Faire l’histoire des grands hommes

Coalition pour l’histoire




Un collègue historien [Frédéric Bastien, du Collège Dawson] s’en prenait récemment à nos travaux sur la socialisation masculine dans les collèges classiques. Dans le contexte du débat sur l’histoire nationale, il y voyait un exemple du genre de recherches élitistes et déconnectées menées par les universitaires, en marge des enjeux importants.
Puisqu’il appelle de ses vœux l’histoire des grands hommes, nous tenterons de mettre en lumière des éléments susceptibles de l’aider dans son projet d’écriture.
Depuis les années 1990, toutes les historiographies nationales ont ouvert le chantier de la masculinité. De France, des États-Unis, de Grande-Bretagne, d’Australie et d’Afrique du Sud, entre autres, ont émergé des études révélant comment les grands phénomènes de la modernité, comme le nationalisme, le capitalisme ou le colonialisme, reposaient sur un ordre sexuel profondément structurant. On a ainsi entrepris de comparer les modèles sociaux masculins issus de ces différents contextes nationaux. Au nom de quelle distinction l’histoire du Québec devrait-elle rester en marge de ces développements?
Il faut savoir gré à Allan Greer d’avoir inspiré ce type de réflexion pour le Québec dès le tournant des années 1990. Dans son article «La République des hommes: les Patriotes de 1837 face aux femmes», il soutenait que la conquête des droits démocratiques fut accompagnée, au Bas-Canada comme ailleurs en Occident, d’un processus de masculinisation de la politique. L’exclusion des femmes du suffrage, revendiquée par Papineau dès 1834, indiquait bien le socle sur lequel la citoyenneté promue par les Patriotes était posée: une hiérarchie des sexes encore plus rigoureuse que dans l’Ancien régime. Était-ce rejeter l’importance des Rébellions dans l’histoire du Québec que de les aborder sous cet angle?

Zoom sur le collège classique
C’est dans la foulée de telles réflexions sur masculinité que nous avons d’abord inscrit notre étude sur le collège classique. Véritable fleuron du système scolaire avant le rapport Parent, le collège a été la matrice de l’élite masculine canadienne-française. Pratiquement tous les premiers ministres de l’histoire du Québec ont été nourris à sa pédagogie humaniste et catholique. Plusieurs ont d’ailleurs témoigné de l’empreinte durable de l’expérience collégiale sur leur cheminement de vie et de carrière (Corbo, 2000).
Que dire, par exemple, d’un Lucien Bouchard exprimant sa déception lorsqu’il réalisa qu’il n’avait pas la vocation? En plus de la religion, la pédagogie des collèges détermine un rapport particulier à la langue, autre pilier de l’identité nationale. Il est moins connu cependant qu’on y enseigna beaucoup en anglais au XIXe siècle, dans la langue du dominant, afin de mieux armer les fils de la nation pour le struggle for life. Lieu de sociabilité masculine, le collège fut aussi, on le sait, le creuset de solidarités profondes forgées au sein de la poignée de garçons qui complétaient les huit années du cursus studiorum.
Partageant les mêmes codes culturels, les mêmes locutions latines, ces hommes développaient aussi la même confiance d’avoir à conduire les destinées nationales. L’espace clos du collège, comme le révèlent nombre d’autobiographies et de mémoires, fut aussi propice à la rencontre de maîtres marquants, de mentors, comme le furent pour des générations de jeunes hommes, le jésuite François Hertel ou le futur chanoine Groulx, par exemple. Il semble donc qu’on ne peut parfaitement comprendre la trajectoire de plusieurs personnages publics sans connaître l’institution qui les a marqués d’un sceau presque indélébile. C’est ainsi que le biographe de Trudeau, John English, a trouvé dans nos recherches matière à éclairer les années de jeunesse de cet homme d’État.
Mais au-delà des enjeux nationaux et de la formation des grands hommes, c’est le versant plus intime de nos réflexions sur la vie en pensionnat qui semble avoir surtout rejoint ceux et celles qui les ont lues ou entendues. Les nombreux témoignages que nous avons reçus d’anciens collégiens, de leur compagne ou de leurs enfants disant avoir reconnu et mieux compris la culture scolaire et la morale sexuelle d’une époque sont d’ailleurs ce qui nous motive le plus à ne pas laisser sombrer dans l’oubli le collège classique.
***
Louise Bienvenue
_ Directrice du département d’histoire de l’Université de Sherbrooke
Ollivier Hubert
_ Professeur au déaprtement d’histoire de l’Université de Montréal
20 octobre 2011


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->