(Québec) Avec précaution, méthodiquement, mais avec détermination, le gouvernement Couillard avance vers l'exploitation du gaz de schiste de la vallée du Saint-Laurent et du pétrole de l'île d'Anticosti. Dévoilé hier, le «plan d'action gouvernemental sur les hydrocarbures» pose les balises permettant d'avancer vers l'utilisation de l'énergie fossile domestique sans perdre de vue les contraintes environnementales.
Le ministre de l'Énergie, Pierre Arcand, en point de presse hier, s'est dit «conscient des questionnements» des citoyens préoccupés par l'environnement, mais du même souffle, il a souligné que le Québec ne pouvait ignorer un gisement potentiel de pétrole qui représente plusieurs milliards de revenus. «Nous agirons avec prudence, de façon ordonnée», a souligné M. Arcand.
«Exploration n'est pas synonyme d'exploitation. Avant qu'elle soit autorisée, l'exploitation devra être encadrée et contrôlée», a ajouté le ministre de l'Environnement, David Heurtel, également présent à la conférence de presse.
Le premier ministre Couillard avait promis qu'une fois élu, il procéderait à une «évaluation environnementale stratégique» pour évaluer globalement la filière des hydrocarbures. Mais cette démarche vient s'ajouter à d'autres décisions qui n'attendront pas les conclusions de l'étude globale, attendues à la fin de 2015. L'étude touchera l'émission de GES, l'impact potentiel sur l'eau et la sécurité de l'exploitation de la filière hydrocarbure. «L'acceptabilité sociale est un élément fondamental, de souligner M. Arcand. Si la population est contre, il sera difficile pour les entreprises de progresser dans cette direction», prévoit-il.
Pas d'obstacles à prévoir de Québec, du côté des projets de TransCanada Pipeline. Le projet d'oléoduc Énergie Est, qui prévoit un terminal méthanier à Cacouna, est surveillé par Québec, mais une étude du BAPE ne visera que le terminal. L'ensemble du projet de 3,2 milliards sera examiné par la Régie de l'énergie qui, d'un angle plus économique, évaluera l'impact du projet sur le marché du gaz au Québec.
Anticosti
Pour Anticosti, Québec donne le feu vert au premier volet du plan de match convenu entre le gouvernement Marois, Pétrolia et Corridor Resources. Une quinzaine de forages auront lieu cet été pour évaluer les chances de trouver du pétrole de schiste, une opération d'environ 55 millions. Une étude environnementale stratégique devrait être terminée pour mars 2015. Elle tiendra compte de la rentabilité du gisement en intégrant les coûts de transport. Si tout est concluant en mai ou juin, Québec devrait permettre le forage de trois puits «exploratoires» avec fracturation à l'été 2015; une deuxième phase de 45 millions.
Quand, en février dernier, le gouvernement Marois avait annoncé qu'il injectait plus de 100 millions pour procéder, avec le privé, à l'exploration d'Anticosti, Philippe Couillard, alors chef de l'opposition, avait ironisé sur la «loto-pétrole», relevant que l'injection de fonds publics se faisait trop à risque. Mais le gouvernement libéral a décidé de respecter les ententes signées par le gouvernement précédent à une semaine du déclenchement des élections, d'expliquer le ministre Arcand. «On est là, on va respecter la première partie de cette entente, a-t-il souligné. Beaucoup d'inconnues perdurent: si on trouve du pétrole, des experts soutiennent qu'il faudrait 3000 puits; d'autres, 15 000 puits, affirme-t-il, et il est possible qu'on ne trouve pas de pétrole», avoue-t-il.
Gaz de schiste
Pour le ministre Arcand, «il n'y a pas d'acceptabilité sociale actuellement» pour l'exploitation du gaz de schiste dans les basses terres du Saint-Laurent. Les experts se contredisent: «On veut y aller avec prudence; la vérité, c'est qu'on ne le sait pas», résume-t-il. Il n'y a pas que des aspects environnementaux, mais aussi économiques. Pour la vallée du Saint-Laurent, le moratoire continue, le temps que l'étude environnementale spécifique arrive à une conclusion. Ailleurs en province, les promoteurs semblent attendre aussi les conclusions de cette étude. «Ces forages dans les basses terres du Saint-Laurent sont survenus sans que les gens soient informés. Il n'y avait pas de normes gouvernementales suffisantes pour encadrer cette exploitation à l'époque.»
Règlement sur l'eau
Québec déposera sous peu un règlement sur les distances séparatrices entre les sources d'eau potable et les forages. La Ville de Gaspé avait vu son règlement débouté en cour par Pétrolia, qui voulait exploiter le gisement Haldimand. Pour le ministre de l'Environnement David Heurtel, ce sera l'un des cadres les plus stricts en Amérique pour la protection des sources d'eau. Dans le cas de Gaspé, le règlement pourrait rassurer les élus municipaux et la population; l'exploitation peut se faire de façon sécuritaire.
