Vendredi dernier, je publiais la chronique suivante : «Et si PKP était fédéraliste?». Question d’illustrer concrètement le deux poids, deux mesures qui semble s’appliquer sur le plan des interventions politiques dès que la personne influente qui s’exprime est souverainiste.
Or, dans les quotidiens, l’espace étant limité pour toute chronique, voici donc la version détaillée de mon texte de vendredi, y compris, pour ceux que le sujet intéresse, les liens appropriés en référence.
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Et si PKP était fédéraliste? (suite)
Les appuis au Parti québécois fondant comme neige au soleil, en cette année électorale cruciale pour les péquistes, une question est sur toutes les lèvres. Leur ex-chef Pierre Karl Péladeau serait-il tenté d’effectuer un retour dans l’arène politique? Dans le mouvement souverainiste, plusieurs l’espèrent.
Sur les médias sociaux, ses sorties senties contre le gouvernement Couillard alimentent bien évidemment les rumeurs. Le fait que son départ surprise de la politique en mai 2016 ait été involontaire pour les raisons que l’on connait ne fait qu’ajouter au mystère.
Résultat : des critiques commencent à monter. Peut-on même accepter, se demandent certains, qu’un grand patron des médias puisse continuer à se mêler ouvertement de politique sur les médias sociaux et songe même peut-être, qui sait, à un éventuel retour en politique?
La semaine dernière, mon collègue chroniqueur à La Presse, Yves Boisvert, s’inquiétait de la situation et affirmait ceci : «de nos jours, les cas de propriétaires de médias nationaux qui interviennent dans le débat politique [...] sont assez rares en Amérique du Nord.»
Allons-y donc pour quelques faits qui, sans parler «de nos jours», sont néanmoins de mémoire récente.
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À visière levée
Pour ou contre ses opinions, PKP fonctionne à visière levée. À l’opposé, feu Paul Desmarais père – fédéraliste irréductible et patron de l’empire Power Corp. incluant La Presse –, était très peu visible.
Pour tirer les ficelles des chefs politiques au Québec, au Canada et même en Europe, il préférait nettement les coulisses feutrées et discrètes du pouvoir.
Un exemple parmi tant d’autres : son amitié influente avec Nicolas Sarkozy. Une fois président de la France, il troqua la politique de non-ingérence et de non-indifférence envers le mouvement souverainiste pour un parti-pris ouvert pour l’unité nationale du Canada. En France, c’était un revirement majeur en matière de politique étrangère. C'est ce qui s’appelle faire de la politique à grande échelle.
Reconnaissant pour le soutien actif de M. Desmarais père, Sarkozy s’est même empressé de décorer son ami de la plus haute distinction en France – soit la grand-croix de la Légion d'honneur. Et le président de la République le fit en ces termes élogieux et personnels : «Si je suis aujourd’hui président, c’est grâce en partie aux conseils, à l’amitié et à la fidélité de Paul Desmarais.».
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Outils de combat politique
Autre différence. Pour feu M. Desmarais père et sa famille, propriétaires de l’empire Power Corp., la politique éditoriale de leurs journaux est inconditionnellement fédéraliste et rares sont même ses chroniqueurs à s’être aventurés sur un autre terrain.
Face au mouvement souverainiste, sur la question nationale, leurs éditoriaux ont été et demeurent des outils de combat politique. C’est certes leur droit le plus strict, mais le fait est indéniable.
Si La Presse prend maintenant le risque de quitter le marché du journal papier et diminue sensiblement le nombre de ses chroniqueurs politiques, c’est d'ailleurs en grande partie parce qu’au cours des dernières années, la «menace séparatiste» est disparue du radar. Bref, son besoin de tenter d’influencer l’opinion publique par ses positions éditoriales n’est plus ce qu’il était.
En 2008, alors qu’il était âgé de 81 ans, le patriarche Desmarais donnait une très rare entrevue au magazine français Le Point, qui confirmait ouvertement le tout.
À un moment où Desmarais père se réjouissait de la victoire de son ami Sarkozy et était réconforté par la présence de Stephen Harper au fédéral et de Jean Charest au Québec, voici comment Le Point le présentait : «Desmarais n’est pas seulement un magnat des affaires. Il a la haute main sur la presse de la Belle Province. Et tous les Premiers ministres du Québec (et du Canada) sont ses amis. Desmarais, homme d’influence...» Difficile d’être plus clair.
Rappelons aussi que son immense sphère d’influence en politique comprend aussi le mariage d'un des fils de Desmarais père à la fille de Jean Chrétien, ex-premier ministre libréal du Canada.
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Quand même, vous faites de la politique ?
