Le 25 juillet dernier, le Canada tout entier était sous le choc en apprenant que Jack Layton était assailli par un deuxième cancer en deux ans, lui qui a été l'artisan et la locomotive de la victoire historique de son parti au Québec à l'occasion des élections fédérales du 2 mai. La maladie qui afflige à nouveau le chef du NPD génère conséquemment un tas d'inquiétudes et d'incertitudes au sein du NPD et dans la population en général.
L'ironie de cette situation, c'est que l'annonce de cette nouvelle épreuve est survenue quelques jours avant le 50e anniversaire de la création de ce parti, son congrès de fondation ayant été tenu à Ottawa du 31 juillet au 4 août 1961.
Malgré tout, ce malheureux tournant de la situation pour Jack Layton ne devrait pas faire oublier l'enjeu central qui a été abordé à la fondation du NPD, à savoir la question du Québec. Ce fameux débat qui a eu lieu en 1961 est encore tout à fait d'actualité. La question nationale québécoise dans son ensemble, contrairement à ce que certains peuvent penser, n'a pas non plus été effacée par la victoire éclatante du NPD aux élections du 2 mai dernier. Quelques réflexions s'imposent à ce propos.
La bataille de la délégation du Québec au congrès de 1961
En août 1961, la création du Nouveau Parti démocratique a représenté un événement capital pour tout le Canada. Un parti s'appuyant notamment sur le mouvement syndical, se réclamant de la social-démocratie, se constituait et engageait la bataille politique contre les conservateurs et les libéraux sur la scène fédérale. On ne voulait plus du vieux CCF (Co-operative Commonwealth Federation), mais bien d'un «Nouveau Parti», un parti fondé sur de nouvelles bases.
Conséquemment, comme ce nouveau parti permettait d'aborder les choses différemment, les militants québécois de la formation en construction profitèrent de cette ouverture pour soulever la question québécoise. Les aspirations nationales des Québécois étaient alors montantes et le contexte se prêtait bien à une telle promotion de la cause québécoise.
Au cours des semaines qui ont précédé la fondation du NPD, le comité provincial du Nouveau Parti ainsi que ses «clubs» nouvellement constitués au Québec exprimèrent fortement leur volonté de faire reconnaître l'existence de deux nations au Canada. Plusieurs syndicalistes et intellectuels québécois jonglèrent même avec l'idée de faire reconnaître le droit à l'autodétermination du Québec et de soumettre cette question au congrès. On pense ici à Fernand Daoust, Roméo Mathieu, Jacques-Victor Morin, Huguette Plamondon, Michel Chartrand, Jean-Marie Bédard et bien d'autres. Mais devant le choc que pouvait générer cette idée chez les dirigeants du Nouveau Parti, ils abandonnèrent cette piste d'intervention, la jugeant peut-être prématurée et la reportant à plus tard.
En revanche, leur détermination à faire reconnaître l'existence d'une «nation canadienne-française» était évidente. En 1961, on en était aux premiers balbutiements sur la question nationale québécoise et le concept de «nation canadienne-française» était la façon du moment de poser la question.
Le concept de peuple québécois ou de nation québécoise n'était pas encore tout à fait mûr dans la réflexion des partisans du Nouveau Parti au Québec. Il ne fut donc nullement question de reconnaissance du peuple québécois et de son droit à l'autodétermination en 1961, contrairement à ce qui a été souvent répété depuis la dernière campagne électorale fédérale.
Une longue liste d'échecs
Les 167 délégués du Québec présents au congrès d'août 1961 décidèrent donc de concentrer leurs efforts, pour cette grande première, sur la modification du projet de statuts qui était proposé pour ce nouveau parti.
En se référant constamment au concept de nation pour décrire le Canada en tant que pays, et à l'adjectif «national» pour dénommer les instances officielles du nouveau parti à créer, les dirigeants du comité national du Nouveau Parti faisaient fi de l'existence d'une «nation canadienne-française» distincte. C'est pourquoi la délégation du Québec, avec Michel Chartrand à sa tête, mena la charge dès la séance du 31 juillet en proposant de changer toutes les appellations des instances du parti et d'adopter le qualitatif «fédéral» en remplacement du terme «national». On exigeait donc que l'exécutif du parti devienne un «exécutif fédéral» et non «national», que le bureau national devienne aussi «fédéral», tout comme le congrès.
Bien que les débats se soient révélés très corsés, cette première bataille des Québécois au sein du NPD naissant fut finalement gagnée le 3 août. On reconnaissait ainsi l'existence de deux nations dans l'articulation des statuts. Une victoire timorée puisqu'elle ne connut pas de traduction réelle et convaincante dans le programme du parti.
Cette première épreuve rencontrée par les Québécois à la fondation même du NPD n'allait malheureusement pas être la seule. Elle allait être suivie d'une série d'autres encore plus difficiles, alors que les équipes dirigeantes successives de ce parti décidèrent consciemment de tourner le dos aux aspirations nationales des Québécois, jugées contraires aux objectifs de la social-démocratie canadienne.
Le refus du congrès du NPD de 1977 de reconnaître le droit à l'autodétermination du peuple québécois (à la suite de l'arrivée au pouvoir du Parti québécois), la participation du parti à la coalition Pro-Canada à la veille du référendum de 1980, l'appui inconditionnel au coup de force constitutionnel de P. E. Trudeau contre le Québec en 1982, l'orientation centralisatrice privilégiée par les différentes équipes dirigeantes au détriment du respect des compétences provinciales, la charge contre l'accord du lac Meech au cours de la dernière phase de cette négociation constitutionnelle, l'appui donné à la tristement célèbre loi de la «clarté référendaire» (loi C-20), voilà autant d'affronts au Québec qui ont amené ce parti à s'y marginaliser et à y subir une suite ininterrompue d'échecs avant que survienne la surprise de l'élection fédérale du 2 mai dernier.
