Voici ce que l'on pouvait entendre cette semaine sur les ondes d'une radio montréalaise: «Il faut éviter que derrière l'attaque contre le multiculturalisme ne se cachent d'autres petits démons... d'autres affaires ben laides.» Avec un tel vocabulaire, on aurait pu croire que celui qui achevait ainsi sa chronique nous entretenait d'un crime crapuleux. Il ne s'agissait pourtant que des déclarations récentes du premier ministre David Cameron, de la chancelière Angela Merkel et du président Nicolas Sarkozy selon lesquelles le multiculturalisme était un échec en Europe. On m'excusera de revenir sur ce sujet, mais la teneur des propos entendus cette semaine m'y oblige.
Quelles étaient donc ces «affaires ben laides» que l'on ne pouvait nommer tant elles semblaient affreuses et sordides? Pas besoin de vous faire un dessin. Cela allait sans dire, comme à l'époque où nos curés démonisaient l'homosexualité sans oser la nommer. Les auditeurs auront compris que derrière les discours de Cameron, Merkel et Sarkozy se profilaient les sombres démons du racisme, de la xénophobie, voire du fascisme.
Je veux bien que l'on s'interroge sur les intentions par toujours limpides (mais peu suspectes de racisme) d'un populiste comme Nicolas Sarkozy. Mais de quel droit soupçonne-t-on de telles perversions des chefs de gouvernement aussi irréprochables en cette matière que David Cameron et Angela Merkel?
Mais soyons magnanimes. Il ne faut pas trop en vouloir à ceux qui cèdent inconsciemment à ce réflexe. Le tabou de l'immigration est tel au Québec que celui qui ose porter sur lui l'ombre d'un regard critique est voué aux gémonies. Mario Dumont en sait quelque chose, lui qu'on a comparé à Jean-Marie Le Pen pour avoir simplement évoqué un gel des quotas d'immigration.
Il n'y a pas que les chroniqueurs matinaux mal réveillés pour véhiculer de tels préjugés. On retrouve les mêmes insinuations dans un texte de Gérard Bouchard publié cette semaine. Le coprésident de la commission Bouchard-Taylor conclut par des mots tout aussi énigmatiques: [«Attention: le procès que certains lui font [au multiculturalisme] peut en cacher un autre.»->35197]
Encore une fois, on n'en saura pas plus sur cet «autre», sinon qu'il doit probablement s'agir... d'«affaires ben laides»! Le soupçon tenant lieu de démonstration, il semblerait donc évident que l'on doive soupçonner les Européens de racisme. D'ailleurs, Gérard Bouchard ne nous dit-il pas que l'Europe a «peine à vivre sa diversité»? On pourrait répondre à ce fervent défenseur de l'américanité qu'avec une culture et une langue plus qu'hégémoniques, l'Amérique du Nord ne risque pas d'avoir le même problème.
Il serait grand temps dans ce débat de quitter le terrain des soupçons pour s'intéresser à ce que le philosophe français Paul Thibaud nommait la «réalité objective» des nouvelles formes d'immigration. Ne serait-il pas possible qu'ayant expérimenté de nombreuses politiques multiculturelles depuis deux décennies, notamment en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Pays-Bas, les Européens aient tout simplement constaté leur échec? Aux Pays-Bas, le multiculturalisme a conduit à créer des écoles, des universités et même des hôpitaux musulmans. À tel point que certains se demandent ce qui unit encore les Néerlandais. La Grande-Bretagne est confrontée à des familles du Cachemire qui, depuis trois générations, forcent leurs filles à retourner se marier au village. Celui qui ose critiquer ces pratiques est souvent traité de raciste. Les Allemands viennent de découvrir qu'officient dans leur pays des centaines d'imams formés par l'État turc. Or le premier ministre Recep Tayyip Erdogan ne considère-t-il pas l'assimilation comme un «crime contre l'humanité»?
Tout cela ne relève pas de la «peur de l'autre», comme le prétendent les bonnes âmes multiculturalistes, mais des problèmes réels que pose l'immigration aujourd'hui. Des problèmes pour lesquels les défenseurs du multiculturalisme n'ont malheureusement pas d'autre réponse que de valoriser naïvement les identités minoritaires jusqu'à fabriquer de toutes pièces des «communautés» qui vivent en marge de la majorité.
Il serait temps de s'apercevoir que ce débat n'est pas une affaire de droite ou de gauche. Même si le multiculturalisme est apparu dans la gauche des années 60, il y a longtemps que la droite néolibérale a compris le parti qu'elle pouvait en tirer en cette époque de mondialisation.
Les socialistes français, néerlandais et danois ne sont pas moins de gauche parce qu'ils critiquent le multiculturalisme et défendent l'importance d'une identité nationale forte. La critique du multiculturalisme est présente dans tous les partis sociaux-démocrates européens, comme en témoigne l'ancien ministre travailliste David Blunkett. Critiquer le multiculturalisme, ce n'est pas combattre le pluralisme des sociétés modernes, mais affirmer que les nations ont toujours besoin d'un lien. Bref, d'une identité commune.
Il arrive trop souvent aux élites multiculturelles de contempler l'Europe d'un air hautain comme si nous étions, nous Québécois, immunisés contre les problèmes du Vieux Continent. Il se pourrait au contraire que les affrontements qu'on y découvre aujourd'hui présagent de ceux que nous vivrons bientôt. Que dis-je, que nous vivons déjà!
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