Dualité linguistique - Réplique à Graham Fraser

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Et vlan !

J’ai le plus grand respect pour M. Graham Fraser et je suis admiratif du travail qu’il accomplit à titre de commissaire aux langues officielles. Je ne nie pas que plusieurs Canadiens anglais pensent comme lui et manifestent de l’ouverture et même de l’intérêt quant au fait français. Cependant, ayant passé la majeure partie de mon enfance et de mon adolescence à Notre-Dame-de-Grâce, j’ai été très tôt exposé au «Quebec bashing» des journaux The Suburban et The Gazette des années 50 et 60. Or, je ne me souviens pas d’y avoir lu un seul texte d’un compatriote canadien-anglais dénonçant avec vigueur cette pratique du «Quebec bashing».
Si j’étais Canadien anglais, comme mes oncles et ma tante, et si j’étais commissaire aux langues officielles, j’aurais répliqué non pas à celui qui dénonçait cette pratique, mais bien à celui qui a écrit dans le National Post qu’après vingt ans d’indépendance, le Québec serait forcément devenu «un petit pays profondément endetté, coupé du flux des subventions fédérales, à l’économie faible et dominée par l’État, une société corrompue des pieds à la tête tentant péniblement de survivre au milieu d’économies beaucoup plus importantes et performantes ne prêtant aucune attention à ses inquiétudes culturelles».
Voici ce que je lui aurais écrit :
Cher collègue,
À la lecture de votre récente chronique, je me suis demandé sur quelles bases objectives vous pouviez vous appuyer pour déclarer qu’après vingt ans d’indépendance, le Québec serait forcément un pays pauvre et endetté et une société «corrupt from top to bottom» toujours aux prises avec ses inquiétudes culturelles.
Je me demande encore quelles inquiétudes culturelles un Québec indépendant depuis vingt ans pourrait conserver. S’il y en avait, elles ne seraient en rien comparables, vous l’avouerez, à celles que le Québec a dans le contexte canadien, si l’on songe que les francophones représentaient 30% de la population canadienne, il y a 70 ans encore, et que leur proportion s’approche maintenant dangereusement des 20% (la prochaine étape étant celle des 10%, étape qui devrait être franchie vers 2070, semble-t-il).
Sur le plan économique, dois-je vous rappeler que les Pays-Bas (appelés alors les Provinces unies) ont acquis officiellement leur indépendance de l’Espagne en 1648 et que, vingt ans plus tard, ils étaient la première puissance commerciale du monde? Vous savez aussi que les pays d’Europe dont les habitants ont le plus haut revenu par tête sont le Luxembourg (indépendant depuis 1867), qui a un demi-million d’habitants, la Norvège (indépendante depuis 1905), qui a cinq millions d’habitants, et la Suisse, dont la population est égale à celle du Québec, et que ces trois pays ont basé leur richesse même sur leur souveraineté (sans souveraineté, pas de système bancaire propre, pas de secret bancaire, pas de fiscalité propre, pas de franc suisse ni de couronne norvégienne, pas de neutralité pour la Suisse, etc.). Vous ne nierez pas que l’indépendance des États-Unis et celle du Canada n’ont pas causé de catastrophes économiques. Pourquoi en serait-il autrement pour le Québec?
Venons-en à la corruption. L’organisation criminelle la plus puissante au Canada, la ‘Ndrangheta, c’est-à-dire la branche calabraise de la mafia italienne, est basée à Toronto et non à Montréal. On nous dit que Toronto constitue peut-être la base d’opération la plus importante au monde de la ‘Ndrangheta. Il serait bon de s’en souvenir quand on tient pour acquis que le cœur de la corruption au Canada se trouve au Québec. Une Commission Charbonneau ontarienne pourrait changer beaucoup d’idées reçues là-dessus. Il serait tout de même surprenant que la ‘Ndrangheta ontarienne opère sans la moindre corruption…
Tout cela pour dire que je ne vois aucune base objective à votre affirmation sur la pauvreté, l’endettement, la corruption et la vulnérabilité culturelle d’un éventuel Québec indépendant. Il faudrait donc vous demander s’il n’y aurait pas derrière votre affirmation une certaine forme de racisme ou de mépris profond à l’endroit des Québécois et du Québec, mépris qui vous conduirait à croire que, laissés à eux-mêmes, les Québécois ne peuvent qu’échouer et s’adonner à la plus totale corruption.
Si tel était le cas, comme commissaire aux langues officielles, je n’aurais d’autre choix que de dénoncer vos écrits afin de garantir à notre minorité francophone une fin de vie dans le respect et dans la dignité. Lorsque cette minorité aura atteint le seuil de 10%, le temps sera venu de faire son éloge «funèbre». D’ici là, la discrétion et la politesse à son endroit sont de mise. Je tiens à vous le rappeler.

G. F.


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