À la question candide posée par le journaliste du magazine Le Point - «quand même, vous faites de la politique ?», Desmarais père a avoué avoir déjà voulu se présenter, mais son bégaiement l’en aurait empêché.
«Quelle est la ligne éditoriale de La Presse», lui demande aussi le journaliste. La réponse de M. Desmarais est tout aussi claire : «C’est mon mon fils André qui est chargé de La Presse. Notre position est connue : nous sommes fédéralistes. Ça nous a valu des conflits très durs. Au final, on est arrivé à un compromis : je ne dois pas intervenir dans le journal. Le point de vue des séparatistes peut apparaître, mais la ligne éditoriale est fédéraliste. Il n’y a pas d’ambiguïtés. Si le Québec se sépare, ce sera sa fin. Moi, je suis attaché à la liberté et à la démocratie.» Sa «fin» ? Comme déclaration politique, en voilà toute une.
Et que dire de cet échange épique – une menace tout aussi politique -, datant de 1988 entre Paul Desmarais père et le nouveau chef du PQ à l’époque, Jacques Parizeau. Un échange dont le contenu fut confirmé par les deux hommes en entrevue pour la 3e tome de la biographie de M. Parizeau de Pierre Duchesne. «En tout cas, de lancer M. Desmarais à M. Parizeau, si tu te présentes aux prochaines élections, on va te battre mon cher ! On va te battre.» Et qui était ce «on» ? Ces journaux ? Le PLQ ? Les deux ?
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Desmarais père préférait les coulisses feutrées et discrètes du pouvoir
Le 15 mars 2014, dans une de ses chroniques signées dans les pages du Journal de Montréal, l’ex-premier ministre Jacques Parizeau, commentant la candidature surprise de Pierre Karl Péladeau pour le Parti québécois, faisait d’ailleurs cette observation qui demeure toujours d’une grande pertinence :
«Pour ce qui est des trois journaux québécois (de Québecor), dont bien sûr le Journal de Montréal, ils sont aussi dans une classe à part. Il n’y a jamais eu de page éditoriale, on n’a jamais dit aux gens comment voter et on s’arrange depuis les tout débuts pour que les chroniqueurs viennent de tous les horizons. Si on condamne ce genre de pratiques, que doit-on penser de celles de Power Corporation qui, par sa filiale Gesca, contrôle sept des treize quotidiens québécois, en incluant les deux gratuits.
Il est vrai cependant que l’influence d’un empire médiatique sur le fonctionnement et les orientations d’un gouvernement pose problème. La concentration des médias est devenue une préoccupation universelle. Leur influence, leur ingérence même, dans les affaires des gouvernements peut s’exercer de bien des façons, plus ou moins transparentes.
Ainsi, dans mon cas, j’aurais bien aimé que monsieur Paul Desmarais siège devant moi à l’Assemblée nationale, plutôt que d’exercer sa considérable influence sur les affaires québécoises à Paris, à Ottawa, comme à Montréal et à Québec. Je suis certain que tout serait devenu beaucoup plus clair !»
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Stratégie inspirée de Harper
Aujourd’hui, comment aussi penser qu’en pleine année électorale, les 10 millions de dollars prêtés par le gouvernement Couillard à Groupe Capitales Médias de Martin Cauchon (*) - l’ancien ministre libéral fédéral et ami proche des Desmarais -, qui a racheté les journaux régionaux de Power Corp., tiendraient tout à coup du hasard ?
Ce prêt généreux et sélectif (Le Devoir ne recevrait quant à lui qu’un prêt maximal de 526 000$), ne va d’ailleurs pas sans rappeler la stratégie médiatique de l’ex-premier ministre conservateur, Stephen Harper. Lequel préférait nettement faire passer ses «messages» par des médias locaux moins critiques de tradition en matière de politique nationale.
La morale de cette histoire : si PKP était fédéraliste au lieu d’être souverainiste, qu’il avait levé le poing pour l’unifolié, qu'il avait dirigé le PLQ et qu’il s’exprimait maintenant contre le PQ et pour l’unité canadienne, les critiques contre ses interventions seraient possiblement plus nuancées...
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Addendum :
(*) Ce matin, le Bureau d’enquête du Journal rapporte ceci : «De riches investisseurs anonymes des paradis fiscaux ont misé au moins 165 millions de dollars dans des producteurs de pot autorisés au Canada. (...)En tout, 35 des 86 producteurs autorisés par Santé Canada, soit 40 % d’entre eux, ont bénéficié d’un financement offshore au cours des deux dernières années, selon les documents financiers consultés. Parmi eux, on trouve une firme de pot administrée par Alain Dubuc, chroniqueur de La Presse, et Martin Cauchon, propriétaire de journaux.»