De l'intégrisme au racisme

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor


Un article récent publié dans le Courrier International (no.848 7/2/07) mentionnait que, dans un sondage effectué auprès des musulmans vivant en Allemagne, 21 % d'entre eux croyaient que la constitution allemande était incompatible avec le Coran. Ces musulmans affirmaient donc que, pour eux, le Coran avait préséance sur la Constitution du pays. Voilà pour la société allemande un sérieux malentendu sous l'angle de l'intégration d'une communauté nouvellement arrivée !
On parle ici d'un musulman sur cinq, que notre ignorance de la méthodologie utilisée ne nous permet pas de qualifier d'intégriste. Mais qu'en est-il de la position de ces intégristes face à des droits que nous estimons fondamentaux au point de les avoir enchâssés dans nos chartes ?
Pour l'intégriste musulman, la loi religieuse est supérieure à la loi de l'État. On appelle cela la loi de la charia. Tout est dans le Coran. Le lire permet de trouver toutes les réponses à toutes les questions possibles et imaginables. L'argent ; le commerce ; la justice ; l'éducation ; la souveraineté ; le divorce ; la famille ; l'écologie ; la culture. Il n'y a pas de séparation entre croyance privée et pratique publique. La religion sort de la sphère individuelle pour envahir la société toute entière. Elle définit l'identité de la communauté. Il devient alors normal de consulter leur chef religieux avant de consulter la loi du pays.
Or, dans la loi coranique, il n'existe pas de hiérarchie religieuse. Il n'existe pas de doctrine unique à laquelle les croyants doivent adhérer. Chaque imam interprète le Coran à sa façon. Des dérapages notoires se sont produits, en particulier en Grande-Bretagne, avec les prêches haineuses d'imams radicaux contre les valeurs de leur société d'accueil.
Un danger nous guette, et il est loin d'être académique comme l'ont démontré certains accommodements dénoncés au Québec de même que certaines tentatives de rendre la charia légalement applicable : des communautés d'intégristes religieux, parce qu'ils remettent en cause la légitimité de nos chartes face à la loi coranique, ne reconnaissent pas la primauté de certains de nos principes fondamentaux comme l'égalité entre les hommes et les femmes.
Des valeurs qui font envie
Au Québec, l'égalité entre les hommes et les femmes constitue non seulement un droit, mais un acquis social, une réalité de la vie quotidienne, une façon de vivre entre nous. Nous avons mené une longue lutte pour nous entendre sur un ensemble de valeurs qui font aujourd'hui consensus.
Le Québec s'est ouvert sur le monde. Nous avons accueilli des immigrants de tous les horizons, très souvent parce qu'ils souffraient d'oppression dans leur pays d'origine. Nous avons aussi mené un combat pour que le Québec obtienne le contrôle de son immigration, un outil essentiel afin de pouvoir vivre au Canada comme une nation distincte.
La politique d'immigration du Québec est basée sur le respect d'un contrat moral que le ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles (MICC) nous dit être la clé d'une intégration réussie. Ce contrat moral stipule entre autres que "pour participer pleinement à la société québécoise, l'immigrant doit s'adapter à son nouveau milieu de vie. Il doit être prêt à découvrir et à respecter les valeurs fondamentales de la société d'accueil."
Politiques à jour ?
Quant à la sélection des immigrants, elle est essentiellement basée sur des objectifs "de pérennité du fait français et de maximisation des retombées économiques."
Depuis l'an 2000, entre 16 % et 20 % des nouveaux immigrants proviennent des pays d'Afrique du Nord où l'on parle français, mais qui sont de culte musulman. Bien sûr, il est important de le répéter, tous les musulmans ne sont pas des intégristes. Mais on sait que l'intégrisme religieux constitue une force importante au sein des pays du Maghreb.
En conséquence, il faut se demander si notre politique de sélection et d'intégration des immigrants a été mise à jour et est bien adaptée pour faire face à la montée de l'intégrisme religieux qui s'impose dans le monde du début de ce XXIe siècle. Car ce phénomène semble modifier la donne chaque jour un peu plus.
