Les Québécois se sont longtemps targués d'être les définisseurs de l'identité canadienne. Nous étions la distinction, la différence qui permettaient aux Canadiens anglais de s'affirmer autres devant les Américains. Sans le Québec francophone, le Canada anglais, estimions-nous, n'avait d'autre avenir que d'être la pâle copie, pour ne pas dire le sous-produit, des États-Unis.
Nous en étions fiers et Pierre Elliott Trudeau, le premier, n'était pas loin de penser en son for intérieur que la conquête des Canadiens français consistait à transformer le Canada en un pays bilingue d'un océan à l'autre. Il y avait chez Trudeau une reconversion du messianisme religieux. Faute de pouvoir convertir les protestants au catholicisme, nous allions nous emparer du Canada en transformant les unilingues anglophones en citoyens bilingues. La passion de Pierre Elliott Trudeau à défendre sa politique linguistique reposait sur cette prémisse.
Pendant que les indépendantistes se repliaient à l'intérieur des frontières du Québec, pays français, PET et ses amis brillants et plus «ouverts» tentaient de prendre une revanche historique en imposant officiellement le français dans les institutions fédérales au-dessus des Rocheuses, à travers les plaines, dans l'Ontario des orangistes et dans les Maritimes une heure plus tard. À bien des égards, le rêve bilingue n'était-il pas plus irréaliste et insensé que le rêve indépendantiste que Trudeau et son gouvernement ne cessaient de dénoncer? Ce bilinguisme officiel a servi avant tout, il faut le reconnaître, à installer dans la hiérarchie de la fonction publique fédérale une élite canadienne-française. Le bilinguisme fut ainsi un outil pour la création d'emplois favorisant d'abord les francophones. Il a aussi entraîné dans la classe privilégiée anglophone une ouverture au français, car les élites ontariennes en particulier en ont profité pour bilinguiser leurs enfants dans des classes d'immersion où la qualité de l'enseignement était remarquable.
Pendant ce temps, au Québec, on assistait à une résistance à l'apprentissage de l'anglais chez les jeunes générations allergiques à la langue du «conquérant» dans une inconscience que ce choix les handicapait. Nous étions fiers d'être Québécois et fiers de ne pas parler anglais, une posture qu'ont toujours désavouée des hommes comme René Lévesque et Jacques Parizeau. Politiquement, nous avions décidé de réduire la géographie au profit de l'histoire et, par le fait même, de prendre nos distances vis-à-vis du Canada anglais. Pourtant, nombreux étaient les souverainistes qui n'envisageaient guère de couper les liens avec le reste du Canada. D'où la souveraineté-association.
Enfants terribles du Canada, soumettant les Canadiens anglais à des électrochocs permanents, du FLQ à la conférence de Victoria, des référendums à l'installation du Bloc québécois au coeur du Parlement à Ottawa et ensuite ce coup imprévisible de faire accéder le Nouveau Parti démocratique au statut d'opposition officielle par un vote massif de protestation, comment pouvons-nous jouer les vierges offensées devant les grandes manoeuvres du gouvernement Harper que nous avons rejeté sans ménagement? Ce pays-là nous indiffère après nous avoir heurtés, mais aussi après nous avoir servi de miroir où se reflétait notre différence. Le Canada anglais est en train d'être remodelé entre les mains de Stephen Harper et de son gouvernement, majoritaire grâce au vote québécois [sic], ne faisons pas l'autruche.
Ce Canada-là, une majorité de Québécois le considèrent comme étranger à ce qu'ils sont, à ce qu'ils croient, à ce qu'ils espèrent. Le Canada a disparu peu à peu de notre imaginaire collectif. On peut même dire que les liens affectifs qui jadis faisaient vibrer les fédéralistes québécois au point de les rendre lyriques sur la beauté des Rocheuses, ses mouflons et ses grizzlis, ces liens se sont peu à peu effilochés. Pourquoi alors se formaliser du recul du bilinguisme auquel tant d'entre nous n'ont jamais cru? Et si le Canada de Stephen Harper était en train de voter non à la question qui tue: «Voulez-vous continuer de contenir le Québec au sein du Canada?» Combien de fois, à la blague ou par provocation, n'avons-nous pas entendu des astrologues politiques familiers des configurations des planètes prédire l'expulsion de la fédération canadienne de ce Québec si turbulent et trouble-fête?
Ces nominations conservatrices d'un juge unilingue anglais à la Cour suprême, d'un vérificateur général tout aussi unilingue au sommet de la fonction publique, d'un directeur des communications inapte à parler et comprendre le français et qui a commis des textes offensants pour les Québécois du temps où il sévissait comme journaliste, nous ont obligés à subir encore une fois une humiliation. Celle d'entendre ces heureux hommes promettre d'apprendre le français, langue facile comme on le sait, d'ici un an. Pourquoi un an? a-t-on envie de demander. Pourquoi pas six mois, ou trois, ou deux semaines?
Le Canada de demain dont Stephen Harper, l'homme de l'Ouest, est l'incarnation, ne s'éloigne-t-il pas progressivement du Québec qui, lui-même, s'en est éloigné peu à peu depuis des décennies? Le Canada anglais de Stephen Harper réhabilite les symboles de la monarchie, ressort les drapeaux à toutes occasions et ne s'embarrasse guère des contraintes d'antan où il fallait au moins sauver la face devant le Québec. En ce sens, qui sait si le premier ministre conservateur n'est pas en train de mettre sur les rails une souveraineté-association a contrario?
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