Tout au long du débat des chefs diffusé hier soir, les références à l’Ontario pullulaient.
Ontario par ici, Ontario par là. Comme si la province voisine tenait de modèle pour les élus du Québec. (Pour mon analyse du débat en chronique, c’est ici.)
Sur le plan politique, ce phénomène du genre «comparons-nous à l’Ontario» est étonnant.
On peut certes y voir la continuation de la «provincialisation» de la dynamique politique québécoise. Mais on y voit aussi la référence constante que nos gouvernements font à l’Ontario, depuis le début des années 2000, comme la principale base de comparaison pour la rémunération des médecins au Québec.
Au débat d’hier soir, Jean-François Lisée, chef du Parti québécois, s’en est montré exaspéré avec raison : «Ce n’est pas Doug Ford (premier ministre de l’Ontario), qui va décider combien on paye les médecins au Québec».
Or, contre tout bon sens, gros ou petit, cette base de comparaison continue à être instrumentalisée par le tandem Couillard-Barrette et les puissantes fédérations médicales pour justifier une série d’augmentations stratosphériques de rémunération accordées aux médecins spécialistes. Lesquelles, évidemment, sont et seront payées à même les fonds publics.
Pis encore, une série d’augmentations qui, depuis des années, vampirisent également le budget des services sociaux. Ce qui, dans une société vieillissante comme le Québec, est carrément irresponsable et dramatiquement à courte vue.
La sortie du chef péquiste sur cette comparaison avec l’Ontario, je la partage.
En fait, dès mars dernier, je présentais moi-même le même argument, analyse à l’appui.
Au lendemain du débat – parce que ce dossier qui nous coûte des milliards de dollars par année mérite d’être mieux compris pour l’arnaque qu’il est dans les faits -, je me permets donc de reproduite une chronique sur le sujet publiée le 9 mars de cette année.
Malheureusement, elle n’a pas pris une ride...
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La genèse de l’arnaque
Selon une étude rigoureuse rendue publique cette semaine, la rémunération des médecins spécialistes a plus que doublé entre 2006 et 2015. Le tout pendant que leur productivité baissait.
Considérant l’ampleur des sommes globales en jeu — près de 8 milliards $ cette année —, qu’on l’appelle arnaque ou marché de dupes, le triste constat est le même.
Cette œuvre est celle du tandem Barrette-Couillard.
Durant la même période, le Dr Gaétan Barrette est passé de président de la puissante Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) à ministre de la Santé. Le Dr Philippe Couillard, lui, de ministre de la Santé à premier ministre.
Quant à l’invisible Diane Francœur, présidente actuelle de la FMSQ, elle préfère jouer à la pauvre « victime » des médias. Elle accuse même ses nombreux détracteurs de vouloir « dénigrer » les médecins eux-mêmes. Quelle bêtise.
Ce qui est dénoncé est la rapacité pécuniaire de la FMSQ et les politiques publiques complices des gouvernements Charest et Couillard.
Ce qui lève le cœur, ce sont les milliards en fonds publics engloutis dans une rémunération aux airs évidents de bar ouvert et d’oligarchie médicale.
Derrière cette arnaque politique se cachent des sommes qui, de très loin, excèdent celles du scandale des commandites.
Or, la véritable origine de ce « tout aux médecins », on la trouve dans l’apparition de deux dogmes insensés et injustifiés visant à le justifier face à l’électorat.
Premier dogme : pour la rémunération des médecins, il y aurait eu urgence de « rattraper » la moyenne canadienne, et surtout ontarienne.
Tout d’abord établi par François Legault alors qu’il était ministre de la Santé, sous le duo Barrette-Couillard, ce dogme nouveau prendra des proportions hallucinantes.
Loufoque, ce dogme ne prend pas en compte la réalité, le coût de la vie étant moins élevé ici.
Qui plus est, depuis quand le Québec aligne-t-il ses politiques sur celles de son voisin nettement plus riche ?
Ce dogme du « rattrapage » n’était qu’un bien piètre prétexte pour enrichir personnellement les membres de la même profession que celles de messieurs Couillard et Barrette. Je le répète, c’est une situation troublante de conflits d’intérêts.
Crédules et soumis
Deuxième dogme : la rémunération des médecins ne doit pas excéder 20 % du budget de la santé.
Traduction : allons-y gaiement jusqu’à 20 % ! Mais d’où vient ce chiffre ? Pourquoi 20 % pendant que d’autres postes budgétaires en santé et services sociaux crient famine ?
Pourquoi 20 %, même en pleine austérité ? Pourquoi ne pas redescendre à 15 % ou 14 % ? Question de renforcer les services qui en ont vraiment besoin. Pourquoi pas ? Mystère et boule de gomme.
La morale de cette histoire est simple.
En politique comme en religion, répéter mécaniquement des dogmes comme des incantations d’écervelés finit par miner le jugement.
Par définition, les dogmes doivent être remis en question par la raison.
Gare aux dogmes, car ils rendent crédules et soumis.
Ce qui, face aux dogmes du duo Barrette-Couillard, aussi finement cousus de fil chirurgical fussent-ils, semble être enfin chose du passé.
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