Accepter l'intolérance: un accommodement raisonnable?

Accommodements raisonnables

Mario Dumont a eu le courage de soulever un débat public sur l'immigration qui tardait à venir. De plus en plus d'immigrants proviennent de pays où se pratique un intégrisme religieux. Ils exigent alors l'application sur notre territoire des règles de comportement social dictées par leur religion, comme s'ils se trouvaient encore dans leur pays d'origine. L'exercice de ces pratiques heurte de plein fouet nos valeurs et est même souvent incompatible avec certains des droits fondamentaux de nos chartes, comme le droit des femmes à l'égalité, la liberté d'expression et le droit à l'intégrité de sa personne. C'est le cas, entre autres, d'une partie importante de la communauté musulmane, des juifs hassidiques et des Sikhs.
Il faut bien se rendre à l'évidence: cette problématique récente ne se posait pas lors des vagues d'immigration que le Québec a historiquement connues, que ce soit avec les Italiens, les Polonais, les Grecs, les Latino-Américains, les Haïtiens ou les Vietnamiens. Même si leur mode de vie était différent de celui des Québécois dits de «souche», ils ont enrichi notre culture et ont fortement contribué à l'ouverture du Québec sur le monde. Personne ne parlait alors d'accommodement raisonnable. Il n'y avait rien d'incommodant dans l'apport de ces communautés culturelles à la société québécoise.
Cette notion inédite d'accommodement raisonnable a justement été conçue pour que des groupes d'immigrants, dont le comportement social est dicté par une forme d'intégrisme religieux, puissent se soustraire à nos valeurs communes sur des sujets aussi importants pour la société québécoise que l'égalité des sexes, la liberté d'expression, le droit à l'intégrité de sa personne et les droits des enfants. Bref, la question se pose: s'agit-il d'un accommodement raisonnable avec la liberté de religion des autres ou de l'acceptation de l'intolérance des autres envers nos valeurs sociales?
Que les Québécois sont tolérants, c'est tout en leur honneur. On comprend par ailleurs très mal les dangers, pour la société québécoise, de l'acceptation en masse d'une immigration dont les règles de comportement social sont façonnées par le carcan religieux de leur pays d'origine. Il faut vivre comme étranger en terre d'islam pour comprendre l'ampleur du fossé identitaire entre nous. Vous comprendrez que je suis un Québécois vivant depuis quelques années en terre musulmane.
Le code de conduite social est essentiellement dicté par la loi suprême du Coran. D'ailleurs, très souvent, les lois religieuses et civiles se confondent. Même dans un pays musulman modéré comme le Maroc, un étranger ne peux pas se marier avec un Marocain sans se convertir à la religion musulmane et subir en prime un interrogatoire en règle au poste de police sur ses bonnes intentions. Une femme battue ne recevra justice devant les tribunaux que si deux témoins masculins témoignent en sa faveur. J'ai vu trois jeunes étudiants québécois, soit deux garçons et une fille, mis sous arrêt parce qu'ils vivaient dans le même appartement pour épargner de l'argent sans être mariés. Au mois d'octobre dernier, pendant le ramadan, plusieurs Marocains à bord du vol Casablanca-Montréal de la compagnie Royal Air Maroc ont provoqué un tollé en protestant fortement contre le fait que le repas a été servi aux passagers pendant la période de jeûne, au point où le commandant de bord a dû venir calmer les esprits. L'accommodement raisonnable n'existe tout simplement pas.
Heureusement, dans ces pays, il y a des hommes et des femmes qui luttent pour moderniser leur société et rendre leurs lois plus conformes aux valeurs d'ouverture et d'égalité sociale de même qu'aux droits humains universellement reconnus. Le Maroc a accompli des avancées importantes à ce sujet. Les associations féminines y font d'ailleurs un travail remarquable pour la progression des droits des femmes. Malheureusement, la plupart des sondages d'opinion démontrent que la barrière du conservatisme social est très difficile à rompre.
La société, dans l'ensemble des pays de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, demeure donc en général intransigeante envers toute déviation par rapport aux enseignements du Coran. La pratique religieuse de l'un, c'est l'affaire de tous. La liberté de conscience n'existe pas, puisque les impératifs religieux sont du domaine public. Quand on viole ses règles, on le fait en secret. C'est ainsi que celui qui ne pratique pas le jeûne durant le ramadan se dérobera à la vue de ses voisins. L'identité musulmane est profondément marquée par ce code de conduite tirant sa source du Coran.
Il ne faut donc pas s'étonner que les communautés d'immigrants les plus extrémistes, dont l'identité même est imprégnée de ce code de conduite socioreligieux, exigent des statuts d'exception au sein des pays hôtes. Dans ce contexte, exiger d'un CLSC que les hommes n'assistent pas aux cours prénataux tient plus de l'intolérance aux valeurs des autres qu'à une pratique religieuse. C'est encore de l'intolérance de ne pas accepter le code vestimentaire du pays qui nous reçoit parce qu'il n'est pas acceptable dans notre pays d'origine.
Or, la première source d'immigration au Québec provient maintenant des pays musulmans d'Afrique du Nord. Il faut se rendre à l'évidence que nous acceptons une immigration massive qui, souvent, n'accepte pas, dans son identité même, nos valeurs et plusieurs des droits fondamentaux de nos chartes.
Notre tolérance va nous obliger à une escalade d'accommodements raisonnables ou moins raisonnables. Cette logique d'accommodement favorise la création, au sein de la société québécoise, de sociétés minoritaires refusant de s'intégrer aux institutions qui ne veulent pas se plier à leurs exigences identitaires. C'est la formule pour que la pression s'accroisse afin de mitiger nos valeurs et nos droits fondamentaux. C'est la meilleure façon de favoriser la naissance de conflits sociaux plutôt que l'intégration et l'enrichissement de notre culture.
L'avenir du Québec en dépend. Il faut se demander si c'est un compromis raisonnable d'accepter l'intolérance des autres au sein de notre société. Il est nécessaire de pouvoir faire ce débat sans être accusé de démagogie, d'islamophobie, d'intolérance et d'opportunisme politique par les biens-pensants de la rectitude politique.
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Gérard Latulippe, Ancien ministre du gouvernement de Robert Bourassa et délégué général du Québec. Il est actuellement en poste en Afrique du Nord.

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Gérard Latulippe7 articles

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Président du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique (Droits et Démocratie)

L'auteur a été député et ministre sous le gouvernement libéral de Robert Bourassa. Il a été délégué général du Québec à Bruxelles et au Mexique. Il travaille maintenant pour une organisation internationale dans plusieurs pays de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient.





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