À la défense du NPD, on peut toujours rappeler son opposition à l'imposition de la Loi sur les mesures de guerre en 1970, mais cela ne change en rien le parcours d'ensemble suivi par ce parti en ce qui concerne le Québec.
Le Québec en salle d'attente
Alors que le NPD a remporté une victoire sans précédent le 2 mai dernier et que son caucus est désormais constitué de 59 députés provenant du Québec, le danger qui le guette est maintenant d'esquiver cette question nationale québécoise et de tenter de la mettre sous le tapis. C'est le défi le plus important qui se profile en avant-scène pour le NPD. S'il n'assume pas pleinement cette question dans ses prises de position et ses actions, les problèmes du passé ne manqueront pas de resurgir.
Dans un premier temps, on peut se demander, 50 ans après le congrès de fondation du parti, si l'association de Nycole Turmel au titre de présidente du «caucus national» plutôt que «fédéral» sur le site du NPD est le produit d'une simple inadvertance. S'il s'agissait au contraire d'une décision délibérée, cela signifierait que les dirigeants du NPD n'auraient rien compris du débat de 1961 et que la motion visant la reconnaissance de la «nation québécoise» qu'ils ont eux-mêmes appuyée à la Chambre des communes, le 27 novembre 2006, ne veut rien dire.
D'autre part, la «déclaration de Sherbrooke», également adoptée en 2006 par le congrès du NPD et brandie de manière précipitée par Jack Layton et Thomas Mulcair en cours de campagne électorale de manière à pallier l'absence totale d'engagements pour le Québec dans la plateforme du parti, ne saurait non plus tenir lieu d'orientation sur le Québec.
La déclaration de Sherbrooke n'est qu'une déclaration. Elle a été adoptée à la suite des déchirements qui ont divisé le NPD après le vote du caucus fédéral néodémocrate pour la loi C-20 à la Chambre des communes. De manière à panser les plaies, elle reconnaissait le droit à l'autodétermination des Québécois, la règle de la simple majorité absolue pour décider de l'avenir du Québec ainsi qu'un droit de retrait en matière de modification constitutionnelle avec pleine compensation financière pour le Québec. Mais elle ne constitue qu'une déclaration d'intention, qu'une déclaration sans portée réelle.
Dans les faits, le NPD continue de soutenir l'esprit et la règle de droit imposée par la loi C-20, qui nie le droit de la nation québécoise de décider librement de son avenir. Il n'y a aucune perspective de réouverture du dossier constitutionnel en vue, ce qui enlève toute portée concrète à l'engagement de reconnaître au Québec un droit de retrait avec compensation financière. La déclaration de Sherbrooke ne dépasse donc pas le niveau de vagues conjectures.
Un autre exemple de positions erratiques sur la question québécoise nous est donné par la position du NPD relativement au projet hydroélectrique du Bas-Churchill, piloté par le gouvernement terre-neuvien, qu'Ottawa s'apprête à financer. Le Québec a unanimement dénoncé cette aide d'Ottawa dans un domaine de compétence provinciale. Le premier ministre de l'Ontario, Dalton McGuinty, a aussi réprouvé cette décision et a exigé, en contrepartie, que sa province obtienne le même financement que les Terre-Neuviens. Le NPD, pour sa part, appuie toujours la décision d'Ottawa, s'avérant ainsi plus centralisateur encore que le gouvernement ontarien. Il n'a même pas exigé que le Québec obtienne la somme équivalente.
Le plus inquiétant en ce qui concerne le Québec, c'est qu'à l'occasion du congrès du NPD tenu à Vancouver à la mi-juin, aucune résolution concernant la question québécoise n'a été présentée. Rien, étonnamment. Le Québec, lui qui a fourni plus de la moitié de la députation du NPD, est demeuré en salle d'attente. Aucune déclaration, même à titre d'intentions générales, n'a été élaborée.
Pour expliquer un tel état de choses, le NPD a invoqué qu'au sortir de l'élection, il n'avait pas eu suffisamment de temps pour préparer des résolutions précises concernant le Québec. Pourtant, les délégués au congrès ont été invités à voter une résolution visant à établir une nouvelle relation de «nation à nation» avec les peuples autochtones du Canada de manière à défendre leurs droits et intérêts et à établir les bases d'une nouvelle une relation équitable au Canada. Pourquoi ne pas avoir fait voter quelque chose similaire pour le peuple québécois? Il est donc permis de s'interroger quelque peu.
Le NPD a par la suite livré une bataille admirable d'opposition systématique contre le gouvernement Harper à propos du lockout imposé aux travailleurs des postes. Il en a eu tout le crédit, tout en ayant été secondé dans cet effort par le Bloc québécois. Si le NPD avait consacré le cinquième de cette énergie à élaborer un début d'orientations soudées aux aspirations des Québécois, il aurait pu aussi en tirer avantage.
Enfin, Nycole Turmel, nouveau chef intérimaire désigné par Jack Layton, explique que le mois de septembre permettra aux membres du caucus du NPD d'établir leur cadre stratégique pour la rentrée parlementaire d'automne. Espérons que la question québécoise ne soit pas encore laissée en plan. Entre-temps, on ne peut qu'espérer que Jack Layton sorte victorieux de son combat contre le cancer et qu'il confirme son réel engagement envers le Québec.
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André Lamoureux - Politologue et auteur du livre Le NPD et le Québec 1958-1985
50 ans après la fondation du NPD
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