Une école de Montréal-Nord est encerclée par le plus vieux pipeline en ville, dont la fermeture a été réclamée par deux experts de l’Office national de l’énergie en raison des risques qu’il pose.
Deux lignes de l’oléoduc Trans-Nord, datant de 45 et 65 ans, passent littéralement le long des deux côtés de la cour de l’école primaire Adélard-Desrosiers. Les conduites forment un « L » autour de l’établissement.
Tout le long du pipeline, des panneaux jaunes signalent la présence du danger. Pourtant, la directrice de l’école, Lucie Aylwin, n’était pas au courant que ses élèves cohabitaient avec une ligne de transport de produits pétroliers avant l’appel du Journal.
« C’est un indice que s’il arrive quelque chose de grave, ça va être le chaos », s’inquiète Luc Falardeau, ingénieur environnemental à la retraite et membre du comité citoyen Oléoduc Laval en Amont.
« Si les gens ne sont pas préparés, c’est la recette pour un désastre, renchérit Patrick Bonin, de Greenpeace. Sans être alarmiste, il y a un risque et les conséquences pourraient être extrêmement graves. »
Se voulant rassurante, Mme Aylwin indique que « les plans de mesure d’urgence sont uniformisés à la commission scolaire avec les pompiers ».
« Nous, on est chargés de les apprendre et de les appliquer », dit-elle.
Risque d’explosion
Elle admet néanmoins qu’il s’agit de plans généraux et non pas spécifiques au pipeline. Les deux points de rassemblement en cas d’évacuation sont d’ailleurs situés dans la cour de l’école, à moins de deux mètres de l’oléoduc, a constaté Le Journal.
L’un de ces points est en plus le long de la conduite d’égout, elle-même à quelques centimètres du pipeline. Or, « en cas de fuite, il y a une possibilité que les vapeurs de gaz s’infiltrent dans l’égout par les joints et provoquent une explosion », dit M. Falardeau.
Trans-Nord assure que « la zone située près de l’école Adélard-Desrosiers est patrouillée quotidiennement du lundi au vendredi ». « Nous utilisons aussi régulièrement des outils spécialisés pour l’inspection interne », ajoute la compagnie.
« Ratés majeurs »
Mais M. Bonin souligne que Trans-Nord n’a pas un bilan rassurant. « L’entreprise a eu des ratés majeurs en termes de sécurité », souligne-t-il.
Trans-Nord est responsable de six des 13 incidents liés à l’exploitation des pipelines au Québec, depuis 2008. De plus, « il y a des inquiétudes quant à la capacité de la conduite à résister à la pression », ajoute l’écologiste.
En 2016, l’Office national de l’énergie (ONÉ) a imposé à Trans-Nord une baisse de pression dans la conduite et n’a toujours pas levé cette sanction.
Au même moment, deux commissaires de l’ONÉ ont réclamé la fermeture temporaire de la conduite, car en six ans, Trans-Nord a omis d’effectuer plusieurs travaux exigés par l’Office pour assurer la sécurité de l’infrastructure.
Le pipeline en bref
- Année de construction: 1952
- 850 km entre Nanticoke en Ontario et Montréal-Est
- 172 900 barils par jour de produits pétroliers raffinés (kérosène, essence, huile, etc.)
Deux ans pour des travaux urgents
Il faudra deux ans à Trans-Nord pour entreprendre des travaux sur une portion à risque du pipeline, près de Vaudreuil-Dorion, non loin de la rivière des Outaouais.
Le porte-parole de la MRC de Vaudreuil-Soulange, Simon Richard, dénonce le manque de diligence de l’entreprise.
« On parle quand même d’une urgence », gronde-t-il.
C’est Sylvie Rozon, propriétaire d’une terre à bois à Saint-Lazare qui a découvert le problème en juin 2016 en se promenant sur sa propriété.
Érosion
En raison de l’érosion, l’oléoduc est complètement déterré à l’endroit même où il traverse le ruisseau Paiement qui se jette dans la rivière des Outaouais. Il devrait pourtant être enfoui trois pieds sous terre.
Mme Rozon a immédiatement contacté Trans-Nord, mais il a fallu des mois avant que l’entreprise intervienne, dit-elle. La compagnie a d’abord couvert le pipeline de roches, souligne Mme Rozon. Puis, elle l’a informée il y a quelques jours qu’un segment de 500 mètres de conduite sera remplacé.
« Ce remplacement est nécessaire afin de préserver l’intégrité du pipeline », indique la lettre de Trans-Nord à Mme Rozon. « Réalistement, nous croyons que ce (les travaux) sera durant l'été 2018 », indique l’entreprise au Journal.
Or, « il y a un risque qui nous semble imminent », dit M. Richard. L’entreprise assure que l’enrochement actuel protège le pipeline et l’environnement.
Eau potable
Patrick Bonin, de Greenpeace, souligne qu’un déversement dans le ruisseau pourrait avoir des conséquences dramatiques compte tenu de la proximité de la rivière des Outaouais.
Un déversement à cet endroit contaminerait les 26 prises d’eau potable de la région de Montréal en seulement 12 heures, d’après un rapport publié en 2015.
M. Bonin s’inquiète que Trans-Nord n’ait jamais remplacé la portion de son pipeline qui traverse la rivière des Outaouais depuis 65 ans. Elle l’a pourtant fait dans le parc d’Oka, il y a 13 ans.
Les sections qui traversent la rivière des Mille Îles et celles des Prairies n’ont pas non plus été remplacées, ni celle qui borde l’école Adélard-Desrosiers, dans l’arrondissement de Montréal-Nord.