Je crois n’avoir jamais visionné un reportage aussi malhonnête, aussi biaisé, aussi mal informé (volontairement?) que celui présenté hier soir le 27 novembre à l’émission «Enquête» de Radio-Canada. La journaliste (le mot est un peu fort, j’en conviens) Johanne Faucher tente de nous persuader, par un montage digne des pires méthodes de propagande connues, que l’intégrisme musulman au Québec n’existe pas.

Elle ne se gêne pas au passage pour salir ou tenter de salir des réputations (notamment Fatima Houda-Pepin, Louise Mailloux et Julie Snyder). Elle ne se gêne pas pour faire la part belle aux opposants à la Charte de la laïcité, sans nous offrir la contrepartie. Bref elle se livre à un processus de désinformation qui fait passer tous les partisans de la Charte des valeurs (une majorité de la population selon les sondages) pour des islamophobes. C’est certainement une thèse qui plaît aux multiculturalistes de tout acabit, aux fédéralistes et aux Bouchard-Taylor de ce monde. Mais c'est une thèse d'idiots utiles qui ne résiste pas à l'analyse.

Évidemment, les récents attentats à Ottawa et à Saint-Jean-sur-Richelieu ne sont que le fait de «jeunes tourmentés», nous lance la journaliste dans son reportage, comme si ces terroristes ne s’étaient nullement abreuvés au discours intégriste des islamistes. Quand on ne peut accepter la réalité, on la déforme.

Évidemment, ce coup monté (le reportage) ne s’intéresse nullement aux actes terroristes qui ont émaillé notre histoire depuis deux décennies. Ce serait reconnaître la présence de l’intégrisme dans notre cité. La liste de ces actes est longue pourtant et Daniel Baril nous le rappelle en détails dans le journal Voir de ce matin. Ce n’est pas d’hier que l’islam politique sévit chez nous. Mais l’islamisme, comme l’affirme le reportage d’hier, s’affirme en dehors des mosquées, en des milieux qui sont en partie connus des services de renseignement. Pourquoi Johanne Faucher a fait fi de cette information pour nous dépeindre un portrait rose-bonbon de la situation? Incompétence? Parti-pris? Mauvaise foi? Certainement, et avec l’appui de ses patrons, semble-t-il.

Faire fi de pans entiers de l’histoire de l’intégrisme chez nous n’est pas ce que l’on peut appeler faire du bon journalisme lorsque l’on enquête sur ce sujet. La rétention d’informations aussi capitales est un geste répréhensible qu’il faut dénoncer. Ce reportage porte mal son nom. Il vise en tout premier lieu la laïcité et ses défenseurs, non pas l’intégrisme religieux. Il est idéologique. Il semble téléguidé d’en haut pour répondre à la mission première de Radio-Canada : défendre l’unité canadienne. Cela implique évidemment d’enfoncer la vérité pour renforcer l’approche de Philippe Couillard et du Parti libéral du Québec qui n’ont que faire de la neutralité de l’État. En somme, les faits importent peu dans cette croisade.

La liste des manquements journalistiques qui émane de l’émission d’hier est encore longue. Nous pourrions y passer la journée, ne serait-ce qu’à discuter de la pertinence du choix des personnes interrogées…

Mais je préfère ajouter ici, en guise de conclusion, un texte que j’ai écrit en 2001 dans La Presse et qui démontre encore une fois que le terrorisme islamiste n’est pas né d’hier chez nous, n’en déplaise aux bien-pensants de l’émission «Enquête»:

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«Le Canada n'a pas compris les leçons du 11 septembre»
Réquisitoire en règle du juge français Jean-Louis Bruguière contre la naïveté des autorités canadiennes en matière de terrorisme

«BIEN OUI, vous êtes mal partis, lance le juge Jean-Louis Bruguière dans son petit bureau du palais de justice. Il va falloir que vous ayez un attentat-massacre dans le métro de Montréal... À ce moment-là, vous comprendrez. C'est ça le risque. La traque d'Al-Qaeda, l'interpellation ou la mort de ben Laden ne changeront pas grand-chose (à la menace terroriste). Moi, je peux vous le dire, ça c'est clair : le pire est devant nous. Il n'est pas derrière nous. Notre évaluation est qu'il va se passer quelque chose. Nos sismographes - malheureusement, on ne s'est jamais trompés - nous le disent.»

