Des juifs dans la collaboration est paru en 1980. L’auteur, le journaliste devenu historien Maurice Rajsfus, est né en 1928, de parents juifs polonais, morts en déportation à Auschwitz et Maurice Rajsfus fut lui-même raflé au Vel d’Hiv alors qu’il n’était qu’adolescent (il en réchappa par miracle). L’ouvrage est préfacé par Pierre Vidal-Naquet, historien connu notamment pour ses travaux sur le génocide juif et le négationnisme, qui apporte au livre son indispensable crédit. Le livre, épuisé, n’a été ni réédité ni réimprimé depuis sa sortie.
Des Juifs dans la Collaboration démontre notamment que de nombreux juifs ont participé activement à la déportation de leurs coreligionnaires pendant la guerre et rend caduque l’argument (dominant aujourd’hui) selon lequel l’État français est seul responsable de la déportation des juifs. Cette distinction entre d’un côté les juifs de France, et de l’autre l’Etat français (donc les Français non-juifs), distinction créée par Jacques Chirac le 16 juillet 1995 au Vel d’Hiv, n’a donc pas lieu d’être. Elle se révèle être ce qu’elle est : une nouvelle discrimination raciale, 50 ans après les faits, dans ce même Vélodrome d’Hiver. Avec, faut-il l’ajouter, l’assentiment officiel des représentants de la communauté juive, comme en 1942.
Aussi insupportable que cela puisse paraître, l’UGIF, ancêtre du CRIF (les juifs de France n’étaient pas représentés à l’échelon national auparavant), mis en place par Pétain et les nazis (l’UGIF était en relation directe avec la Gestapo), aida à constituer des listes de juifs à rafler et à déporter. Maurice Rajsfus témoigne autant qu’il relate les faits. Dans la préface, Pierre Vidal-Naquet explique très clairement que c’est parce qu’aucun historien (lui le premier) n’a voulu réaliser ce travail qu’un journaliste l’a entrepris.
Le livre, qui propose une somme impressionnante de documents d’archives, de témoignages et d’analyses, n’a jamais été réédité depuis 1980. Il n’a jamais été débattu dans les médias, par les politiques ou par la communauté juive. Et depuis qu’une bombe a explosé chez l’éditeur, EDI, l’auteur n’a plus jamais parlé de ce livre.
Seuls quelques exemplaires sont encore disponibles à l’achat. J’ai dû débourser la modique somme de 67 euros (plus de 400 francs) pour acquérir cet exemplaire. Cette situation est-elle normale pour un livre d’une telle valeur historique ? Notons par ailleurs qu’au moins deux autres livres sont sortis depuis sur la question, l’un en France en 2003, l’autre aux USA en 1987 (le New York Times en a fait état). Aucun média français n’a jugé utile de chroniquer ces deux publications.
Maurice Rajsfus développe dans son livre une analyse marxiste : à ses yeux, ce sont des juifs bourgeois qui ont aidé à faire déporter des juifs pauvres. La plupart des membres de l’UGIF, pour ne pas dire la quasi-totalité, étaient en effet des notables. Son analyse ne résiste cependant pas aux faits, car de nombreux notables juifs ont également été déportés. Sans doute Rajsfus cherchait-il à éviter toute accusation en antisémitisme, même si ce marxisme dogmatique pouvait aussi correspondre à son idéologie (et, dans une large mesure, à celle de Vidal-Naquet). En fait, la distinction est plutôt à faire entre juifs français et juifs étrangers, les responsables de l’UGIF étant tous français et ayant sacrifié les juifs étrangers pour protéger les juifs français.
Ce livre lève le véritable tabou qui pèse sur la participation des organisations juives de France à la déportation. L’Histoire n’a pas d’idéologie. Elle se doit d’être une science au service de la vérité, et non une vérité d’État au service d’une dictature intellectuelle. Ce tabou devrait être levé, et ne peut être levé que par les premiers concernés, à savoir le CRIF. Le CRIF compte en effet dans ses rangs, au plus haut niveau depuis de nombreuses années, et encore aujourd’hui, une personnalité qui avait accepté la carte de l’UGIF pour être couvert par cette institution (qu’il réprouvait par ailleurs). Il s’agit d’Henri Bulawko, successivement membre du comité directeur du CRIF, puis vice-président du CRIF et enfin président d’honneur du CRIF.
