Québécois arrêtés au G20

Des histoires d’horreur et d’humiliation

G-8, G-20 - juin 2010 - manifestations et dérives policières

Écrit par Jessica Nadeau - Comme des centaines d’autres Québécois, Giuliana Fumagalli est partie de Montréal la semaine dernière pour aller manifester contre le G20 à Toronto. Samedi matin, elle a joint sa voix à des milliers d’autres dans les rues du centre-ville. Le soir venu, elle s’est rendue avec plusieurs centaines de manifestants jusqu’à la fameuse clôture où les policiers ont tenté de les disperser.
Ils ont continué à marcher dans les rues du centre-ville. Giuliana ouvrait la marche. Ils se sont retrouvés devant le Novotel. Giuliana a demandé aux manifestants de s’asseoir pacifiquement. Ils ont chanté Give peace a chance. Puis la police les a encerclés et arrêtés brutalement (voir autre texte).
Giuliana a été l’une des premières à être arrêtée. Instinctivement, elle a laissé tomber le drapeau qu’elle portait fièrement. Elle ne voulait pas être accusée d’avoir une arme. Elle n’a pas résisté à son arrestation. Comme des dizaines d’autres qui allaient suivre, elle a été avalée par la marée de policiers et elle a disparu de l’autre côté du blocus où on l’a menottée et engouffrée dans le panier à salade, direction poste de police.




«On nous a amenés dans un gros hangar où les fourgonnettes de police entraient et sortaient. Ils nous ont entassés dans des cages grillagées recouvertes de feuilles métalliques. On frappait dessus pour protester, ça faisait un bruit d’enfer.»
Le plancher de béton était froid. Les manifestants se collaient les uns sur les autres. Pas parce qu’ils manquaient de place, mais plutôt parce qu’ils avaient froid. Vraiment froid.
«Ils nous avaient ôté, pour la plupart, nos chaussures, nos manteaux, nos chandails chauds. Il faisait vraiment froid, alors le seul moyen qu’on avait de se réchauffer, c’était de rester collés les uns sur les autres.»
Avec quelques autres jeunes de Montréal, elle est restée enfermée une dizaine d’heures dans cette première cage. Elle a eu droit à un sandwich – deux tranches de pain et une tranche de fromage Kraft – et à deux ou trois verres d’eau. Il y avait bien des toilettes dans les cages, mais sans porte. Ils devaient quêter pour avoir du papier de toilette.
Dix heures plus tard, elle a été transférée dans un deuxième centre de détention. «Il y avait des cages alignées à n’en plus finir. C’était rangée par-dessus rangée par-dessus rangée, c’était cauchemardesque.» Giuliana a été détenue pendant près de 24 heures avant de voir un avocat. Le procureur a laissé tomber les accusations qui pesaient contre elle. Elle est libre, mais n’oubliera pas son expérience de sitôt.
Fouilles à nu et autres humiliations
Émilie Guimont-Bélanger non plus n’oubliera pas l’humiliation qu’elle a subie au cours des derniers jours. La jeune femme de 21 ans a été envoyée à Toronto à titre de représentante officielle de Québec Solidaire.
À quelques reprises lors des manifestations du samedi, elle a senti la soupe chaude et a quitté les lieux pour éviter de se retrouver coincée par des policiers. Elle pensait avoir évité les emmerdes. Mais ça ne faisait que commencer.
Dimanche matin, alors qu’elle dormait avec plusieurs autres jeunes de Montréal, la police a fait irruption dans le dortoir et arrêté tout le monde. Le processus a été long. Ils l’ont empêchée d’aller aux toilettes pendant 6 heures.




