Des cours de francisation jugés inefficaces

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Le taux d'échec de la francisation des immigrants est de 90%

Les programmes de francisation ne sont pas efficaces pour permettre aux immigrants de bien s'intégrer au marché du travail et à la société québécoise, déplore Nima Madani, immigrant d'origine iranienne installé au Québec depuis 2015.


En suivant les débats autour de l'accueil des nouveaux arrivants, cet ingénieur mécanique de 40 ans a l'impression, comme beaucoup d'autres immigrants, que les chefs politiques ne comprennent pas vraiment les enjeux et qu'ils proposent des solutions sans lien avec la réalité.


«Ils parlent du taux élevé d'échec aux cours de francisation, mais personne n'a comme priorité de les améliorer», souligne-t-il, se basant sur ce qu'il a vécu depuis son arrivée à Montréal.


La CAQ propose d'abord de réduire le nombre d'immigrants, tandis que le PQ veut exiger qu'ils connaissent mieux le français à leur arrivée.


«Mais on a tellement de choses à faire quand on se prépare à quitter notre pays, c'est très exigeant», témoigne Nima Madani.


«Les politiciens ne semblent pas savoir comment ça se passe pour un immigrant qui arrive. La majorité fait de gros efforts pour s'intégrer, mais on a l'impression d'être abandonnés, même en étant très motivé pour apprendre le français.»


Inquiétude


Ses observations sur les lacunes en francisation sont corroborées par plusieurs études, notamment celle du Conseil supérieur de la langue française (CSLF), publiée en février dernier, ainsi que par le dernier rapport de la Vérificatrice générale du Québec, dévoilé en novembre 2017. «L'offre de francisation de base ne permet pas aux immigrants d'atteindre un niveau de maîtrise de la langue suffisamment élevé pour réaliser une intégration socioprofessionnelle réussie», a démoncé le CSlF dans son rapport sur La francisation et l'intégration professionnelle des personnes immigrantes.


De nombreux immigrants sont inquiets de ce qu'ils entendent depuis le début de la campagne électorale, renchérit Stephan Reichhold, directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI).


«Ils se sentent dénigrés, alors que plusieurs font de gros efforts pour apprendre le français et que les inscriptions aux cours de francisation augmentent, dit-il. Certains se demandent s'ils devront quitter le Québec si la CAQ prend le pouvoir.»


Le test des valeurs proposé par François Legault cause aussi de l'irritation. «M. Legault ne semble pas réaliser qu'on fait déjà tout ce qu'il demande, note Nima Madani. Dans les entrevues de sélection, nous sommes interrogés sur les valeurs québécoises.»


Il rappelle aussi que la demande de certificat de sélection du Québec inclut la signature d'une Déclaration portant sur les valeurs communes de la société québécoise. «Si je n'étais pas d'accord, je ne serais pas venu au Québec», fait-il remarquer.


Les immigrants invisibles


Alors que le thème de l'accueil des immigrants occupe une place centrale dans la campagne électorale, on a peu entendu les nouveaux arrivants se prononcer eux-mêmes sur cet enjeu, alors qu'ils sont les premiers concernés.


Sollicités pour ce reportage, les représentants du Regroupement des organismes de francisation du Québec ont décliné notre demande d'entrevue, préférant «ne pas se mêler de politique», a expliqué un porte-parole.


Nima Madani veut contribuer au débat de façon constructive en témoignant de son expérience d'immigrant très motivé à apprendre le français: il a suivi plusieurs sessions de cours à Téhéran, en plus de deux séjours d'un mois à Paris dans des programmes d'immersion, pour se préparer à son arrivée au Québec.


«On m'a dit que mon français était assez bon, même si j'avais encore besoin de cours de francisation, raconte-t-il. Mais les cours ici ne sont pas efficaces, les progrès sont beaucoup trop lents pour atteindre un niveau suffisant pour travailler. Et quand on a terminé le programme de francisation, c'est très difficile de trouver des cours pour continuer de progresser.»


