Alliance, Unsa ainsi que plusieurs syndicats de policiers ont posé un ultimatum au gouvernement. Si leurs revendications ne sont pas entendues avant le 5 décembre, journée de grève, ils pourraient se livrer à des actions coups de poing à cette date. Michel Thooris, de France Police –Policiers en colère, s’est confié à Sputnik.
Le gouvernement craint la convergence des luttes pour ce 5 décembre. Et le tract diffusé le 19 novembre par les syndicats de policiers Alliance et UNSA ne risque pas de calmer son inquiétude. Intitulé «Dernière sommation avant black-out», le communiqué enjoint les gardiens de la paix à mener le 5 décembre des actions telles que des «fermetures symboliques de commissariats», des «interventions uniquement sur appels d’urgence» ou encore des «contrôles renforcés dans les aéroports et aux péages autoroutiers» si leurs revendications ne sont pas entendues d’ici cette date, qui devrait voir une mobilisation sociale d’ampleur contre la réforme des retraites.
DERNIÈRE SOMMATION AVANT BLACK-OUT !
Malgré 27 000 Policiers dans la rue le 02 octobre dernier, l’administration nous ignore !
FAISONS NOUS ENTENDRE LE 05 DÉCEMBRE !@alliancepolice @Place_Beauvau @PoliceNationale @CCastaner pic.twitter.com/wGvAFuixQT
— ALLIANCE PN (@alliancepolice) November 19, 2019
Les syndicats de policiers estiment que le gouvernement n’a pas entendu le message qu’ils ont lancé le 2 octobre dernier quand, à l’appel d’une intersyndicale inédite depuis près de 20 ans, ils avaient défilé en masse dans les rues de Paris. «L’amélioration de la qualité de vie au travail, une véritable politique sociale pour les agents, une réponse pénale réelle, efficace et dissuasive, la défense des retraites, ainsi qu’une future loi d’orientation et de programmation ambitieuse», étaient au cœur des revendications.
«Au final, on n’a rien, a lancé à l’AFP Fabien Vanhemelryck, secrétaire général d’Alliance, avant d’ajouter: ils en ont même rajouté après ça avec les heures supplémentaires payées au lance-pierre, les congés bonifiés et de nouvelles règles de gestion de la fonction publique.»
Selon le patron d’Alliance, «c’est un ultimatum, [on] a été assez patients». «La maison police brûle et les ministres regardent ailleurs. Ils ne se rendent pas compte de la situation, c’est du jamais vu. On a des discours de soutien de leur part, mais jamais les actes», s’est-il alarmé.
«On nous utilise et on nous rince depuis 53 semaines» de manifestations de Gilets jaunes, «et il n’y a pas de prise en compte du malaise profond des policiers», s’est pour sa part agacé auprès de l’AFP Patrice Ribeiro, du syndicat Synergie-Officiers.
Le 5 décembre, cheminots, personnels hospitaliers, enseignants et même pompiers ont été appelés par plusieurs organisations syndicales à venir grossir les rangs de la mobilisation contre la réforme du travail. Des étudiants et Gilets jaunes ont d’ores et déjà annoncé leur présence.
🔴 LE 5 DÉCEMBRE, TENTONS TOUT !
Un appel à la grève est lancé pour le 5 décembre contre la réforme des retraites. Il est évident pour tous que les personnes qui y prendront part auront des volontés et des revendications qui iront bien au delà de cette réforme.
LONG THREAD ⤵ pic.twitter.com/plkQagejFh
— Lille Insurgée (@LilleInsurgee) November 19, 2019
Ils pourraient donc être rejoints par les policiers pour un véritable cauchemar gouvernemental. Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France Police –Policiers en colère, prévoit de répondre à l’appel de ses collègues le 5 décembre en cas de non-réponse du gouvernement. Il a répondu aux questions de Sputnik France.
