Les élections en Moldavie et Bulgarie, annonçant un virage à l'Est, traduisent l'émergence d'une nouvelle géographie de l'UE, pour Florent Parmentier, analyste en géopolitique.
RT France : Vous attendiez-vous à ce résultat en Moldavie et en Bulgarie ?
Florent Parmentier (F. P.) : Dans les deux cas, des opposants sont venus au pouvoir dans un contexte de défiance croissante par rapport aux institutions européennes et aux valeurs qu’elles promeuvent. Paradoxalement, en France, dans un certain nombre de pays de l’Europe de l’Ouest on a tendance à considerer que la Russie appuie des mouvements d’extrême droite pour défendre ses positions. En l’occurence, en Moldavie et en Bulgarie ce sont des mouvements socialistes de gauche qui sont plutôt favorables à la Russie. Ces deux victoires ne sont pas étonnantes sur la composition électorale et le programme qui est proposé. En revanche, c’est vrai que les partis pro-européens avaient tendance à mobiliser davantage aux precedents élections. En ce qui concerne la Moldavie, le taux de participation a été au second tour de 53%, ce qui est faible dans l’absolu. Il n’a augmenté que de cinq points par rapport au premier tour, où il était à peu près de 48%. Les deux candidats pro-russes ont été annoncés comme étant en tête au premier tour et avaient de grandes chances de remporter la présidentielle. C’est le premier élement qui va dans le sens de la continuité par rapport au premier tour. Ensuite, il est naturel que, dans les régimes politiques relativement ouverts, il y ait des alternances au pouvoir. C’est quelque chose d’assez régulier. Il est vrai que le pouvoir qui était présent en Moldavie depuis 2009, l’Alliance pour l’intégration européenne, et les gouvernements qui ont suivi, ont été très déconsidérés par des scandales fin 2014. La victoire du candidat pro-russe c’est donc aussi l'échec des Européens à mettre en avant la question de la corruption ou, en tout cas, de ne pas lui avoir donné l’importance qu’elle a aux yeux de l’opinion publique moldave.
Il y a une vraie différence entre une Europe de l’Ouest et une Europe centrale et orientale, et elle a tendance à s’accentuer plutôt qu’à diminuer
RT France : La victoire du candidat «pro-russe» implique-t-elle une sorte de défiance de la population à l’égard des institutions européennes ?
F. P. : L’idée est de ne pas choisir entre l’UE et la Russie, mais de se demander de quel côté on se sent plus proche par rapport à ce qu’on est. Les valeurs européennes et les différentes choses sous-tendues par l’intégration européenne, des valeurs sont associées à l’Europe, sur le droit des minorités, de la famille, etc... ces valeurs européennes ne sont pas nécessairement en ligne avec les valeurs des sociétés concernées. Il y a une vraie différence entre l'Europe de l’Ouest et l'Europe centrale et orientale qui a tendance à s’accentuer plutôt qu’à diminuer. Cela aura-t-il un impact en matière politique ? Il est évident que le nouveau président bulgare n’aura pas l’obsession de sortir de l’OTAN ou de l’UE, tout simplement parce qu’il n’en a pas les moyens. Mais il pense qu’à travers le relai russe il aura davantage de poids pour défendre ses propres valeurs et intérêts. On n’est jamais pro-russe ou pro-européen, on est avant tout pro-soi-même. Parfois on imagine qu’à travers l’UE on fera avancer son pays, son clan, et parfois on pense que c’est à travers la Russie. Mais il ne faut peut-être pas surestimer l’importance géopolitique du vote. L’importance géopolitique existe dans la structuration du parti politique en Moldavie et en Bulgarie, mais cela ne résume pas l’ensemble des clivages politiques au sein des sociétés concernées.
L’UE est un moyen de sublimer les différences
RT France : Est-ce une mauvais nouvelle pour l’Europe que les deux candidats soient pro-russes ?
F. P. : Tout dépend de ce que l’on entend par l’Europe. Si on la voit comme une construction politique homogène définie à Bruxelles par un certain nombre de valeurs, celles de l’Europe de l’Ouest, on peut clairement voir une différence de lignes au sein de l’UE, différence qui a tendance à s’accentuer. La position, par exemple, bulgare, se rapproche finalement de ce qui se fait en Europe centrale sur la question des migrants, des valeurs traditionnelles, de la défiance des populations par rapport à une Europe perçue comme un cheval de Troie de la mondialisation.
Alors, on peut considérer qu’il y a une différence à l’intérieur de l’UE qui s’accentue. En Europe il y a toujours eu des regroupements, des différences notables, le couple franco-allemand lui-même met d’un côté un pays de tradition centralisatrice, la France, et de l'autre un pays d’essence fédérale, l’Allemagne. Il est évident que l’UE est un moyen de sublimer ces différences. La question est de savoir si, aujourd’hui, l’UE a les moyens d’aller vers le sens d’une synthèse.
RT France : L’Europe en est-elle capable ?
F. P. : Je pense que l’UE est capable de le faire. Aujourd’hui, peut-être, les pays qui sont hostiles à la Russie sont finalement moins nombreux du fait du basculement de la Bulgarie. Peut-être que, dans l’équilibre au sein de l’UE, les décisions qui viendront dans les prochains mois auront un impact sur une partie des sanctions. On peut tout à fait imaginer, aussi, que le président Trump aille dans le sens de la levée partielle des sanctions vis-à-vis de la Russie. La question au sein de l’UE se posera différemment. Naturellement il y aura une grande différence entre les points de vue polonais, lituanien, estonien, letton d’un côté, et de l’autres des positions beaucoup plus moderées comme en Bulgarie, en Hongrie, à Chypre. On aura une nouvelle géographie européenne sur la question des sanctions.
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