Trop d'élèves par classe, trop peu de temps consacré à la conversation, méthodes d'enseignement archaïques et inefficaces, groupes composés d'élèves aux objectifs disparates, peu adaptés aux besoins des travailleurs qualifiés, horaires qui ne conviennent pas à tous, faibles moyens financiers des élèves... La liste des observations de M. Madani est longue!


«Je ne veux pas avoir l'air de chiâler!», dit-il, dans un français teinté d'un très léger accent, en hésitant à peine sur certains mots. «Les professeurs étaient très gentils et accueillants, mais certains n'enseignaient simplement pas bien. C'était un monologue. C'est bien que les cours soient gratuits, mais il faut surtout qu'ils soient performants.»


Autre aberration, selon lui: les enseignants donnaient à l'avance aux élèves les questions des examens du ministère de l'Immigration visant à vérifier les acquis.


Pour continuer ses progrès en français, M. Madani s'est inscrit à un cours à HEC-Montréal et a trouvé des Québécois avec qui se pratiquer.


«Dans mon réseau, dans la communauté iranienne, la plupart des gens parlent anglais, alors je ne peux pas compter sur mon entourage pour pratiquer», souligne-t-il.


Il se désole aussi de voir que l'on ne parle pas de cinéma québécois, ni de littérature ou de chanson dans les cours de francisation, mais qu'on apprend aux élèves comment se débrouiller si leur lavabo coule.


«Tout est fait en fonction de survivre et non de vivre, dit M. Madani. On ne parle jamais de ce qui est agréable dans la culture québécoise. Je n'ai jamais eu de lavabo qui coule depuis que je suis arrivé ici, ça ne me sert à rien pour entrer en contact avec les Québécois!»


***


UN GUICHET UNIQUE QUI SE FAIT ATTENDRE


Un projet de guichet unique pour faciliter l'accès aux cours de francisation, dans les cartons du ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion (MIDI) depuis plus de 15 ans, n'a toujours pas vu le jour, malgré des années de travaux. Un contrat de plus de 200 000$ a même été accordé en 2009 pour la mise en place de ce guichet unique, visant à simplifier l'inscription aux cours, qui peuvent être offerts dans les commissions scolaires, les cégeps ou les organismes communautaires. Le ministère promet maintenant que ce service sera implanté en 2019. «Depuis août 2017, le MIDI est devenu la porte d'entrée unique pour les personnes immigrantes admissibles à l'allocation de participation et aux cours à temps complet, qu'ils soient offerts par un partenaire du MIDI ou en commission scolaire», note cependant une porte-parole du ministère, soulignant que le dernier budget prévoyait 50 millions sur cinq ans pour bonifier les services.


MAUVAISE NOTE POUR LA FRANCISATION


Les principales lacunes des cours de français destinés aux immigrants:


«La capacité de communiquer en français ne garantit pas l'intégration professionnelle et sociale, certes, mais ce facteur constitue néanmoins le premier élément d'intégration à la société québécoise.»


«L'hétérogénéité de la composition des groupes de francisation est considérée comme un frein à l'apprentissage de la langue.»


«Même s'ils reçoivent une allocation, il n'est pas rare que des immigrants qui suivent le programme de francisation soient obligés de travailler en même temps.»


Source: Conseil supérieur de la langue française, La francisation et l'intégration professionnelle des personnes immigrantes, février 2018.


«La vaste majorité des participants aux cours de français du ministère n'ont pas atteint le seuil d'autonomie langagière, lequel facilite l'accès au marché du travail et permet d'entreprendre des études postsecondaires. Les personnes immigrantes qui ont commencé des cours de français offerts par le Ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion (MIDI) en 2015 ont atteint ce seuil dans une proportion de 9,1% à l'oral et de 3,7 et 5,3% à l'écrit.»


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