De Vimy à Kandahar

Vimy



Une immense ferveur nationaliste canadienne-anglaise marque ces jours-ci la commémoration du 90e anniversaire de la bataille de Vimy. Un événement qui, s'il représenta, sur le plan stratégique, une réussite pour les bataillons canadiens, reste extrêmement ambigu pour ce qu'il représente du point de vue de l'histoire intérieure du Canada, et des relations entre le Québec et le reste du Canada.
Tellement ambigu, en fait, qu'un historien comme Desmond Morton a pu, cette fin de semaine sur les ondes de Radio-Canada, qualifier l'épisode - prélude à la grave crise de la conscription de 1917-1918 - de «défaite» pour le Québec, et de «victoire» pour le Canada anglais.
Ambigu également est le parallèle - tentant et facile - établi depuis dimanche après-midi par les politiciens comme Stephen Harper, entre l'Afghanistan et la Première Guerre mondiale. Les six nouveaux soldats tragiquement perdus cette fin de semaine en terre afghane ont permis aux officiels de pousser jusqu'à de nouveaux sommets les trémolos et les amalgames.
On peut se réjouir que la mort de six soldats en 2007, événement médiatisé et important, provoque une attention et une émotion bien supérieure à celle que provoquait, il y a 90 ans - être humain pour être humain - l'invraisemblable boucherie de masse que représenta la Première Guerre mondiale. Un conflit au cours duquel les victimes - pauvres statistiques perdues sur des listes sans fin - se comptaient par milliers chaque jour, et par millions à la fin du drame.
On versera beaucoup plus de larmes aujourd'hui sur six soldats morts en Afghanistan que sur six soldats morts en France en 1917. Cela indique sans doute un progrès de la civilisation dans son respect de la vie individuelle.
Mais il est plus que douteux d'oser un parallèle entre une guerre classique d'un autre âge, aux objectifs nets, à la victoire accessible, et une lutte antiguérilla indéfinissable du XXIe siècle, dépourvue d'horizons clairs, d'adversaires précis, et sans définition de ce que serait une possible victoire.
L'Afghanistan donc, encore et toujours... Comme prévu, le dégel printanier nous ramène au premier plan: les guérilleros talibans, leurs mines mortelles semées sur les routes, les attentats suicide... et aussi les prises d'otages, autre innovation importée d'Irak. Comme celle de ces deux coopérants français, à l'issue toujours incertaine. Et comme celle, plus tôt en mars, de trois hommes dont le journaliste italien Daniele Mastrogiacomo, le seul à en être sorti indemne, alors que son chauffeur (au début de la prise d'otages) et son interprète (il y a 48 heures) ont tous deux finis décapités par leurs ravisseurs.
Troublantes sont les conditions qui ont entouré la libération de Mastrogiacomo, le 20 mars, à la suite d'un marché conclu avec ses ravisseurs. Comme au Canada, l'implication des Italiens en Afghanistan est soumise aux fortes pressions d'une opinion publique de plus en plus hostile. Sur la question afghane, le gouvernement italien a vacillé plus d'une fois au cours des derniers mois. Contrairement aux Américains, les Italiens ont l'habitude - on l'a vu en Irak, où ils ont payé des centaines de milliers de dollars en rançons - de traiter avec les preneurs d'otages.
Les autorités de Rome avaient ainsi obtenu, il y a trois semaines, du président Hamid Karzaï lui-même qu'il consente à l'élargissement de prisonniers talibans pour obtenir la libération du journaliste de La Repubblica - mais pas de son guide-interprète. Dix-huit jours plus tard, l'histoire s'est mal terminée pour ce malheureux Ajmal Naqshbandi, décapité cette fin de semaine par ses ravisseurs.
L'histoire est particulièrement choquante parce que, ces derniers jours, le président afghan a publiquement admis que oui, il avait traité avec les talibans pour sauver la vie de Mastrogiacomo - et aussi, par voie de conséquence, pour sauver la mise au gouvernement de son ami Romano Prodi - mais que jamais plus il ne se livrerait à des échanges de prisonniers avec les talibans.
Résultat de ces aveux candides: dans les heures qui ont suivi, on a appris la mort atroce du guide-interprète Naqshbandi.
Trois conclusions inspirées de ces derniers épisodes en Afghanistan...
- L'Occident n'a pas fini de compter ses victimes dans ce pays, et de s'interroger sur le sens de son engagement, alors que la guérilla confirme chaque jour davantage sa résurgence.
- Une vie d'Afghan (comme d'ailleurs une vie d'Irakien), cela vaut nettement moins qu'une vie d'Occidental.
- Le président afghan se confirme de plus en plus dans l'image du faiblard sans grands principes, soumis à ses alliés occidentaux, et qui ne contrôle rien hormis sa garde rapprochée.
Devant chaque nouvelle défaite symbolique que représente la mort de soldats occidentaux en Afghanistan, beaucoup se réfugient de plus en plus dans l'incantation et l'acte de foi pur et simple. «De sacrifice en sacrifice, jusqu'à la victoire.» «C'est le Bien contre le Mal.» «La persévérance finira par l'emporter.»
Mais sur ces registres «héroïques», ce sont bien les terroristes, al-Qaïda et autres talibans, qui sont à des années-lumière devant nous.
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
francobrousso@hotmail.com

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