C’est fou l’indifférence avec laquelle le Québec accepte l’inversion du flux de l’oléoduc 9B de la compagnie Enbridge. Il n’y a pas que les citoyens qui confondent oléoduc et aqueduc, pour reprendre une image lue dans notre dossier de samedi sur le projet : les élus provinciaux, Québec solidaire excepté, sont tout aussi insouciants. Enbridge, recalée de l’environnement mais championne de la promotion, s’en frotte les mains.
Pour tester un produit, s’adapter au marché, il est maintenant de mise pour les entreprises de rassembler un groupe de discussion, communément appelé focus group. Mais peu ont la chance de pouvoir en tenir un directement à l’Assemblée nationale, auprès d’élus aussi ravis d’être là que le moindre quidam qui, dans une séance qui le divertit de son quotidien, donne son avis sur le prochain machin ou concept qui sera à la mode.
Le président et chef de la direction d’Enbridge, Al Monaco, ne considérait pas autrement la consultation tenue à Québec lorsqu’une commission parlementaire a entrepris, fin novembre, ses audiences sur l’inversion du flux de pétrole de l’oléoduc 9B. « Cela va nous informer comme compagnie, disait-il. […] L’objectif consiste à s’assurer que nous écoutons les vues du Québec. »… Euh, cela ne devrait-il pas être l’inverse ?
Qu’à cela ne tienne, le gouvernement Marois avait déjà donné tous les signes qu’il déroulerait le tapis rouge à Enbridge, aveuglé par les retombées économiques mythiquement associées au mot pétrole. Il avait même décidé, du jamais vu de mémoire de correspondant parlementaire (et, au Devoir, nous en avons de très longue expérience), que le rapport de la commission parlementaire serait déposé dès le lendemain de la fin des audiences, ce qui fut effectivement le cas.
De cette célérité suspecte, il résulte un rapport qui, évidemment, approuve l’inversion du flux de l’oléoduc avec autant de légèreté que la conduite des audiences. Pas question de discuter de l’exploitation du pétrole en ce XXIe siècle qui commande pourtant de changer de paradigme, les objections environnementales sont minimisées, et les balises sécuritaires recommandées sont timorées. Même pas de chien de garde indépendant : Enbridge siégera aux côtés de représentants de ministères au sein du comité de vigilance que Québec veut créer. Le nouveau maire de Montréal, Denis Coderre, qui n’a rien d’un extrémiste écologique, réclamait bien davantage. Les militants sont atterrés.
À qui, dès lors, les citoyens pourront-ils se fier pour les défendre ? Le projet Enbridge n’a pas encore trouvé son preux pourfendeur, comme la lutte contre l’exploitation déréglée des gaz de schiste a eu son Dominic Champagne, des conseils municipaux en colère et une opposition gouvernementale qui prenait le relais. L’opposition a depuis pris le pouvoir : c’est le meilleur des calmants. En commission parlementaire, c’était même consternant à entendre, hormis pour Amir Khadir qui, par ses questions, a tenté de donner un peu de crédibilité aux travaux.
Pendant ce temps, dans les terres traversées par l’oléoduc, sous les piscines, à quelques mètres de garderies, dans la cour des familles, c’est l’ignorance qui domine. La seule source d’information des gens provient d’Enbridge elle-même, qui se présente dorénavant comme une « meilleure » entreprise. Mais que veut dire un tel qualificatif pour une compagnie pétrolière qui aurait été responsable de plus de 800 déversements entre 1999 et 2010…
De toute manière, l’accord pour l’inversion du flux viendra d’Ottawa, et il est déjà acquis. Les élus de l’Assemblée nationale auraient donc pu faire preuve de hauteur de vues : cela n’aurait rien changé à l’affaire, mais cela aurait pu rassurer leurs électeurs, qui se désolent que le mot pétrole suffisent à les faire frétiller, imitation pathétique du si peu progressiste gouvernement Harper.
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