La mise en liberté contre caution par un juge ontarien ce mois-ci à Toronto du Canado-Marocain Abdallah Ouzghar, condamné en France à cinq ans de prison pour avoir été associé au fameux gang terroriste de Roubaix, paraît aux yeux du juge français Jean-Louis Bruguière, spécialisé depuis 20 ans dans le terrorisme, tenir de l'aveuglement et de la naïveté les plus complets.

Au cours d'une longue entrevue à La Presse, le juge Bruguière, de la 14e chambre du Parquet de Paris, estime en effet que la leçon du 11 septembre n'a pas encore été comprise par les autorités canadiennes.

Il n'est pas écarté, a ajouté le juge, que le prochain attentat terroriste comparable à celui du 11 septembre ait lieu contre des intérêts américains en sol canadien. Mais le juge Bruguière croit davantage, selon les informations compilées par ses services, que c'est l'Europe qui risque d'abord d'être visée cette fois. Non seulement le juge Bruguière met-il en garde le Canada contre un certain laxisme dans son attitude face à la menace terroriste - le considérant comme un maillon faible de la lutte antiterroriste -, mais il affirme de plus que le démantèlement de la cellule d'Ahmed Ressam à Montréal ne met pas un terme à la présence au Canada d'individus liés au réseau Al-Qaeda d'Oussama ben Laden. Jean-Louis Bruguière croit en effet, preuves matérielles à l'appui, dira-t-il, que d'autres réseaux terroristes sont implantés au Canada et attendent leur heure. «Je crains qu'il y en ait d'autres, assure-t-il. On a des éléments, y compris aux États-Unis. Mais on ne peut pas vous les donner. Vous savez, ça fait 20 ans que l'on travaille là-dessus. On a des bases de données, des éléments importants. »

Alors l'extradition en France du Canado-Marocain de Hamilton, Abdallah Ouzghar, s'inscrit, selon Jean-Louis Bruguière, dans la nébuleuse de la lutte contre Al-Qaeda. Et il explique pourquoi cet homme, condamné in absentia à cinq ans de prison lors du procès du gang de Roubaix en France, doit purger sa peine.

« C'est très simple, dit-il. Ouzghar a été impliqué judiciairement dans une procédure française concernant effectivement le gang de Roubaix, les effets du gang Roubaix, un réseau constitué à partir de la France, mais dont le point principal de départ était le Canada. Cette enquête française a établi d'une façon certaine, d'une façon sûre, d'une façon sérieuse, avec des éléments de preuve incontestables et qui ne sont pas contestés, que se trouvait au Canada une cellule opérationnelle importante, liée à la mouvance islamiste radicale pakistanaise-afghane tout proche d'Al-Qaeda et qui était dirigée par Fateh Kamel, que nous avons arrêté et fait arrêter en mai 1999 en Jordanie et qui a été extradé en France. Au sein de cette cellule se trouvait divers individus : Omary, Mustapha Labsi, Saïd Atmani et Ahmed Ressam. Voilà. Et Ouzghar bien évidemment, qui faisait partie de ce réseau. Tous ces gens ont été formellement identifiés et pour chacune de ces personnes, nous avons recueilli des éléments de preuve concernant le rôle qu'ils avaient chacun au sein de cette cellule, un rôle de conspiration dont l'objectif était de monter des structures clandestines dans le but de commettre des attentats sur le sol américain. L'arrestation de Ressam étant la confirmation, la concrétisation de cela. Et ce que dit M. Ressam aujourd'hui - ce n'est pas à moi de vous le dire, demandez aux États-Unis - ne fait que valider ce que nous avions dit. Nous avons la satisfaction aujourd'hui de nous rendre compte que les aveux de Ressam confortent et valident les éléments de notre enquête. Voilà. Il est certain que puisque M. Ouzghar, ayant été condamné par la juridiction française, par défaut donc, à l'emprisonnement au titre d'association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes en France, la France est fondée de réclamer son extradition au Canada. Voilà la base légale. C'est clair.»

