Le mouvement environnemental a échoué, dit l’ex-commissaire au développement durable québécois et « ex-environnementaliste », Harvey Mead. Plus de 40 ans après le premier rapport du Club de Rome sur les limites de la croissance, on n’est toujours pas parvenu à convaincre les populations et leurs dirigeants de changer de paradigme économique. Il est désormais trop tard pour espérer entreprendre un virage en douceur vers le développement durable et éviter la collision avec la réalité.
Lorsqu’il regarde les nouvelles sur la crise européenne à la télévision, Harvey Mead a l’impression d’entrevoir l’avenir pas si lointain où la demande de matières premières, et, par conséquent, leurs prix, auront tellement augmenté que l’économie mondiale sera paralysée. « Les gens n’acceptent pas le catastrophisme. Je ne vois pas, ni chez nos leaders, ni dans la population, de véritable prise de conscience de l’exagération de notre mode de vie. Mais si on veut avoir une idée de quoi peut avoir l’air tout un continent dont l’économie est déstabilisée, il suffit de regarder du côté de l’Europe. »
L’échec
Premier sous-ministre québécois au développement durable, au tournant des années 90, et premier commissaire au développement durable du Québec avant de voir ce mandat brutalement interrompu en 2008, ce Québécois d’origine américaine a été de toutes les grandes batailles du mouvement environnemental québécois depuis la fin des années 60. Il a été l’un des premiers à prêcher les vertus du recyclage, du compostage, des voitures moins énergivores. Il a été l’un des premiers à élargir le discours écologiste au concept de développement durable.
Il ne veut plus aujourd’hui qu’on le présente comme un environnementaliste. « J’ai échoué dans cette carrière. » Il a publié en 2011 un volumineux ouvrage expliquant, notamment aux économistes, comment on pourrait remplacer le recours systématique au produit intérieur brut (PIB) par un Indice de progrès véritable faisant la somme de toutes les avancées en matière de qualité de vie, mais soustrayant aussi toutes les externalités négatives comme l’épuisement des ressources et la pollution. Outre ses nombreuses apparitions à des conférences, il tient également depuis peu un blogue (harveymead.org).
« Le changement de paradigme n’est pas survenu, constate-t-il à regret. Le seul objectif qui prévaut aujourd’hui est encore celui de la croissance. » C’est toujours le seul objectif qui compte vraiment pour les économistes et les grandes institutions économiques internationales qui conseillent les politiciens et que citent les médias. C’est aussi le principal objectif que défendent actuellement des dirigeants plus progressistes, comme Barack Obama aux États-Unis et François Hollande en France. Même Joseph Stiglitz - le célèbre Prix Nobel d’économie et grand critique du PIB - n’arrive pas à s’empêcher de retomber dans ces ornières intellectuelles.
L’inévitable choc
Harvey Mead ne croit pas en cette démarche consistant à essayer de donner une valeur financière aux écosystèmes afin qu’ils soient mieux pris en compte par la logique économique. « Actuellement, l’environnement et l’économie sont fondamentalement irréconciliables. » Il juge tout aussi sévèrement tous ces environnementalistes qui affirment qu’une poursuite de la croissance économique est possible si l’on entreprend une révolution industrielle verte qui s’appuierait, entre autres, sur les sources d’énergie renouvelables et sur des procédés de production tenant compte du cycle de vie des biens. « Il est trop tard pour cela. On n’a plus le temps », croit-il.
Quoi que l’on dise sur la dématérialisation de nos économies, que permettraient, entre autres, la croissance du secteur des services et les technologies numériques, elles ne savent toujours pas comment croître sans consommer plus de matières premières, à commencer par les énergies fossiles. Comme ces ressources ne sont pas illimitées, leur rareté et donc leurs prix ne peuvent qu’augmenter sans cesse, jusqu’à ce qu’ils pèsent trop lourd dans la balance.
Le Club de Rome avait déjà décrit ce phénomène au début des années 70, et avait prédit l’atteinte d’un point de rupture aux alentours de 2025-2030. Après cette date, l’augmentation des prix de l’énergie, des autres ressources non renouvelables et de l’alimentation allait plomber les économies et même provoquer un certain déclin démographique.
Les faits semblent donner raison à ces prédictions. Le taux de retour énergétique durant les belles années où le pétrole gisait du sol presque déjà raffiné était d’une unité d’énergie investie pour 100 unités extraites. Ce ratio est tombé depuis à 1 pour 25 dans les nouvelles exploitations pétrolières, il est d’environ 1 pour 20 pour le gaz naturel, il serait d’environ 1 pour 5 pour les sables bitumineux et le gaz de schiste, et de presque 1 pour 1 pour l’éthanol de maïs. Les sources d’énergie renouvelables ne seraient pas d’un grand secours, poursuit Harvey Mead. Les panneaux solaires ne dépassent pas un ratio de 1 pour 10 et l’énergie éolienne fait à peine mieux, alors qu’on estime que ce ratio serait le strict minimum pour permettre à nos sociétés de maintenir leur mode de vie et que ces sources alternatives ne comptent toujours pour presque rien dans leur approvisionnement énergétique.
« Vous vous souvenez quand le prix du pétrole est monté à 148 $ le baril en 2008 ? donne-t-il comme exemple. Tous les secteurs ont été touchés. Il y a eu des émeutes de la faim. Ici, on ne parle pas seulement des prix de l’énergie, mais de celui de l’ensemble des principales ressources. »
Et l’environnement ?
Les perspectives sur le plan environnemental ne sont pas plus brillantes. Toutes les grandes institutions économiques internationales admettent désormais que les États n’ont aucune chance d’atteindre les cibles qu’elles se sont fixées en matière de réduction de gaz à effet de serre à moins d’un changement de cap tout aussi spectaculaire qu’improbable. Cela ne les empêche pas d’échafauder toutes sortes de scénarios de virage vers une économie verte.
Mais tout cela arrive trop tard, répète Harvey Mead. Le choc est inévitable et sera très dur. « Il ne nous reste plus qu’à essayer de sauver les meubles. De voir comment les pays riches parviendront à gérer l’effondrement du système économique et social. » L’un des grands avantages de cette décroissance est qu’elle donnera plus de temps pour changer enfin de paradigme et amorcer une véritable conversion vers une économie verte.
« Le plus gros problème est le sort des quatre ou cinq milliards d’êtres humains qui vivent toujours dans la pauvreté, observe-t-il. Il faudrait pouvoir trouver le moyen de traverser cette période de crise sans que cela les empêche d’améliorer leur situation. »
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