François Mitterrand a reçu la francisque des mains même de Pétain, un fait qui lui a été reproché quand l’information a été rendue publique par Pierre Péan. Dans le même temps, il n’y eut aucune polémique vis-à-vis de M. Bulawko, ni vis-à-vis du CRIF qui préfère mettre en avant sa création en 1943 par des groupes de résistants juifs, ce qui est tout à fait vrai aussi. Il y eut des activités de résistance au sein même de l’UGIF, de même qu’il y en avait à Vichy. Cela n’empêche pas une organisation juive comme Akadem d’écrire ceci: “On peut cependant reprocher [aux dirigeants de l'UGIF] un aveuglement quant à la réalité de la Shoah et de n’avoir pas appelé les Juifs à se défendre et à se cacher. La plus grande tâche de l’histoire de l’Union est constituée par les maisons d’enfants qui n’ont pas été dispersées à temps, et qui ont été raflées en juillet 1944.”
M. Bulawko a pu gravir tous les échelons du CRIF, jusqu’à en devenir le président d’honneur, alors qu’il avait accepté la carte d’un organisme qui a aidé à identifier puis à déporter les juifs de France, sans que cela ne dérange personne, ni au CRIF, ni dans les médias, ni parmi les politiques. Sous l’impulsion de François Mitterrand, ceux-ci ont préféré accepter de participer, année après année, au dîner annuel du CRIF.
Pourquoi la France a-t-elle dû autant se repentir devant les représentants de la communauté juive, alors que les anciens membres de l’UGIF (qui, rappelons-le, cherchaient à éviter d’être déporté) n’ont jamais eu à répondre devant aucune autorité, ni judiciaire, ni politique, et encore moins médiatique ou communautaire ? “Après la Libération, l’affaire sera étouffée et le procès public évité. Un jury d’honneur sera pourtant constitué, mais il se réunira à huis clos et ses conclusions ne seront jamais connues.” peut-on lire sur la 4e de couverture du livre de Maurice Rajsfus. Ajoutons que ce jury était présidé par Léon Meiss, président du CRIF.
Le tabou est donc profondément ancré. Mais loin de permettre de mieux lutter contre l’antisémitisme, il ne fait que l’alimenter.
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THE JEWS, THE FRENCH AND THE NAZIS
By BERNARD WASSERSTEIN; Bernard Wasserstein, a professor of history at Brandeis University, is the author of ''Britain and the Jews of Europe, 1939-1945.''
Published: May 24, 1987
THE BURDEN OF CONSCIENCE French Jewish Leadership During the Holocaust. By Richard I. Cohen. Illustrated. 237 pp. Bloomington: Indiana University Press. $27.50.
A QUARTER of a century ago, at the time of the trial of Adolph Eichmann, Hannah Arendt wrote a blistering critique of the role played during World War II by the Nazi-appointed Jewish councils in occupied Europe. ''The whole truth,'' she wrote, ''was that if the Jewish people had really been unorganized and leaderless, there would have been chaos and plenty of misery but the total number of victims would hardly have been between four and six million people.''
More recently, historians have modified that harsh verdict. Isaiah Trunk, in his 1972 book ''Judenrat,'' arrived at more charitable conclusions about the behavior of the Jewish councils in Eastern Europe. Now an Israeli historian, Richard I. Cohen, has investigated the role of the Jewish leadership in France under Nazi rule. In ''The Burden of Conscience'' he seeks to portray the ''dilemmas of the Jewish leaders from their vantage point, shorn of the wisdom of hindsight.''
Following the German conquest in the summer of 1940 France was divided into two parts: the north and west, which were subject to direct Nazi rule, and the southeastern rump, governed by the quasi-independent Vichy regime headed by Marshal Petain. It was not, however, until late 1941 that the Germans and their French collaborators set up the Jewish representative organization, UGIF (l'Union Generale des Israelites de France). There were, in fact, two UGIFs, UGIF (North) in the German sector and UGIF (South) in the unoccupied zone. This regional division, which persisted even after the Germans extended their occupation to the south in November 1942, reflected deeper social and ideological rifts within the Jewish community.