La ministre de la Justice canadienne, Anne McLellan, doit décider avant le 29 décembre s'il y a lieu d'entamer une procédure d'extradition contre Ouzghar. Cet attentisme fait rager la France. D'autant plus que le juge Ian Nordheimer de la Cour supérieure de l'Ontario, celui qui a libéré Ouzghar contre caution, a qualifié de «très inquiétant» le processus judiciaire français dans cette affaire, faisant valoir que M. Ouzghar n'avait pas commis d'acte de violence au Canada, une argumentation qui n'arrange pas les choses avec le juge Bruguière.

«Non mais attendez ! s'exclame-t-il. Ouzghar est poursuivi pour association de malfaiteurs, pour conspiration. M. Ressam n'avait pas commis d'acte de violence non plus. On l'a arrêté avant. Pour commettre un attentant, il faut des structures logistiques et de soutien. Il est incontestable que les 19 pirates qui sont responsables des attentats du 11 septembre aux États-Unis ont bénéficié du soutien d'un réseau logistique. En Europe, en Allemagne, on a vu, en Grande-Bretagne, en Espagne, ou ailleurs, de faux papiers, du financement, des bases de repli, etc. Sinon, c'est pas possible ! Donc il est évident que si vous n'avez pas un réseau logistique, vous n'avez pas d'opération à caractère terroriste. Ce n'est parce que quelqu'un ne met pas les doigts dans le cambouis qu'il a les mains propres. Il est évident que ces réseaux sont encore plus importants, font partie du complot, d'un ensemble de dispositifs militaires mis en place pour commettre des actions terroristes. Il ne faut pas être angélique ; il faut être conscient de cela. Et juridiquement, on est proche de la complicité : «soutien indirect en vue de... » Or il est évident que M. Ressam n'ignorait pas ce qu'il allait faire et que les liens avec M. Ressam étaient étroits. M. Ressam était avec M. Labsi, avec un certain nombre d'individus qui participaient, qui ont partagé le même projet.»

Enfin, le juge Bruguière trouve «totalement irresponsable» que le Canada refuse d'admettre, encore aujourd'hui, qu'une cellule d'Al-Qaeda a été installée sur son territoire et que des liens réels existaient entre Fateh Kamel, du gang de Roubaix, Ahmed Ressam et Abou Zoubeïda, un lieutenant d'Oussama ben Laden.

«Dans l'enquête que nous avons menée, rappelle-t-il, une enquête sérieuse de 1996 à 2001, nous avions des éléments extrêmement précis sur cette cellule. Et je crois que malheureusement les événements nous ont donné raison, car Ressam a été interpellé avec des explosifs. Ce ne sont pas les Français qui ont mis les explosifs dans le coffre de sa voiture. Et nous savons aujourd'hui, alors qu'il a commencé à parler aux États-Unis, que son intention était de commettre un attentat sur le sol américain, un attentat important. C'était la première alerte. Et moi je l'ai dit, lorsque j'ai été entendu par une cour fédérale pendant sept heures, à la demande des Américains, parce que même les Américains étaient très désarmés par cela. Ils n'avaient pas d'éléments, tous les éléments, c'est nous qui les avions amenés, et en partie nous leur avons amené des éléments canadiens que nous avions recueillis lors de l'exécution de la commission rogatoire en octobre 1999 à Montréal. Et notamment, on a trouvé un carnet, un petit carnet, c'était le carnet de Ressam qui se trouvait originellement avenue de la Malicorne, l'appartement qu'occupait Boumezbeur (NLDR : à Anjou).»

«Eh bien, c'est ce carnet qu'on a donné aux Américains dans le cadre de l'enquête judiciaire et sur lesquels ils ont trouvé des empreintes digitales de Ressam, trouvées aussi sur les engins explosifs. C'est l'enquête française qui a permis en grande partie, bien sûr avec les informations fournies par les Canadiens, de condamner M. Ressam aux États-Unis. Soyons sérieux, je peux vous dire que nous avons des preuves matérielles qui, même au regard du droit anglo-saxon, démontrent que M. Ressam était lié à M. Abou Zoubeïda. Pourquoi ? Parce qu'il avait sur lui un papier d'Abou Zoubeïda et d'Abou Jaâfar et d'Abou Doha (NDLR : d'origine algérienne, chargé en Angleterre des réseaux islamistes d'Al-Qaeda et arrêté dernièrement dans le cadre de l'enquête sur le 11 septembre).»

«Même les Américains ne connaissaient pas tout cela. Mais on avait quelques années d'avance. On a été leur consultant.»