C’était l’an dernier, en fin de parcours du défilé de la Fête nationale, Laurent, que je n’avais pas revu depuis des lustres, m’ayant repéré derrière la banderole du Mouvement Montréal français, m’interpelle, mi-sérieux, mi-plaisant, « comme cela, te v’là chez les nationaleux ! » N’importe qui d’autre aurait eu ma façon de penser, mais Laurent, c’est un vieux pote, alors je suis allé au-devant pour l’étriver à mon tour : « et toi, toujours avec la gogauche ? ».
On s’était connus lors de la création de l’Association nationale des étudiants du Québec en 1975, alors que nous étions tous les deux du même côté de la barricade. Puis on s’était perdus de vue, après les études et la déconfiture des marxistes-léninistes. Laurent était resté dans la mouvance de gauche, alors que moi je m’étais rapproché des nationalistes, après les avoir pourtant boudés. Mais là, mon ancien camarade commençait à branler dans le manche et se demandait s’il ne devait pas palier au plus urgent et abandonner Québec Solidaire, où il logeait dorénavant, pour rejoindre lui aussi les nationalistes, d’où sa boutade de tantôt qui ne se voulait donc pas maligne.
De toute façon, se faire traiter de nationaleux ne devrait pas nous faire faire de l’urticaire, à plus forte raison quand cela vient de nos adversaires fédéralistes – et notez que je ne dis pas « fédéraleux », car dans ce cas l’adjonction du suffixe péjoratif « eux » serait tout ce qu’il y a de plus redondant. Que pouvons-nous attendre des fédéralistes, je vous le demande, sinon que du mépris. À part ça, comme le linguiste de Saussure l’a dit, le mot « chien » n’a jamais mordu personne.
Attablés aux « 3 Brasseurs », quelques heures et quelques chopes plus tard, nous avons poursuivi la discussion en devisant sur comment réaliser la souveraineté du Québec en un tournemain. Pour Laurent comme pour moi, il saute aux yeux que le Québec est en péril, que le français perd partout des plumes, toujours au détriment de l’anglais – maudit anglais – et que cela en devient préoccupant… hips ! Comme dit la chanson de l’autre – comment il s’appelle au juste ? – il faut se grouiller le cul. Ça, on est bien d’accord, hips ! mais moi je suis déjà grand-père et lui est resté garçon, il faut des renforts, car on n’y arrivera pas à deux, d’autant que lui m’avait l’air assez pompette merci et que je n’étais pas parti non plus pour veiller tard. Nous nous sommes laissés peu avant minuit, avec un plan de match pour l’indépendance clés en main, rien de trop beau pour la classe ouvrière. Lui avait garé son citron pas loin de là, et moi je devais prendre le dernier métro avant qu’il ne se transforme en citrouille. Déjà que ma femme m’attendait avec impatience et un rouleau à pâte. C’t’idée aussi de faire des tartes après minuit, Betty Crocker de mon cœur.
Mais revenons au mot nationaleux… qui dérive bien sûr du mot national, auquel on a accolé le suffixe « eux », lui donnant du coup une connotation négative, passéiste, vieux chnoque. Il faut admettre qu’il est bien utile ce mot pour dénigrer tous ceux qui se préoccupent de la pérennité de la langue, qui sont fiers de leurs racines et de leur identité. Pourtant, à ce compte-là, on pourrait trouver une multitude de coreligionnaires nationaleux partout dans le monde, sans que personne ne s’en formalise, ni encore moins ne s’en offusque. Car tous les peuples ne sont-ils pas fiers de leur identité, ne souhaitent-ils pas tous la pérennité de leur langue… qu’y a-t-il de mal à cela ? Demandez-le aux Israéliens et aux Palestiniens, pour ne mentionner que ceux-là. On voudrait nous foutre un complexe, bordel, qu’on n’agirait pas autrement.
Et quand nos adversaires emploient ce mot, c’est souvent à l’encontre de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, qui serait, selon ceux qui veulent nous faire croire au Bonhomme Sept-Heures, un repaire de nationaleux. Pourtant, la réalité est tout autre. Je dois en savoir quelque chose, puisque je milite dans cet organisme qui aura bientôt 175 ans. La vénérable société cherche au contraire à tisser des liens, échanger et établir des rapports amicaux avec de nombreuses communautés culturelles. Ce n’est pas un organisme fermé sur lui-même, loin s’en faut. Au contraire, la SSJB fait preuve d’ouverture, est inclusive, et, si vous en doutez, c’est que vous n’avez jamais entendu parler son président Jean Dorion.
Certes, à une autre époque, la SSJB a tenu quelques propos malheureux, mais c’était dans l’air du temps, comme on dit. Et, ne serait-ce que sur la question de la communauté juive, on sait aujourd’hui que « nos Anglais » ne laissaient pas leur place, pour ne pas dire qu’ils donnaient le ton, William Lyon Mackenzie King en tête. Il ne faut pas oublier non plus que les Canadiens français sont passés au laminoir plus souvent qu’à leur tour, qu’ils en ont vu des vertes et des pas mûres depuis la Conquête, qu’on a tout fait pour les assimiler (et en partie réussi d’ailleurs). Et cette Confédération de malheur qu’on leur a imposée, sans demander leur avis… ce fut encore dans le but qu’ils s’effacent et s’écrasent à jamais. Notre chance aura été d’appartenir à une race qui ne veut pas mourir. Car s’il n’en était tenu qu’aux Anglais… il y a belle lurette que les Canadiens français auraient rejoint les Béothuks au paradis.