In general UGIF has had a bad press. After the war its leaders were stigmatized as collaborators and accused of helping to expedite the murderous work of the Nazis. Historians have tended to join in the chorus of opprobrium. Political bias may, however, have been at the back of some of these attacks; in particular, former resistance fighters, many of them leftist immigrants to France, tended to impugn the good faith of the native French-Jewish elite from among whom the leadership of UGIF was drawn. Mr. Cohen's achievement is to re-examine these contentious issues on the basis of voluminous archival documentation and with admirable disinterest and dispassion.
The picture that now emerges is factually more clear, if morally more blurred. Most UGIF leaders, as portrayed by Mr. Cohen, were neither knaves nor fools. They were prisoners of an impossible situation, conscious of their responsibilities and often tormented by their inability to shape the torrential flow of events. A crucial question left unanswered by Mr. Cohen's account is when exactly an awareness of the genocidal objective of the Nazis became imprinted on the minds of the Jewish leaders. Some of their alleged overcompliance with Nazi and Vichy orders in the early phases of the war may perhaps be explained as a failure to recognize that the Nazis were intent on mass murder. It is easy to leap retrospectively to judgment in condemning their lack of foresight. But the Nazis themselves probably did not decide until the middle of 1941 to perpetrate what came to be known as the ''final solution.'' And it was only a year or more later that news of this began to filter out.
UGIF leaders were probably guilty of wishful thinking, exaggerated legalism, unfounded confidence in the robustness of French liberal traditions and, in some cases, readiness to sacrifice the interests (which often meant the lives) of immigrant Jews in order to safeguard those of native-born French citizens. UGIF was certainly not a resistance organization, but neither can it fairly be characterized as a body of collaborators. The awkward truth is well expressed by Mr. Cohen when he writes that there was a ''precarious duality within UGIF.''
Mr. Cohen penetrates to the heart of UGIF's horrifying dilemma in his discussion of the role of Andre Baur and Raymond-Raoul Lambert, heads respectively of UGIF (North) and UGIF (South). Baur, who operated under direct Nazi supervision, perforce hewed more closely to the occupiers' line, but he balked at becoming an accessory to mass murder. In mid-1943 he protested vehemently against the deportation of Jews from Paris. Shortly afterward he was arrested and dispatched to Auschwitz.
In the case of Lambert, Mr. Cohen draws on a remarkable source - Lambert's private diary, which survived the war and was published in France in 1985. Although written with the circumspection necessary under conditions of occupation, the diary reveals Lambert's efforts to save at least a remnant of his flock. UGIF (South) winked at the activities of resistance activists among its staff who used the organization as a cloak to conceal their work. Their most notable achievement was the hiding of children entrusted to UGIF's care, many of whom thereby survived the war. Lambert may seem a less than heroic figure, but he may well have saved more lives than many more demonstrative resistants. Seventy-five thousand
French Jews were killed during the war (a quarter of the community). Some of those who survived were sheltered by individual Frenchmen or in convents and monasteries. But there is no recorded instance of the French resistance movement derailing a deportation train to Auschwitz or seeking to impede the destruction process in any other significant way. Against that background
Lambert's record seems not unimpressive. He, together with his four children, died in Auschwitz.
Mr. Cohen, an assistant professor of modern Jewish history at Hebrew University, writes cogently but makes few concessions to his readers. The organization of the book is confusing, the prose is less than distinguished and the general historical context into which these events fit is too thinly sketched. The author relies heavily on French and Jewish, rather than German, sources, with the result that the central question of how the Nazis viewed UGIF is not really answered. Occasionally, perhaps, his revisionism goes a little too far, as in his attempt to rehabilitate (or ''re-evaluate'') the Vichy Commissioner-General for Jewish Affairs, Xavier Vallat.
This sober and restrained work nevertheless carries conviction by dint of its measured tone and its depth of archival research. It provides a welcome corrective (though not an apologia) to be set against Arendt's ill-considered indictment.
Des juifs dans la collaboration, de Maurice Rajsfus
Le tabou est donc profondément ancré. Mais loin de permettre de mieux lutter contre l’antisémitisme, il ne fait que l’alimenter.
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