieux devait
être réduit ou aboli définitivement.
En proposant au ministre de créer une nouvelle discipline appelée «
Culture religieuse » et un nouveau service d’animation spirituelle, tous
deux désormais dispensés obligatoirement à toutes les clientèles tout au
long du primaire et du secondaire, le CAR, qui a aussi le mandat de veiller
à l'élaboration des plans de formation des futurs professeurs d'ECR et des
animateurs de vie spirituelle, a assuré la survie des facultés
universitaires de théologie et de sciences religieuses jadis menacées de
fermeture.
Certains professeurs de théologie et de sciences religieuses sont aussi
consultés à titre de personnes-ressources lorsque le CAR est mandaté pour
mener des consultations sur les nouveaux programmes ECR. Faut-il s'étonner
si ces experts se montrent souvent nettement plus en faveur des compétences
de Culture religieuse et en attendent de meilleurs résultats que les
groupes sociaux ou religieux consultés, souvent plus sceptiques ou
critiques quant à la pertinence de cet enseignement sur une si longue
période et si tôt dans le développement de l’enfant?
Depuis qu’elle a quitté ses fonctions de secrétaire aux affaires
religieuses, Mme Cadrin-Pelletier a rédigé les deux plus importants avis du
CAR soit : La laïcité scolaire au Québec. Un nécessaire changement de
culture institutionnelle (octobre 2006) Le cheminement spirituel des
élèves. Un défi pour l'école laïque (février 2007).
Le premier document prétend définir, en cinq points, le « modèle de
laïcité ouverte de l’école publique québécoise » auquel la majorité des
québécois est sensée adhérer.
Selon Henri Pena-Ruiz, «la laïcité ouverte est une notion polémique
tournée contre la laïcité dont elle suggère qu’appliquée rigoureusement
elle serait un principe de fermeture. ( …) Dans la bouche des certains
détracteurs de la laïcité «ouvrir la laïcité» signifie restaurer des
emprises publiques pour les religions.» (Flammarion 2003)
Le deuxième document s’évertue à démontrer comment et pourquoi « faciliter
le cheminement spirituel de l’élève » est un rôle fondamental de l’école.
Depuis leur parution ces deux avis font l’objet d’une campagne de
communication active menée par le CAR auprès de toutes les instances jouant
un rôle en matière d’éducation (groupes religieux, associations de parents
d’élèves, syndicats, associations professionnelles, commissions de
consultation, etc.).
L’idéologie véhiculée par le CAR est déjà perceptible dans plusieurs
milieux et il y a de fortes chances, étant donnée la notoriété croissante
du CAR, que les opinions exprimées dans ces deux documents constituent
l’essentiel des conclusions du rapport de la Commission Bouchard-Taylor
concernant la place de la religion à l’école. Une rencontre organisée par
le CAR est d’ailleurs prévue le 16 avril prochain à Laval dans le but de
faciliter la réception et la mise en œuvre du programme Éthique et de
Culture religieuse auprès de la catégorie de citoyens la plus importante
numériquement après les catholiques; la catégorie de ceux qui ne se
réclament d’aucune religion.
Est-ce que le modèle québécois de « laïcité ouverte » tel que défini et
promu par le SAR et le CAR est vraiment le type de laïcité qui convient à
une société qui se veut moderne et démocratique? Que dire de cette laïcité
tellement « ouverte » au « fait religieux » qu’elle donne paradoxalement
plus de place aux phénomènes religieux dans le système scolaire en 2008
qu’ils n’en avaient en 2000? Que dire de cette laïcité dont les premiers
bénéficiaires objectifs sont d’abord et avant tout les facultés de
théologies et de sciences religieuses?
Si le comité sur les affaires religieuses avait réuni une plus grande
diversité d’experts indépendants, il eut été possible que ceux-ci
préconisent un autre « modèle de laïcité de l’école québécoise » prônant
plutôt un enseignement « transversal » de la culture religieuse via
certaines disciplines existantes comme l’histoire, la géographie, la
littérature ou les arts sans qu’il n’y ait nécessité de créer une nouvelle
discipline.
Un large débat public mené ouvertement aurait sans doute démontré qu’une
majorité de québécois pensent qu’il n’est aucunement du ressort de l’école
de « faciliter le cheminement spirituel de l’élève », que le Service
d’animation spirituel et d’engagement communautaire n’a pas de raison
d’être et que l’État n’a donc pas l’obligation de financer un tel service.
Pourquoi la culture religieuse est-elle devenue tout à coup plus
importante que la culture scientifique, la culture philosophique, la
culture artistique, la culture musicale ou encore l’éducation à l’économie?
Est-ce que seule la culture religieuse permet de comprendre la société
québécoise actuelle? Est-ce que seule la culture religieuse permet de
donner du sens à l’existence et de favoriser le « vivre-ensemble »?
Certainement pas. Mais alors pourquoi la culture religieuse prend-elle tant
de place en regard des autres formes de culture tout aussi essentielles au
développement des enfants?
Est-ce qu’un comité de psychologues de la petite enfance aurait trouvé
souhaitable que de jeunes enfants soient exposés si tôt à la diversité des
cultures religieuses? Est-ce qu’un comité de philosophes aurait trouvé
adéquat que l’Éthique et la Culture religieuse se retrouvent dans un seul
et même programme avec les risques d’amalgames conceptuels que cela
comporte? Est-ce qu’un comité de gestionnaires scolaires aurait jugé
pertinent qu’une large part des ressources allouées aux services éducatifs
complémentaires soient consacrés au SAVSEC plutôt qu’à des services de
psychologie ou d’orthophonie? Enfin, est-ce que les jeunes générations
souhaitent vraiment perpétuer la multiplicité des différences culturelles
et religieuses héritées de leurs parents ou ne sont-elles pas plus
intéressées à construire une société nouvelle à partir de bases communes et
universelles?
Le SAR et le CAR, dont l’origine remonte à l’ancien comité confessionnel
catholique qui existait avant la création du ministère de l’Éducation en
1964, constituent les derniers bastions des privilèges historiques
consentis aux pouvoirs religieux. L’abolition du SAR et du CAR permettrait
enfin une réelle ouverture du débat pour la mise ne place d’une laïcité
authentique.
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
La laïcisation du système scolaire n’aura pas lieu…
Est-ce que le modèle québécois de « laïcité ouverte » tel que défini et promu par le SAR et le CAR est vraiment le type de laïcité qui convient à une société qui se veut moderne et démocratique?
ECR - Éthique et culture religieuse
Marie-Michelle Poisson37 articles
Professeure de philosophie Vice-présidente du Mouvement Laïque Québécois
Collège Ahuntsic, Montréal
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