Commentant l'élection de 1976, Pierre Elliott Trudeau a dit «M. Lévesque a réuni ses frères de sang»! Premier député noir à l'Assemblée nationale, Jean Alfred s'est écrié spontanément : «Et moi alors ? !» En lisant Bouchard-Taylor, j'ai eu le même réflexe au pluriel : «Et nous alors ? !»
J'ai trouvé ce document «lamentable» et digne d'être relégué, comme Jacques Parizeau le souhaite, à la filière numéro treize. C'est d'ailleurs ce qui lui arrive en fait.
Que deux intellectuels respectés se soient mis à l'écoute de la population est digne d'éloges. S'attaquer à toute forme de discrimination aussi, tout comme évaluer les accommodements raisonnables et les dédramatiser.
CONCILIATION
Pour le reste, le titre même du rapport est choquant. Le temps de la conciliation. Comme si nous avions besoin de nous faire annoncer une conciliation que nous pratiquons depuis toujours.
Bouchard et Taylor n'ont-ils jamais entendu parler du métissage avec les Amérindiens? Ou d'Ezechiel Hart, premier juif dans l'empire à être élu député à Trois-Rivières? L'adoption des orphelins irlandais de Grosse-Île leur est-elle inconnue? Le fait que Montréal ait accueilli proportionnellement plus de survivants de la Shoah que toute autre ville, leur a-t-il échappé? Qu'Oswaldo Nunez ait été le premier Latino élu au Parlement du Canada leur est-il étranger? Plus une multitude d'autres exemples de notre remarquable ouverture.
N'avons-nous pas, au contraire, été trop conciliants en n'adoptant la loi 101 qu'en 1977 et en laissant encore aujourd'hui 50% de ses enfants fréquenter les cégeps anglophones? En demandant aux fonctionnaires de parler en anglais aux immigrants? En tolérant qu'il soit plus facile à Montréal de travailler en anglais qu'en français? Les commissaires auraient dû plutôt nous complimenter pour notre tolérance et même nous mettre en garde contre une certaine complaisance.
INAPPROPRIÉE
Ressusciter l'appellation de «canadiens-français» est une autre aberration. Cette expression est complètement inappropriée aujourd'hui. À ma propre table familiale comme dans nombre de foyers québécois, cette appellation est devenue divisive.
Le concubinage avec le multiculturalisme est également désolant: seule la langue nous en démarquerait, comme l'a précisé un expert de la commission. L'interculturalisme se substituant à la convergence culturelle est un recul majeur. Ce n'est la voie ni pour le Québec ni pour aucun pays qui traite équitablement ses immigrants. Les États-Unis, la France et d'autres n'attribuent leur citoyenneté qu'aux personnes qui en adoptent les langues et les valeurs. Il est vrai qu'ils n'ont pas, comme une simple «province», à se satisfaire d'un vague engagement sans effets réels.
Bouchard-Taylor ont ainsi négligé d'attaquer de front l'influence néfaste des lois canadiennes sur les immigrants du Québec. Venus au Canada, officiellement bilingue et multiculturel, plusieurs se croient légitimement autorisés à ne pas s'intégrer à ce que nous sommes.
Il faut donner des signaux fermes d'intégration. Pour parodier Napoléon qui a mis ainsi fin à la ségrégation contre les juifs en France, le rapport aurait du dire: «Comme immigrants vous n'avez aucun droit, mais comme québécois vous les avez tous.» Changer de pays est une aventure aussi admirable que complexe. Elle ne peut réussir qu'en acceptant d'en changer vraiment.
Et nous alors ? !
«Comme immigrants vous n'avez aucun droit, mais comme québécois vous les avez tous.»
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Bernard Landry116 articles
Ancien premier ministre du Québec, professeur à l'UQAM et professeur associé à l'École polytechnique
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