Émilie a visité trois centres de détention ces derniers jours. Partout, c’était le même scénario.
«Il y avait de la lumière constante, des néons qui nous empêchaient de dormir. Nous n’avions pas de lit, pas de couverture. Il fallait dormir sur le béton froid et très sale. En plus, la police était désorganisée, ils hurlaient des noms à tout moment pour savoir dans quelle cellule se trouvaient les détenus qu’ils cherchaient. C’était vraiment impossible de dormir.»
Ébranlée
Cela a duré trois jours. Elle est rentrée à Montréal mardi soir et semblait encore fortement ébranlée lors du point de presse qu’elle a donné mercredi après-midi dans les bureaux de Québec Solidaire.
«L’attente était interminable. On ne savait pas ce qui se passait, ce qui allait nous arriver. C’est très difficile dans un contexte où on est détenu, on est emprisonné, on ne sait jamais quand on va manger, quand on va avoir de l’eau, quand on va sortir de là et on ne dort pas. Le fait de ne pas avoir d’information sur ce qui allait nous arriver, c’était très très difficile.»
Émilie se concentre. Elle fait des efforts pour ne pas pleurer en racontant son aventure. Mais on voit bien que l’expérience l’a profondément troublée et sa voix tremble par moments.
Elle a eu droit à deux fouilles à nu, dont une dans une salle avec la porte ouverte. Des policiers de sexe masculin pouvaient tout voir du corridor.
«Le sentiment d’injustice et d’humiliation nous a toujours accompagnés. Et l’attente nous a rendus fous. Tout le monde a fini par craquer.»
Elle dénonce aussi le traitement injuste réservé aux francophones. «La discrimination envers les francophones a été très présente du fait que, bien que ce soient des instances qui sont fédérales, nous n’avons pas eu droit à des services en français. Notre beau Canada bilingue, moi je n’y crois plus. Ça n’a jamais été possible pour nous d’avoir les mêmes services que les personnes anglophones.»
Harcèlement et persécution
Richard Charbonneau aussi s’est senti persécuté par les policiers en raison notamment de la langue. Consultant en informatique, père de trois enfants, 35 ans, Richard Charbonneau est descendu à Toronto dans un des autobus jaunes de la CLAC (convergence des luttes anticapitalistes) vendredi dernier.
Le résidant de Deux-Montagnes a participé aux manifestations tout au long du week-end. Lors du sit-in pacifique devant le Novotel samedi soir, il a réussi à détaler par un stationnement intérieur avant que la police n’encercle les manifestants. Richard Charbonneau n’a pas été arrêté. Il a eu de la chance. Mais ça n’a pas empêché les policiers de le harceler dans la rue le lendemain.
«Je revenais d’une manifestation d’Oxfam dans le parc, je marchais tranquillement vers la station d’autobus pour revenir à Montréal. J’étais loin de la zone rouge. Un groupe de policiers m’a remarqué, ils m’ont bloqué le passage et m’ont encerclé. Ils m’ont tiré violemment par le sac à dos. Ils me criaient très fort de relaxer alors que je ne faisais rien. On aurait dit qu’ils faisaient un show pour faire croire aux gens dans la rue que je me débattais. Ils criaient tous en même temps. Je leur ai demandé poliment de parler moins vite parce que je comprenais mal l’anglais. Ça, ça a vraiment semblé les énerver.»
Les policiers ont vidé son sac par terre. Ils lui ont fait enlever ses bottes et son chandail. Ils lui ont craché dessus. Ils l’ont accusé d’être du Black Block parce qu’il avait des t-shirts noirs dans son sac.
«Ils me disaient qu’ils savaient qui j’étais, que j’étais une petite merde. Ils ont pris mon cellulaire, ils ont effacé tous mes contacts et mes photos. Ils ont tout effacé mon iPod touch aussi. Quand ils m’ont finalement laissé partir, je leur ai demandé mon sac. Ils sont partis à rire. Ils m’ont demandé: quel sac? Vous n’aviez pas de sac, monsieur! J’ai compris que je ne reverrais pas mes affaires. Et puis ils sont partis en riant et en me criant «Welcome in Toronto!»
Heureusement, le manifestant avait encore son porte-monnaie et son billet d’autobus. Mais il n’avait plus son plan de la ville. Inévitablement, il s’est perdu et est retombé sur les mêmes policiers quelques coins de rue plus tard.
«Ils m’ont fait une clef de bras, ils m’ont crié de fermer ma gueule, ils me traitaient de maudit anarchiste. J’étais paniqué. Je me sentais comme un Juif devant les Allemands. Ils m’ont menacé de me faire la vie dure si je retournais à Toronto. Je voulais juste rentrer chez moi le plus vite possible. Finalement, j’ai pris un taxi pour me rendre à la station d’autobus et je n’ai pas bougé de là jusqu’à ce que mon autobus arrive.»
Richard Charbonneau a eu peur. Et il a été humilié. On lui a craché dessus. Jamais il n’avait vécu une telle situation. Depuis son retour dimanche dernier, il a le sommeil léger. «C’était vraiment une expérience traumatisante», a-t-il confié à RueFrontenac.
Enquêtes et manifestations de solidarité
Alors que les témoignages d’abus commencent à affluer, plusieurs organismes comme Amnistie internationale et la Ligue des droit et libertés réclament une enquête indépendante sur les actions policières lors du G20.
Dans son rapport préliminaire d’observation, l’Association canadienne des libertés civiles constate que «les abus notés ici dépassent le seuil de quelques incidents isolés [...] et ne peuvent être ignorés».
Québec Solidaire demande également au gouvernement Charest d’intervenir dans le dossier car les droits collectifs des citoyens québécois ont été bafoués.
Une grande manifestation se tiendra jeudi midi au carré St-Louis en soutien aux quelque 900 personnes qui ont été arrêtés en marge du G20.
Une vidéo de Rogerio Barbosa


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