Q
En tant qu'écologiste, êtes-vous heureux de voir que l'environnement occupe une place importante dans les élections en cours ?
R
Absolument pas, parce que ce n'est tout simplement pas le cas ! L'environnement a été la préoccupation principale des Canadiens pendant les deux dernières années et pourtant, depuis que les États-Unis ont des difficultés financières, l'attention des médias et des partis est concentrée exclusivement sur l'économie.
Q
Mais n'est-ce pas normal, dans les circonstances ?
R
Les citoyens sont inquiets pour leurs emplois et leurs économies, je peux comprendre. Mais, en même temps, il faut savoir qu'il y a un lien direct entre l'environnement et l'économie. Une économie en santé dépend d'un environnement sain. Le fait qu'un des enjeux chasse l'autre montre que nous avons échoué, en tant qu'écologistes, à faire comprendre le lien direct entre les deux.
Q
Le débat autour de la taxe sur le carbone ne fait-il pas, justement, le pont entre économie et environnement ?
R
Il devrait le faire, mais il ne le fait pas, tout simplement parce qu'il n'y a pas de débat sur la question. Le premier ministre du pays a craché sur cette proposition, malgré son importance cruciale dans la lutte contre les changements climatiques, en la qualifiant de folle et d'insensée. C'est choquant de voir quelqu'un aborder cette question d'une manière aussi superficielle et stupide !
Q
Pourquoi la taxe sur le carbone est-elle si importante ?
R
Parce qu'il est très difficile d'influer sur les comportements. Les politiciens ont accès à deux puissants outils pour le faire : la réglementation et la taxation. Et tous les économistes nous disent que la taxation est une manière très efficace d'influencer les comportements.
Q
Comment ?
R
Elle lance un message aux entreprises : vous ne pouvez plus vous servir de l'atmosphère comme d'une immense décharge gratuite pour vos émissions, vous devez maintenant payer pour le faire.
Q
Que constatez-vous dans la campagne électorale en cours ?
R
Qu'il y a un fossé entre les partis de l'opposition, qui ont tous une plateforme environnementale solide, et le parti au pouvoir, qui a choisi de s'isoler sur cette question.
Q
Et pourtant, il mène dans les sondages...
R
C'est vrai. Mais il se dirige vers un gouvernement minoritaire. Or, si on additionne les appuis des libéraux, du NPD et des verts, qui ont une plateforme environnementale similaire, on constate que la majorité des électeurs s'opposent aux conservateurs. Cela nous ramène au problème fondamental de notre démocratie, qui permet à une formation n'ayant récolté que 40 % des voix de former un gouvernement majoritaire, comme ce fut le cas à l'époque de Brian Mulroney.
Q
C'est un problème ?
R
Absolument ! Je n'ai jamais voté pour un parti qui a pris le pouvoir. Mon vote a donc toujours été gaspillé. Ce n'est pas une démocratie ! C'est une tyrannie de la minorité, qui profite de la division du vote majoritaire !
Q
Peut-être, mais est-il aussi possible que vous, comme les chefs de parti, surestimiez l'importance qu'accordent les Canadiens à l'environnement ?
R
Non. Tous les partis d'opposition ont de solides plateformes vertes parce que les gens se préoccupent, justement, d'environnement.
Q
Donc nous évoluons ?
R
J'ai déjà dit à Elizabeth May que mon souhait est de voir de mon vivant des élections où il n'y aura plus de Parti vert. Cela signifiera que tous les partis, sans exception, auront intégré l'environnement aux enjeux traditionnels. C'est un peu comme ces entreprises qui m'appellent sans cesse pour avoir une lettre d'appui à leurs actions environnementales... Toutes les entreprises devraient être vertes ! Ça ne devrait pas être un sujet de vantardise, plutôt une simple façon d'être.
Q
Comment réagissez-vous à l'appui accordé aux conservateurs par les Québécois, dont vous avez maintes fois vanté les mérites environnementaux ?
R
Je suis surpris et je suis déçu. J'ai parlé à Gilles Duceppe il y a quelques mois et je lui ai dit que je ne comprenais tout simplement pas ce qui se passait au Québec. Cette province a toujours été plus préoccupée par l'environnement que les autres. Je m'attendais donc à un certain leadership sur le plan environnemental. Je suis donc sidéré lorsque je constate que les Québécois s'apprêtent à élire un parti qui a un programme environnemental si faible.
Q
Et que pensez-vous des élections en cours aux États-Unis ?
R
Je trouve cela fascinant vu d'ici, car peu importe qui est élu, le Canada aura l'air complètement fou au lendemain de cette élection présidentielle. Alors que l'on continue de suivre aveuglément le chemin tracé par Bush, les États-Unis s'apprêtent à s'en distancier de façon importante !
Q
De quelle façon ?
R
Un changement majeur se prépare au sud de la frontière, car Obama et McCain soutiennent tous deux qu'il faut s'attaquer aux changements climatiques et qu'il faut aller vers un avenir énergétique durable. D'ailleurs, si les États-Unis avaient investi dans les énergies renouvelables ne serait-ce qu'une portion des 700 milliards de dollars accordés à des banques - qui auraient plutôt mérité un coup de pied au derrière, à mon avis - ils auraient pu prendre le virage dès maintenant.
Q
Les États-Unis seront-ils du prochain accord international sur le climat, qui succédera à Kyoto ?
R
Absolument. Ils ne se joindront peut-être pas au consensus dès la rencontre prévue en décembre en Pologne, mais ils y seront à partir de l'année suivante, à la conférence de Copenhague.
Q
Et la Chine ? Et l'Inde ?
R
Ces pays devront aussi être de la partie. L'idée, avec Kyoto, était d'obliger les responsables de la crise climatique, les pays riches, à réduire leurs émissions d'ici à 2012. Pendant ce temps, les pays émergents avaient l'occasion de développer leur économie. Mais il était clair que, dans un deuxième temps, tout le monde serait inclus dans un protocole international.
Q
Vous pensez que cela se produira ?
R
Tout dépend de l'exemple des pays comme le nôtre. Si le Canada, un des pays les plus riches au monde, est incapable de réduire ses émissions, pourquoi la Chine et l'Inde décideraient-ils spontanément d'agir ? Surtout que notre inaction leur donnerait le droit de dire : « Si vous n'êtes pas prêts à modifier vos comportements, pourquoi le ferions-nous ? » Nous avons un exemple à montrer et si nous ne le faisons pas, la Chine et l'Inde pourront nous envoyer au diable !
Q
Pouvons-nous espérer une réduction de nos émissions tout en exploitant les sables bitumineux ?
R
C'est honteux, tellement honteux ! C'est un des projets les plus dommageables sur le plan environnemental, non seulement au Canada, mais dans le monde. C'est du goudron, pas du pétrole. Voilà pourquoi il faut faire fondre le tout à l'aide de quantités phénoménales d'énergie. Il faut l'équivalent d'un demi-baril de pétrole pour produire un seul baril de pétrole à partir des sables bitumineux. Et c'est sans parler des grandes quantités d'eau utilisées, de la destruction de la forêt boréale, etc. C'est complètement fou !
Q
Que faire ?
R
Les sables bitumineux sont la honte du Canada. Nous devons exiger l'arrêt immédiat de leur exploitation ! C'est démentiel ! Nous devons aussi avoir une discussion collective sur notre avenir énergétique. Pourquoi baser notre avenir sur des sources d'énergie appelées à disparaître, qui produisent des gaz à effet de serre et qui participent aux changements climatiques ? C'est un crime intergénérationnel !
Q
Que devrait répondre le Québec à Enbridge, qui souhaite transporter du pétrole bitumineux de l'Alberta jusqu'à Montréal ?
R
Le Québec est bien chanceux d'avoir opté pour l'hydroélectricité, une énergie qui a certes des impacts, mais qui est propre d'un point de vue des gaz à effet de serre. Pourquoi le Québec voudrait-il soudainement prendre une autre voie ? Il doit plutôt se lever et faire obstacle à ce projet.
Q
En guise de conclusion... La Fondation Suzuki vient tout juste d'ouvrir un bureau québécois, après 18 ans d'existence. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?
R
Pour une petite organisation comme la nôtre, qui s'est concentrée d'abord sur la Colombie-Britannique et l'Ontario, il aurait été risqué d'investir dans la traduction et le dédoublement de nos actions. Nous avons donc dû attendre qu'un nouveau directeur soit nommé, l'an dernier, en la personne de Peter Robinson, et qu'il en fasse sa priorité. C'est beaucoup trop tard, je l'admets. Et je m'en excuse.
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