Le jugement de la Cour suprême invalidant les dispositions du Code criminel qui touchent à la prostitution n’a aucun sens. Ni sens social, ni sens politique, ce qui est une infamie puisque c’est la pure marchandisation du corps de (jeunes) femmes que l’on vient de faciliter.
Les juristes diront que la décision rendue à l’unanimité vendredi par la plus haute cour du pays en matière de prostitution répond sans faille à sa logique développée au fil du temps quand il s’agit d’analyser les lois à l’aune de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans une société de droit, il ne reste plus qu’à s’incliner.
Et pourtant, ce jugement est une aberration qui fait complètement l’impasse sur la nature même de la prostitution, soit le droit que se sont octroyé des hommes de s’acheter le corps de femmes qui ne les désirent pas. Il ne s’agit pas d’un travail mais de l’étalage du sexisme le plus primaire qui soit, infligé de surcroît à des femmes issues de milieux démunis, souvent victimes d’agressions dès l’enfance. Peu de prostituées échappent à cette description.
Ces considérations sociales ne sont pas prises en compte par la Cour suprême. Évidemment, parce que pour elle, la société n’existe pas. Elle ne voit que des individus. Ignorée aussi la politique, lieu où se décident les pratiques du vivre-ensemble prises par des représentants dûment élus. Elle n’est que la chambre de réécriture de la dictée des juges.
Faute de cet arrimage au réel dans sa complexité, cela donne donc le récit enchanté qu’est le jugement de vendredi. La prostitution étant légale, les juges ne sentent aucun besoin de revenir sur le phénomène. Eux sont rendus une étape plus loin : décortiquer des concepts. Que signifie, par exemple, la « portée excessive » d’un article de loi. Du costaud quoi, rien à voir avec comment se décline dans la vraie vie le proxénétisme.
Il en découle des bijoux d’angélisme. Pourquoi une prostituée n’aurait-elle pas légalement droit à un chauffeur ? Un garde du corps ? Elle serait tellement mieux protégée… Oh que la sollicitude de la cour a dû susciter des cris de joie dans tous les gangs criminalisés du pays : « Bébé, j’suis plus ton pimp, j’suis ton chauffeur ! C’est légal. » Croit-on vraiment que le bébé (l’âge moyen d’entrée dans la prostitution au Canada est de 14-15 ans ; à 18 ans, âge légal pour se prostituer, on est encore bien jeune), prête à tout pour plaire à son riche chum qui l’exploite sans vergogne (le moindre procès de membre de gang de rue le démontre) dira : « Non chéri, je suis une travailleuse autonome et j’embaucherai moi-même mes bodyguards… » ?
Le détachement intellectuel avec lequel les juges ont traité le dossier est en fait affligeant. Ils font même une analogie avec… le port du casque de vélo ! Et c’est l’État qui se voit accusé d’imposer des « conditions dangereuses à la pratique de la prostitution », notamment en ne légalisant pas les maisons de débauche. Eh oui, le bordel comme progrès social… Orwell, au secours !
Les arguments des procureurs gouvernementaux ont été balayés du revers de la main : « Le respect auquel nous exhorte l’État quant aux décisions qu’il prend pour contrer les problèmes liés à la prostitution n’est pas pertinent à ce stade de l’analyse », lit-on. Mais oui, de quoi se mêle-t-il l’État ? Il n’est même pas un individu ! Le gouvernement canadien n’est là que pour réécrire ses lois.
De leur côté, les activistes proprostitution envisagent déjà les prochaines batailles : avoir accès au régime de pensions ! Et pourquoi pas l’intégration au cursus scolaire, tant qu’à causer plan de carrière, tant qu’à tomber sur la tête. Merci Cour suprême.
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