Il ne faut pas avoir honte de ses origines. Ceux qui devraient avoir honte, ce sont ceux qui les cachent sous le tapis, au nom d’un internationalisme apatride, tuant ainsi la beauté du monde. Tous les peuples libres de la planète célèbrent pourtant leurs héros, s’en inspirent et vantent leur histoire. Prenez les Américains, pensez-vous qu’ils ne sont pas peu fiers de leur passé ! Alors qu’on trouve ici, parmi les nôtres, des gens qui seraient prêts à répudier leur nationalité, faire un trait sur leur histoire, pour mieux embrasser l’identité de l’autre, pour mieux se couler dans la masse uniforme…
Il y a quelques jours, au micro de Radio-Canada, la chroniqueuse artistique jubilait à l’idée que Pascale Picard – cette jeune chanteuse qui fait carrière en anglais – serait bientôt vue à la télé française par des millions de spectateurs. Et, pensez donc, mon doux Seigneur, c’est en anglais qu’elle chante par-dessus le marché ! C’est pas mêlant, plus la chroniqueuse s’extasiait de la chose, allant jusqu’à mouiller sa petite culotte, plus j’étais frappé par cette surdose indécente d’enthousiasme délirant, qui n’était pas de commune mesure avec la nouvelle en tant que telle. Vite, il faut dérouler le tapis rouge, se prosterner devant ce choix si original – j’insiste – de l’anglais ! Certains chroniqueurs ont eu la même réaction excessive quand l’écrivain Yan Martel a remporté un prix avec un livre écrit en anglais. Du coup, ça éclipsait Marie Laberge, Michel Tremblay et tous les autres réunis. On trépigne de joie sitôt que l’un d’entre nous se commet en anglais, comme s’il s’agissait d’un grand exploit, tiens – tant qu’à délirer – comparable à celui d’escalader le Kilimandjaro en fauteuil roulant. À la limite, si Pascale Picard chantait en ouighour et que Yan Martel avait écrit son livre en panjâbî, je veux bien croire qu’on aurait pu faire le jars et se péter les bretelles. Mais, en anglais ? Dans un monde dominé par l’anglo-américain, la chose reste banale… sauf peut-être quand on est un peu colonisé sur les bords. Mais bon, nos petits anglophiles pensent autrement et, prenez garde de leur en faire le reproche, ils vous traiteront vous aussi de nationaleux.
Si c’est être nationaleux que de s’affirmer ou que d’affirmer que notre destin se joue au Québec, je veux bien être traité de nationaleux. Je m’en moque comme de l’an quarante que les fédérastes s’énervent le poil des jambes chaque fois que je me tiens debout ou que je leur dis leurs quatre vérités. Et ils n’ont encore rien vu ! car plus ma compréhension de notre histoire bourrée d’injustices envers les nôtres va en s’approfondissant, plus j’ai peine à me contenir. Félix ne voyait-il pas monter la colère ? Ce doit être cela, j’en ai bien peur… pour eux. Et, pour paraphraser Michèle Lalonde, nous savons que nous ne sommes pas seuls !
Le nationaleux, au fond, cultive la mémoire. Il est dérangeant et c’est pourquoi certains s’évertuent à lui dire que sa date de péremption est dépassée. Alors que les anti-nationaleux préfèrent réécrire l’histoire – celle du 400e, par exemple. Alors que les anti-nationaleux ont toujours des accommodements à portée de main à proposer, toujours une courbette à faire. L’essentiel pour eux est que pour rien au monde on ne les associe aux nationalistes, au cas où cela aurait quelque incidence sur leur carrière, leurs subventions, leurs voyages académiques au frais de la princesse, etc. Au fond, ceux qui n’ont que des vilains mots contre les nationaleux sont des calculateurs, comme ce « Dandy » Laferrière qui a vite compris comment faire la cour à une reine-nègre sans se fatiguer. Qui sait si demain il n’aura pas droit aux honneurs de la gouverneure générale et de son grand dadais de mari et qu’ils ne trinqueront pas pour une bonne cause. Vive le Québec… euh ! vive Haïti libre… hips !
Après ce que je viens d’écrire, n’allez pas croire que je voue un culte au nationaleux, que je ne lui connais que des vertus et pas de défauts. C’est mal me connaître. Je dis juste que le nationaleux est un acteur nécessaire et que du seul fait qu’il embête les Pratte, Dubuc et Lysanne Gagnon de ce monde, qui le voient jusque dans leur soupe, eh bien, ne serait-ce que pour cela, le nationaleux mérite de la patrie. Et que nos adversaires s’étouffent avec !
Jean-Pierre Durand
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