Sputnik France: Vous dites ne pas avoir été entendus après la manifestation du 2 octobre. Le gouvernement a pourtant fait des efforts concernant le paiement des heures supplémentaires, par exemple…
Michel Thooris: «Très clairement, cela a été une insulte adressée à l’ensemble des policiers. Le gouvernement a épongé une infime partie du volume des heures supplémentaires qui ont été accumulées par les collègues et de plus, ce règlement s’est fait à un taux horaire proche du SMIC. Vous comprenez bien que les fonctionnaires de police nationale, quoi qu’on en dise, occupent un emploi qualifié. Ils ont au minimum le Bac, d’autres ont des licences ou des maîtrises, sans parler de l’année de formation, à minima, en école de police. Nous ne pouvons évidemment pas accepter une telle décision. D’autant plus que la problématique du non-paiement des heures supplémentaires n’est qu’une goutte d’eau dans la mer par rapport à la masse de revendications portée lors de la marche de la colère le 2 octobre dernier.»
Sputnik France: Concrètement, quelle forme pourrait prendre cette contestation des policiers, sachant qu’ils sont soumis à un statut spécial qui les oblige à assurer leurs missions?
Michel Thooris: «Bien sûr, la grève est interdite aux fonctionnaires actifs du ministère de l’Intérieur et évidemment nous serons loyaux à ce statut spécifique. En revanche, nous pouvons mettre en place toute une gamme de protestations ce 5 décembre qui, je le rappelle, s’annonce comme une journée noire et à haut risque pour l’exécutif. Cela pourra se traduire par des fermetures symboliques de commissariats ou par ce que beaucoup appellent la grève du zèle. Elle consiste au service minimum sans forcer son talent.»
Sputnik France: Est-ce que ces actions pourraient s’inscrire dans la durée?
Michel Thooris: «Le 5 décembre sera le point de départ d’une grande contestation qui va se poursuivre dans le temps. Je pense que l’on est très proche de rééditer ce qui a pu se passer en 1995 lors des grandes manifestations. Je ne veux pas parler au nom de l’intersyndicale, car pour le moment rien n’a été décidé en ce qui concerne la suite, mais il va de soi que si le gouvernement n’entend pas le malaise des policiers, les actions se poursuivront. Nous n’allons pas entamer une contestation le 5 décembre et abandonner le lendemain s’il n’y a pas de réponse. Malheureusement, quand vous voyez le nombre de suicides, de dépressions ou de démissions dans nos rangs, vous vous rendez compte que beaucoup de policiers n’ont plus rien à perdre. Ils attendent que leurs organisations syndicales puissent enfin obtenir des avancées. Je rappelle que depuis 2001 et l’accord controversé, signé par le SGP, plus aucune avancée sociale n’a eu lieu dans la police. à la place, chaque gouvernement qui a suivi n’a fait que reculer sur les retraites, sur les conditions de travail, de recrutement, etc. La situation est aujourd’hui cataclysmique au sein de la police nationale. Si les syndicats ne font pas le job, nous assisterons à nouveau à ce que nous avons pu voir en 2016 avec les manifestations de policiers en colère organisées hors de tout cadre syndical.»
Sputnik France: Le gouvernement risque-t-il de perdre la police?
Michel Thooris: «Le gouvernement est dans une situation très délicate. Le 5 décembre, j’insiste là-dessus, s’annonce comme une journée noire. Après “perdre la police”… Cela ne signifie pas forcément grand-chose. La police fera de toute façon son travail, car son droit de grève est très encadré. Reste que le fossé qui est en train de se creuser entre les policiers et leurs politiciens pourrait ne plus se combler. Le 5 décembre, nous nous attendons à nouveau à de graves troubles à l’ordre public. Les collègues n’acceptent plus de servir de chair à canon sur le terrain pour un taux horaire proche du SMIC. De plus, ils servent également de chair à canon judiciaire, comme nous avons pu le constater lors de pseudo-bavures qui s’inscrivent dans le cadre des ordres donnés par une autorité administrative qui ne protège pas ses policiers. Deux de mes collègues viennent d’être renvoyés devant le tribunal correctionnel pour des fautes individuelles, ce qui va éviter à la justice de juger les ordres donnés. La politique ultra-répressive de ce gouvernement, notamment envers les Gilets jaunes, fait que beaucoup de collègues se retrouvent poursuivis de manière individuelle et risquent leur carrière. Ce malaise-là s’inscrit dans un contexte beaucoup plus global: commissariats délabrés, suicides, etc. Le politique ne répond pas, les collègues sont à bout et ils veulent être entendus. Le policier n’est pas un sous-citoyen, ce n’est pas un chien et il a le droit de dire au gouvernement que les conditions de travail aujourd’hui ne sont plus acceptables dans notre institution.»