Et ce n'est pas qu'au Québec : partout dans le monde, le choc des valeurs devient maintenant un sujet de préoccupation.
Le fantôme de Van Gogh
Le 2 novembre 2004, le cinéaste Théo Van Gogh est égorgé en pleine rue par le Néerlandais d'origine marocaine Mohamed Bouyeri, lié à Amsterdam au groupe d'extrémistes "hofstad", venus du Maroc. Théo Van Gogh avait commis le "grave péché" de faire un film qui critiquait le traitement des femmes au sein de certaines cultures musulmanes.
Ce fut le déclencheur des passions collectives, qui ont forcé les politiciens et d'autres personnalités publiques à réaliser soudainement que les valeurs du pays étaient menacées. Le danger, selon eux, vient des musulmans non assimilés qui minent les fondations de la société néerlandaise.
Le gouvernement des Pays-Bas prétend désormais que si on veut immigrer dans son pays, on doit savoir que les Hollandais ne font pas des chichis avec la nudité et que les homosexuels ont les mêmes droits que les hétérosexuels. Il ajoute que l'on ne demande pas aux immigrants d'être d'accord, mais d'accepter les valeurs libérales du pays, sinon il est préférable qu'ils restent chez eux car ils ne s'intégreront pas. La mort de Théo Van Gogh a fait comprendre l'urgence d'agir et la légitimité qu'a une société d'imposer à ses nouveaux arrivants les limites qu'elle juge appropriées.
Revoir le mandat de la commission
Les politiciens des Pays-Bas sont allés trop loin, leur opinion publique gonflée à bloc par l'assassinat du populaire cinéaste. Mais rappelons-nous que les Pays-Bas sont un exemple. Le Danemark, l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis en sont d'autres. Le Québec est peut-être en train de se tailler une place dans le club des États aux prises avec la montée de l'intégrisme religieux ?
Il faut revoir le mandat de la Commission sur les accommodements. Il faut qu'elle considère les exemples des autres pays occidentaux. Tout comme la montée du racisme a pris de l'ampleur en Europe, il pourrait en être de même chez nous.
Il faudrait d'abord se demander si l'intégrisme religieux existe au Québec. Si c'est le cas, quelle est son ampleur. Et ensuite se poser les difficiles questions suivantes : sommes-nous disposés à accepter sur notre territoire des intégristes religieux qui vivent suivant des règles de vies incompatibles avec nos valeurs communes (des droits fondamentaux), en particulier celui de l'égalité entre les sexes ? Sommes-nous déterminés à nous accommoder à l'existence de ghettos religieux vivant en marge de la société québécoise, notamment à Montréal ?
Il faut avoir le courage d'aller au fond des choses et d'explorer les causes profondes de la crise qui secoue le Québec depuis plusieurs mois maintenant. Si nos gouvernements n'ont pas la lucidité de faire face dès maintenant aux risques que peut constituer l'intégrisme religieux pour nos valeurs et nos droits fondamentaux, un piège insidieux se dessine : celui de voir la montée de l'intégrisme religieux nous mener droit au racisme. Pas celui des sondages, au vrai. Et à tous les débordements que cela pourrait entraîner. Parlez-en aux gens des Pays-Bas.
Latulippe, Gérard
* L'auteur a été député et ministre sous le gouvernement libéral de Robert Bourassa. Il a été délégué général du Québec à Bruxelles et au Mexique. Il travaille maintenant pour une organisation internationale dans plusieurs pays de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

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Président du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique (Droits et Démocratie)

L'auteur a été député et ministre sous le gouvernement libéral de Robert Bourassa. Il a été délégué général du Québec à Bruxelles et au Mexique. Il travaille maintenant pour une organisation internationale dans plusieurs pays de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient.





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