Déjà vu

Il n'y a que les Québécois pour accepter de se faire baragouiner par des gens qui prétendent parler notre langue. Il n'y a qu'au Québec qu'on estime que cette langue, belle, exigeante, difficile, puisse s'apprendre en trois mois.

La manière forte! Donc exit JJC et Christine who?...



Monsieur Kim McInnes, président d'Ivanhoé Cambridge, la filiale immobilière de la Caisse de dépôt et placement du Québec, et Monsieur David Smith, vice-président principal, ressources humaines et services corporatifs, sont des unilingues anglais choisis pour leur extrême compétence. Ils gèrent une institution mythique, ce bas de laine des Québécois qui a assuré la promotion de la bourgeoisie d'affaires francophone sans laquelle le progrès économique du Québec français aurait été impossible.
La Caisse de dépôt, soulignons-le, est dirigée depuis quelques années par l'anglophone Michael Sabia qui, lors de sa nomination, s'était engagé à maintenir le français à la Caisse. Deux ans et demi plus tard, voilà que l'on se retrouve dans une situation qui nous ramène à l'humiliation d'il y a un demi-siècle. Maxime Chagnon, le porte-parole et on a envie d'écrire le porteur d'eau de la Caisse, justifie l'incapacité de David Smith à communiquer en français par cette phrase assassine: «Il a des subalternes qui parlent français...»
Pour qu'existe une situation aussi décourageante que révoltante, il faut un contexte. Il faut aussi des responsables qui ne se sentent plus gênés de nommer à des postes de commande des anglophones unilingues. Il faut des francophones de service, des «subalternes» dociles, peureux, qui trouveraient leur place dans l'image moutonnière du Québec d'antan, celui du bon boss d'Yvon Deschamps, le génial révélateur de nos complexes collectifs. Il faut aussi un mépris qu'on croyait révolu: vivre onze ans chez nous en travaillant pour une institution nationale et être incapable d'apprendre la langue de la majorité. Qu'est-ce donc que cette compétence à occuper la fonction de vice-président si elle n'inclut pas la capacité à parler le français avec en prime des cours d'immersion et des cours privés avec tuteur, payés évidemment à même nos impôts?
Dans quelle société accepterait-on de confier la direction d'une institution nationale à des gens qui manifestent une insensibilité aussi provocante vis-à-vis de la population? Au moment de l'annonce de la nomination de l'anglophone Michael Sabia, quelques nationalistes avaient protesté, vite tancés par tous ceux qui y avaient décelé une forme au mieux d'intolérance, au pire de racisme. N'était-ce pas dans le caractère des Québécois d'être ouverts aux autres, de leur faire confiance, de croire à leur compréhension et à la reconnaissance des anglophones de nos enjeux culturels et linguistiques?
Monsieur Sabia nous avait rassurés. Il serait le gardien de notre langue. Hélas, la nomination de David Smith aux ressources humaines démontre son insensibilité et nous oblige à nous interroger collectivement, au risque d'irriter les jovialistes qui nous assurent, mois après mois, sondages après sondages, que le français connaît un regain de vigueur, qu'il n'est guère menacé et qu'il trouve aussi ses défenseurs en dehors des parlants français.
Ce qui se passe à la Caisse de dépôt démontre noir sur blanc que l'on ne peut compter que sur les francophones (et pas tous, la preuve en est faite) pour défendre la langue, l'imposer et la faire perdurer. Il faut une relève aussi.
Une relève qu'on a élevée dans le respect de
la langue, dans l'obligation vitale de la défendre et dans la conviction viscérale qu'elle doit être protégée.
Les corrections à la va-vite auxquelles on a assisté jeudi à la Caisse avec la réaffectation à l'international de David Smith après une immersion forcée de trois mois en français et les «je le jure sur la tête de ma mère» du p.-d.g. Sabia de se consacrer à la promotion du français à l'interne ne doivent leurrer personne. La défense de la langue française passe obligatoirement par la coercition. À son époque, René Lévesque s'était laissé convaincre par Camille Laurin d'adopter la loi 101. Par tempérament, il aurait préféré des mesures incitatives. Il avait même déclaré qu'il trouvait humiliant d'avoir à légiférer pour imposer le français au Québec.
Devant l'affadissement de la loi 101 par les tribunaux, la fatigue inévitable des générations combatives du lyrisme nationaliste, de l'insouciance désinvolte des jeunes qui croient bétonné l'avenir du français au Québec, il n'y a qu'un choix: la fermeté et l'intransigeance.
Nul ne peut détenir un poste de commande dans une entreprise nationale sans parler français. Nul ne peut exercer l'autorité dans une institution publique sans parler la langue de la majorité.
Il n'y a que les Québécois pour accepter de se faire baragouiner par des gens qui prétendent parler notre langue. Il n'y a qu'au Québec qu'on estime que cette langue, belle, exigeante, difficile, puisse s'apprendre en trois mois. Nous devrions savoir que toute une vie ne suffit pas pour être à la hauteur de la langue française, ce trésor bafoué ici par des gens qui nous catégorisent encore comme des «subalternes» incompétents.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->