Old Harry
Le gouvernement Couillard veut presser le pas pour ne pas se faire devancer par Terre-Neuve dans l'exploration et l'exploitation potentielle de ce gisement sous-marin. Terre-Neuve a annoncé son intention de commencer l'exploration. «Toute cette question ne sera pas réglée avant plusieurs années», a dit M. Arcand, rappelant les réticences des Madelinots. Québec veut adopter rapidement une «loi miroir», harmonisée avec celle du fédéral, qui lui permettrait de procéder sans embûches éventuellement.
De nombreux rebondissements
Le dossier du pétrole et du gaz a subi de nombreux rebondissements et donné lieu à une demi-douzaine d'études gouvernementales ces dernières années. Les nouvelles études annoncées hier devront en faire la synthèse.
Novembre 2002
Annonce d'un projet de levés sismiques dans le golfe du
Saint-Laurent. Un rapport d'experts est commandé.
Mars 2004
Le ministre libéral Thomas Mulcair lance une enquête du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) sur les enjeux liés aux levés sismiques dans l'estuaire et le golfe du Saint-Laurent.
Octobre 2004
Publication du rapport du BAPE: « (L) es participants à l'audience publique auraient souhaité être consultés non pas seulement sur les enjeux environnementaux liés aux levés sismiques, mais également sur le projet de mise en valeur des hydrocarbures extracôtiers du gouvernement du Québec.»
Avril 2009
Le ministère des Ressources naturelles et de la Faune lance deux Évaluations environnementales stratégiques (EES) sur les hydrocarbures en milieu marin: une sur l'estuaire et l'autre sur le golfe.
Juillet 2010
Publication de l'EES sur l'estuaire, par la firme AECOM.
«Que ce soit en phase d'exploration ou d'exploitation, il ressort que ce secteur serait peu propice à la tenue de telles activités, et ce, pour toutes les périodes de l'année. Un accident ou un déversement d'hydrocarbures dans le bassin d'étude pourrait avoir des impacts majeurs, voire catastrophiques selon son ampleur, tant au point de vue biologique qu'humain.»
31 août 2010
Le ministre libéral du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, Pierre Arcand, demande au BAPE d'enquêter sur le développement durable de l'industrie du gaz de schiste au Québec.
27 septembre 2010
Devant les conclusions de l'ÉES, la ministre libérale Nathalie Normandeau décrète un moratoire sur l'exploration et l'exploitation pétrolière dans l'estuaire du Saint-Laurent. La décision met fin au processus avant les consultations publiques. Ce moratoire est reconduit, a précisé hier le ministre Pierre Arcand.
Mars 2011
Publication du rapport du BAPE sur le développement durable de l'industrie du gaz de schiste au Québec. «Pour certaines questions fondamentales, les réponses sont partielles ou inexistantes. Pour répondre à ce besoin d'acquisition de connaissances scientifiques et en l'absence de faits probants permettant de déterminer les risques, il est proposé de procéder à une évaluation environnementale stratégique.» Le ministre Pierre Arcand annonce qu'il donnera suite à cette recommandation.
Mai 2011
L'EES sur le gaz de schiste se met en branle. Son budget: 7 millions.
6 février 2013
Le ministre péquiste
Yves-François Blanchet annonce que l'EES sur les gaz de schiste servira de base à une nouvelle enquête du BAPE sur les «enjeux liés à l'exploration et l'exploitation du gaz de schiste dans le shale d'Utica des basses terres du Saint-Laurent». Ce mandat du BAPE est en cours et le rapport est attendu le 28 novembre 2014.
Septembre 2013
Publication de l'EES sur le golfe du Saint-Laurent, par la firme GENIVAR. «La majorité des effets négatifs recensés sont plutôt ponctuels et une panoplie de mesures de gestion sont déjà connues pour les gérer adéquatement. Les déversements d'hydrocarbures comptent parmi les événements pouvant perturber significativement le milieu récepteur. De façon directe ou indirecte, les déversements d'hydrocarbures peuvent avoir des incidences socioéconomiques négatives non négligeables sur l'économie, plus particulièrement la pêche et le tourisme.» Les consultations au sujet de ce rapport ont lieu actuellement.
17 février 2014
Publication de l'EES sur le gaz de schiste. «La filière du gaz de schiste est sujette à un manque d'acceptabilité sociale qu'illustre la forte opposition de la part de diverses parties prenantes. Du côté économique, le prix très bas du gaz naturel sur les marchés nord-américains compromet la pertinence économique du développement de la filière du gaz de schiste. Le principe de précaution de la Loi sur le développement durable milite en faveur de la mise en veille temporaire de cette industrie pendant que la société québécoise cherche à répondre aux nombreuses questions qui demeurent en suspens.»
- Charles Côté
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé