Crise financière mondiale et petites nations

Chronique de José Fontaine

Je m’en souviens comme si c’était hier. Lorsque la Belgique a « perdu » le Congo, j’ai entendu mon père dire à un de ses collègues que la Belgique aurait avantage à entrer dans un plus grand ensemble et, par exemple, de devenir, comme Israël (l’exemple qu’il donna), un Etat théoriquement indépendant, mais en fait fort lié aux USA. C’était en 1960. Mon père était un patriote belge alors que je suis un patriote wallon. Mais ce qu’il avait dit m’avait frappé. Et, 50 ans plus tard, je m’étonne qu‘il n’ait pas parlé de l’Europe venant juste de s’organiser en « Marché commun » : la « petite Europe » (Allemagne, Italie, Hollande, France, Luxembourg et Belgique).
Dans la parenthèse que je viens de fermer, j’ai placé ensemble la France, le Luxembourg et la Belgique qui ont injecté beaucoup d’argent dans la banque DEXIA autrefois le « Crédit communal » en Belgique banque des communes et banque de dépôts. Ce « Crédit communal » a fusionné (et a été partiellement privatisé), il y a quelques années avec des institutions analogues en France et au Luxembourg. C’était au départ une banque publique. Elle a été privatisée, mais les pouvoirs publics y gardent pas mal d’intérêts. Notamment les grandes Villes qui en sont souvent actionnaires, ce qui leur vaut des dividendes qui améliorent leurs budgets. France, Belgique et Luxembourg sont des Etats authentiquement souverains, en dépit du fait que la France a 60 millions d’habitants et le Luxembourg à peine 500.000 (la Wallonie, 3,4 millions, 4,4 avec Bruxelles et la Belgique 10,5 millions). Lorsqu’ils prennent des positions communes, ce n’est pas du toc, même si cela s’explique par de nombreuses affinités parmi lesquelles le partage du français. Même quand ils sont flamands, les dirigeants belges sont de bons francophones (le Premier ministre belge actuel est le fils d’un Wallon). Quant aux Luxembourgeois, ils vivent une situation unique. Le bilinguisme caractérise les individus, la diglossie les collectivités. La nation luxembourgeoise parlant trois langues est triglosse: l’allemand, le français et le luxembourgeois (langue régionale germanique devenue une langue officielle depuis peu)... Ce qui a des avantages et des inconvénients (nous n'avons pas de vraie langue maternelle me dit un élève, pourtant d'origine portugaise).
J’en reviens à l’idée qu’émettait mon père. Elle est symptomatique d’un état d’esprit que nous avons eu en Belgique, mais aussi ailleurs en Europe : le sentiment de la limite des Nations au sortir de deux guerres qui les virent s’entretuer et s’affaiblir gravement. En Europe, du moins, je pense que ce sentiment aida à accepter la mondialisation néolibérale alors que la construction européenne est un phénomène qui s’en distingue.
Il y a deux ou trois jours, un journaliste antiwallon mal inspiré de la RTBF s’exclamait : « Avec la crise financière mondiale, c’est curieux, ricanait-il, comme on n’entend plus les régionalistes (wallons) ! ». A cela on peut rétorquer que cette crise est si immense que ce n’est peut-être pas d’abord de la Wallonie que l’on va parler, étant donné le gigantisme effrayant de ce krach. Encore que…
D’abord, cette crise met en cause le monde des affaires qui prétend depuis trente ans donner des leçons aux Etats, aux syndicats, aux partis, plus limités malgré tout au cadre national. Or l’internationalisme du monde des affaires vient de démontrer qu’il ne fonctionnait pas très bien. Et le fait qu’on dise aussi, face à cette crise, qu’il faut des instruments globaux de régulation n’est pas nécessairement contradictoire avec la remontée en puissance d’Etats, même petits, comme le Luxembourg dont je viens de parler. Au demeurant, la Wallonie a injecté dans DEXIA autant d’argent que le Luxembourg, sans être elle-même un Etat souverain. La Wallonie est sollicitée aussi par l’Etat fédéral qui doit boucler son budget en équilibre. Ce que l’on oppose aujourd’hui à la rationalité du monde des affaires - qui est une rationalité technique, instrumentale, insoucieuse des personnes et de leurs enracinements - c’est une rationalité autre, celle des nations et des régions, la rationalité qui est un agir en vue de l'entente, différent de l'agir instrumental du monde des affaires. Un agir rationnel en vue de l'entente sans lequel la vie est impossible.
Si la décroissance, le socialisme reprennent des couleurs aujourd’hui, le régionalisme ne pâlit nullement. Ce qui compte fondamentalement dans la vie – et que l’échelle des valeurs purement capitaliste ignore justement – c’est que les êtres humains ont surtout besoin de vivre ensemble avec les autres et de partager des solidarités, de s'entendre. C’est que, si les nations ne sont pas fondées sur cette volonté de partage intersubjectif, elles sont menacées, comme au Canada ou en Belgique, parce que, « en politique, tout ce qui est imposé de l’extérieur est faux ».
Plus notre monde devient petit, plus il a tendance à s’unir, mais aussi à respecter plus profondément ses diversités. Nous vivons dans un monde plus unifié que jamais, mais nous vivons aussi dans un monde où de petites nations comme le Québec et la Wallonie, parties prenantes de cette unification de la Terre, entretiennent d’authentiques missions commerciales ou diplomatiques dans les cinq continents et sont mieux connues qu’à l’époque où l’idée d’organisations transnationales (comme l’Union européenne), était méprisée. L’unification du monde n’est une menace ni pour les grandes nations, ni pour les petites nations. Elle n’est une menace que pour ceux qui veulent disposer des hommes par la Violence de la Guerre ou de l’Argent, qui veulent ignorer le Politique qui est, selon Arendt, ce qui fait que les êtres humains partagent des mondes communs que sont les nations et, au-delà, une Terre-patrie.
José Fontaine

Featured 11746605790305d4d2500c52aa75121d

José Fontaine355 articles

  • 386 651

Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





Laissez un commentaire



4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    13 octobre 2008

    (Un des papes de cette élite, M David Rockefeller, a communiqué sa vision de la philosophie de l’ordre marchand lors d’une réunion du fameux groupe Bidelberg à Baden-Baden (Allemagne) en Juin 1991 : "(…). The supranational sovereignty of an intellectual elite and world bankers is surely preferable to the national auto-determination practiced in the past centuries.")
    (http://www.vigile.net/Les-pions-Sarkosy-et-Charest0
    jcpomerleau

  • Archives de Vigile Répondre

    12 octobre 2008

    Je n'en fini plus de découvrir les rayons de la toile que l'élite de la Commission Trilatérale (Rockefeller) a tissée pour établir sa dictature.
    J'ai enfin découvert la véritable réforme scolaire du Québec, l'originale à l'UNESCO.
    J'ai vérifié ses Directeurs et auteurs et ils sont tous de la Commission Trilatérale (Bilderberg).
    Le père de notre cours d'Éthique et Cultures Religieuses est lié à la famille des banquiers Warburg. Ceux qui ne connaissent pas les Warburg, voici un bon résumé:
    "Nous aurons un gouvernement mondial, qu’on le veuille ou non. Reste à savoir si le gouvernement mondial sera établi par consentement ou par conquête."
    — James Paul Warburg, 17 février 1950, au Conseil des Relations Internationales des États-Unis
    Bio:
    http://mccomber.blogspot.com/2007/04/le-mauvais-sicle-6-les-warburg.html
    Un peu d'information sur Raymond Klibansky, de McGill, dont notre père du cours ECR était le confident.
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Raymond_Klibansky
    Les Warburg étaient présents à Montréal pour les funérailles de Klibansky.
    Et c'est ces gens qui font des cours d'éthique pour nos chers enfants !

  • Archives de Vigile Répondre

    12 octobre 2008

    Cher Jean-François,
    Nous n'y prenons pas garde mais dans bon nombre de nos débats, il existe des maillons de la chaîne que nous ne pouvons tenir ensemble que par un accord tragique. Taguieff dit cela de l'antiracisme qui doit à la fois soutenir la diversité des formes de la vie humaine et l'unité du genre humain. Or ces deux choses dont nous espérions bien qu'elles vont ensemble, quand, de fait, nous en parlons, cela ne va pas de soi. En fait ces deux choses (l'unité, la diversité), quand nous en parlons s'excluent logiquement.
    Mais il est possible quand même qu'il y ait un avantage à celui qui défend l'unité (des pays existants, de l'espèce humaine, de l'Europe etc.), tout en la défendant, de fait, au bénéfice d'une uniformité qui entre en contradiction avec la fraternité. Comme tout militant québécois, tout militant wallon a un jour dans sa vie été traité de raciste (et "un jour", c'est optimiste...).
    Ce qui me frappe et que j'ai souvent dit dans des dialogues avec d'autres chroniqueurs, c'est le fait que l'on respecte quand même une appartenance nationale quand elle est correspond à un Etat souverain. Raison pour laquelle le Québec doit devenir indépendant à mon avis. La Wallonie y parviendra aussi mais par d'autres voies puisque cette indépendance va encore longuement se négocier et s'est déjà longuement négociée (depuis 40 ans, voire trois-quarts de siècle).
    JF

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    12 octobre 2008

    Cher M. Fontaine,
    Vous dites que cette unification, n'est une menace que pour ceux (qui, exactement?) qui veulent disposer des hommes par la violence (de la guerre), et la violence de l'argent...?
    Êtes-vous bien sûr de ça? Car il existe une autre vision des choses, comme quoi cette «unification», serait dirigée par une véritable clique internationale, lentement mais sûrement, de façon à diminuer l'importance des souverainetés nationales, ou régionales, dans le but à peine voilé de se retrouver finalement face une énorme masse unifiée de simples consommateurs, à la surface de la planète. Et ainsi, on se retrouverait avec une sorte de gouvernement mondial non officiel, composé de richissimes affairistes, qui cultiveraient en même temps l'ignorance et la passivité, chez cette même masse de légions d'acheteurs de produits.
    Comme vous dites, la classe des affairistes a une forte tendance à faire la leçon à tout le monde. Bientôt, ils nous diraient carrément comment vivre nos vies...
    À mon humble avis, cette chose est, avec les dérangements climatiques, l'une des plus grandes menaces auxquelles nous sommes confrontés, aujourd'hui.
    Je respecte votre opinion, bien sûr.